La justice examine la convention tripartite !
L’examen attentif de la convention tripartite, signée entre le ministère de l’Economie et des Finances, la Confédération des sociétés coopératives des producteurs de coton et la Banque malienne de solidarité (BMS-SA), pour gérer les ristournes versées par l’Etat via la CMDT au profit des paysans, conduira-t-il à une prochaine relaxe de Bakary Togola, président de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture du Mali, APCAM ? À moins que cette procédure ne débouche sur une requalification des faits impliquant de plus gros poissons !
Les investigations, relativement à l’affaire Bakary Togola ou le détournement des ristournes des cotonculteurs, pourraient très prochainement prendre une nouvelle tournure. La convention tripartite, liant l’Etat à travers le département de l’Economie et des Finances, la Confédération des sociétés Coopératives des producteurs de Coton, bénéficiaire et la BMS-SA, où étaient logés les fonds, objet de détournement par l’ancien président de l’APCAM, met en cause plusieurs responsabilités dans la chaîne de décaissement. À terme, le Procureur serait amené à inculper d’autres responsabilités ou… prononcer la relaxe pure et simple de l’enfant de Niamana.
L’affaire n’est pas simple. La cagnotte, dite «des ristournes de la Confédération des sociétés coopératives des producteurs de Coton », est en effet un fonds créé par l’Etat pour ajuster le prix du coton aux producteurs, afin de réduire sinon d’annuler si possible les fluctuations à la baisse des cours internationaux de l’or blanc.
Ainsi, chaque fois que les cours mondiaux du coton baissent, l’Etat puise dans ce fonds mis à la disposition de la CMDT afin que la compagnie maintienne le prix d’achat convenu aux producteurs. Mieux, lorsque les cours sont élevés sur les bourses internationales, l’Etat alimente le même fonds et peut se permettre parfois d’accorder des subsides supplémentaires aux cotonculteurs en plus du prix d’achat initialement convenu.
La gestion de ce fonds, logé à la BMS-SA, ressortait d’une convention, signée par le ministre de l’Economie et des Finances, le président de la l’APCMA et bien sûr la BMS-SA, banque de domiciliation. Certes, comme stipulé dans la convention, les retraits s’effectuaient sur signature du représentant mandataire des paysans, en l’occurrence le président de l’APCAM, mais uniquement à la suite du constat et de la vérification, par l’autorité de domiciliation, la BMS-SA, d’une lettre dûment signée par le ministre des Finances déterminant et autorisant le montant, sûrement après les justifications de la dépense.
Des faits avérés et des questions
En somme, suivant l’orthodoxie des finances publiques requise en la matière, c’est bien le ministre de l’Economie et des Finances, autorité déléguée ordonnatrice de l’Etat, qui accorde son autorisation ou non pour quelque transaction que ce soit sur le compte alimenté au titre des ristournes.
Relativement à l’instance judiciaire en cours, il n’y a aucun doute là-dessus : Bakary Togola a bien puisé dans le fonds. D’après le Procureur Mahamadou Kassogué, les investigations ont permis de découvrir un déficit de 9 milliards de FCFA, sur plus de 13 milliards de FCFA, octroyés à la Confédération des sociétés coopératives des producteurs de coton par la Compagnie malienne pour le développement des textiles (CMDT). Ce préjudice couvre seulement la période comprise entre 2013 et 2019 et ne remonte pas dans le temps, depuis l’arrivée de Bakary Togola à la tête de l’APCAM.
Mais la question qui turlupine est surtout de savoir comment, malgré les garde-fous de la convention tripartite, Bakary Togola est parvenu à puiser autant dans les ristournes ? L’y a-t-il été autorisé et par quelle autorité ? On peut croire que de toute évidence, le ministre des Finances, au moment des faits, devenu Premier ministre tout en conservant le même portefeuille, n’a certainement pas écrit pour autoriser les transactions ayant abouti au prélèvement pour lequel Bakary Togola est accusé.
Car, le Procureur Kassogué n’aurait alors engagé aucune poursuite face à la légalité des opérations, ou aurait au contraire procédé à une requalification des faits. Par ailleurs, sur la base de quel document, l’autorité de domiciliation, la BMS-SA, a-t-elle permis les retraits de si importants montants ? À moins de faire injure à un établissement financier des plus cotés de la place, la BMS-SA devrait disposer de solides autorisations pour décaisser une si rondelette somme.
Vers la relaxe pour cause de gros poissons ?
Le dossier Bakary Togola donne de si sérieuses migraines au procureur Kassogué qu’il pourrait être vidé de sa substance, car de nombreuses zones d’ombre subsistent. Et pour cause, l’ancien président de l’APCAM n’a jamais nié avoir prélevé les 9 milliards de FCFA pour lesquels il croupit en prison. Mieux, le disert paysan n’a pas hésité une seconde à déclarer à qui veut l’entendre, notamment au jeune procureur Kassogué, que c’est le président de la République qui l’a autorisé à puiser dans le fonds pour financer nombre d’activités de sa campagne, dans laquelle le président de l’APCAM était alors activement engagé.
