La réforme foncière chère au président sud-africain Cyril Ramaphosa n’inquiète pas que les fermiers blancs. Grands propriétaires, les groupes miniers redoutent eux aussi de faire les frais d’une redistribution massive et débridée de la terre. Le président fait face à un dilemme, entre justice foncière et investissements miniers.
Longtemps fers de lance de l’économie, les mines d’Afrique du Sud ont entamé depuis des années un lent déclin, victimes de la baisse des cours des matières premières et de la hausse de leurs coûts de production.
Dans ce contexte difficile, la volonté du gouvernement d’accélérer la redistribution des terres au profit de la majorité noire du pays, pour corriger les inégalités héritées de l’apartheid, a jeté un froid dans tout le secteur.
Son projet d’autoriser les expropriations sans indemnisation y a même fait l’effet d’un épouvantail… Il y a trois mois, le PDG du géant Anglo American a posé très clairement les termes du débat. Si la propriété des terrains miniers n’est pas garantie, a-t-il dit, les investisseurs fuiront.
« Nous devons trouver des solutions durables et inclusives », a déclaré Mark Cutifani, « la volonté de l’Afrique du Sud de doper les investissements étrangers sur son sol ne pourra être satisfaite que si le gouvernement détaille précisément son projet sur la terre ». L’agence de notation Moody’s, qui a placé l’Afrique du Sud sous haute surveillance, partage son inquiétude.
« L’incertitude qui règne continue à limiter les investissements à court terme », a-t-elle averti en juin. « Si la réforme s’avérait coûteuse pour les entreprises, la baisse des investissements serait encore plus prononcée. » Déterminé à faire participer les entreprises étrangères à la relance de son économie, le président Cyril Ramaphosa a reçu le message fort et clair. Il a donc profité de son grand raout annuel cette semaine au Cap pour tenter de rassurer le secteur minier.
Le péché originel de la colonisation et de l’apartheid
« Les investisseurs ne doivent pas avoir peur, on ne leur prendra pas leurs biens », a-t-il promis. La réforme foncière, a-t-il encore rappelé cette semaine, vise à « réparer (…) le péché originel commis contre les Noirs sud-africains pendant la colonisation et l’apartheid ».
Un quart de siècle après la chute du régime raciste blanc, les trois-quarts des terres agricoles du pays sont encore aux mains de la communauté blanche, qui ne représente que 8% de ses 55 millions d’habitants.
Toujours en discussion au Parlement, le projet d’expropriation sans dédommagements a déjà eu un premier effet. Sur le terrain, il a exacerbé le combat que livrent les populations locales aux entreprises minières pour s’opposer à l’extension de leurs activités, récupérer leurs terres ou, à défaut, profiter d’une petite part de leurs bénéfices.
« La mine affecte nos vies parce que nous n’avons plus de terres », explique Milicent Shungube, porte-parole de la communauté d’Emalahleni (nord), en conflit avec le groupe minier Glencore. « On a bien essayé de les faire partir mais sans résultat », poursuit-il. « Alors on aimerait en profiter. Ils font des milliards de bénéfice mais on n’en voit rien. »
L’an dernier pourtant, la justice a imposé au ministre des Mines Gwede Mantashe de consulter la communauté de Xolobeni (sud-est) avant d’accorder un permis à la compagnie australienne Transworld Energy and Mineral Resources (TEM). Une victoire rare pour les populations.
Rien de certain concernant les saisies
Les spécialistes du secteur ne s’attendent toutefois pas à un déferlement de décisions défavorables à l’industrie minière. « Il n’y aura pas de saisies » de mines ou de propriétés agricoles, anticipe Amaka Anku, du centre d’analyse Eurasia, « tout ça est d’abord et avant tout de la politique ». Les élections législatives du 8 mai en ligne de mire, les intentions du chef de l’Etat n’ont pas échappé à ses rivaux.
Notamment celui de la gauche radicale Julius Malema, dont les partisans à bérets rouges ont multiplié les occupations « sauvages » de terres ces dernières années. Cyril Ramaphosa « plagie notre programme », s’est-il encore amusé jeudi 7 février. « Cela n’aurait économiquement aucun sens (pour le président) de s’en prendre à des terres productives », insiste l’analyste Amaka Anku.
Lors de son discours sur l’état de la nation jeudi, le chef de l’Etat a ainsi prudemment précisé que les premières opérations de redistribution viseraient « des parcelles détenues par l’Etat », notamment dans les zones urbaines. « Des déclarations fortes », juge Sanisha Packirisamy, analyste au cabinet Momentum. « Il y a plus de certitudes désormais dans le secteur des mines, mais la question de la terre peut encore dissuader certains investisseurs ».
Les compagnies semblent, elles, prêtes à jouer le jeu. Si l’équilibre entre justice et développement est maintenu.
« L’industrie reconnaît la nécessité de progrès sur la question de la terre », résume la porte-parole de la Chambre sud-africaine des mines, Charmane Russell, « nous espérons que cela se fera d’une façon qui n’affecte par la confiance des investisseurs ».
JA