Au demeurant, Bakary Togola semblait croire que mettre en avant cette assertion était le sésame magique pour échapper aux fers de Kassogué. En pure perte, car aucun document légal émanant du premier magistrat ne venait à l’appui des affirmations du patron des cotonculteurs et, visiblement, Kassogué aurait été bien en peine de déférer devant son pupitre le chef de l’Etat en personne comme le premier quidam venu pour recueillir son témoignage. Si bien que se croyant apparemment protégé, Bakary Togola a vite fait d’éprouver les limites du soutien présidentiel.
Pour ce que l’on sait au moment où un mandat de dépôt était décerné contre Bakary Togola, le Procureur Kassogué avait expliqué que «le dénonciateur (avait) non seulement fourni des documents pour étayer sa dénonciation, mais (…) aussi contribué à (…) faire comprendre les lignes comptables des documents», justifiant que le président de l’APCAM soit retenu dans les liens de l’accusation pour corruption et détournement de deniers publics.
La gravité des faits et l’ampleur du délit justifiait que lui soit refusé la liberté provisoire, même sous caution, vu les risques de destruction de preuves, de subornation ou menaces de témoins ou même que l’accusé, au vu de ses moyens, ne se soustrait à la justice.
Mais, si des poursuites devaient s’engager sur la base de la convention tripartite liant la Confédération des producteurs bénéficiaire, la banque de domiciliation des fonds et le département de la tutelle des finances, ordonnateur des transactions sur le compte, le Procureur serait amené à conduire des investigations quant à savoir les mécanismes de décaissement des ristournes. D’où des interrogations quant aux responsabilités des différents protagonistes, Bakary Togola déjà en prison, Boubou Cissé alors ministre des Finances et bien sûr Babaly Bah, alors PDG de la Banque aujourd’hui à la retraite.
Là où le dossier se corse un peu plus, c’est que Boubou Cissé, devenu entre-temps Premier ministre, garde toujours la haute main sur le département ordonnateur et seul émetteur reconnu au titre de la convention tripartite de document d’autorisation de retrait sur le compte des ristournes. Faut-il croire qu’il y a eu falsification d’un tel document, et donc imitation de la signature du ministre des Finances et contrefaçon des sceaux l’accompagnant ?
Le Procureur Kassogué, dans son adresse à la presse au moment de la mise en détention de Bakary Togola, a bien évoqué le fait : « Nous avons au stade actuel des charges contre lui, nous allons essayer de voir si ces charges existent de façon consistante. S’il apporte des éléments de décharges, nous allons les examiner et il bénéficiera de la présomption d’innocence », tout en précisant que « s’il s’agit de pièces fausses, cela va alourdir la situation. Parce qu’on sera obligé dans ce cas d’ouvrir de nouvelles poursuites pour faux et usages de faux ».
Autre élément suscitant interrogations, c’est que bien qu’à la retraite, Babaly Bah, PDG de la BMS-SA au moment des faits, est aujourd’hui… Conseiller spécial du Premier ministre Boubou Cissé. En somme, deux des principales parties prenantes à la convention tripartite de gestion du compte des ristournes, sont aujourd’hui très proches collaborateurs au sommet de l’Etat. Pour la justice, n’y a-t-il pas alors suspicion légitime de collusion d’intérêts ? Dire alors que le dossier Bakary Togola est corsé relève d’un doux euphémisme. Il explosera et éclaboussera bien plus de personnes qu’on ne le croit ou… se dégonflera comme un ballon de baudruche. La seconde hypothèse étant plus probable !
En prison depuis dix mois, exactement depuis le 13 septembre 2019, l’ancien président de l’APCAM, remplacé avec une hâte suspecte, semble avoir été visiblement lâché par ses mentors, ceux-là membres de « Ma Famille d’abord » dont il se prévalait de la protection pour s’adonner aux excès et prédations somptuaires de luxe au détriment des paysans maliens.
Le paysan, analphabète, mais assez retors pour rouler dans la farine cadres de l’administration et politiques, a été rattrapé par son commerce licencieux avec les sphères du pouvoir, commencé sous le régime d’Amadou Toumani Touré grâce à qui il fera une ascension fulgurante avant de retourner sa veste. De toute évidence, Bakary Togola, honni dans le Banimonotié contrairement à ce qui se raconte, avait un terreau favorable où exceller, ayant vite perçu la boulimie prédatrice de la nouvelle famille présidentielle, dont le représentant emblématique, le Bébé Doc tropical, est connu pour sa férocité prédatrice des biens publics.
Mohamed Ag Aliou
Nouvelle Libération