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Affaire ENA: l’ex-DG répond au ministre KOITA

Le Pr Amadou KEITA, l’Ex-Directeur général de l’École nationale d’Administration (ENA) du Mali, dans une déclaration, explique les raisons de sa démission à la tête de cet établissement d’enseignement supérieur très convoité. Cette déclaration est une réponse aux propos du ministre Amadou KOITA, porte-parole du gouvernement tenus, le samedi 16 février dernier. En effet, le ministre-porte-parole du gouvernement avait lors de la séance d’échanges avec des responsables du Conseil national de la jeunesse que les résultats du concours n’allaient pas être crédibles et sincères. En réplique, l’ex-DG de l’ENA, s’est inscrit en faux contre les propos du ministre et répond : « Il est évident que le ministre porte-parole du Gouvernement n’a pas toutes les informations que celles qu’il détient ne correspondent pas à la réalité des faits. Sinon, je m’interroge sur le fait de savoir comment à ce niveau de responsabilité, on peut prendre ses aises pour tenter de souiller l’honneur de gens par des mensonges en espérant qu’il trouvera des personnes pour y croire ».

Voici sa réaction

Depuis ma démission de la direction générale de l’ENA, je m’étais volontairement imposé une obligation de réserve. J’avais décidé cela en raison du climat délétère dans notre pays. Mais la sortie du ministre Amadou Koita, relayée par la presse (Info Matin n° 6405 du lundi 18 février 2019) et les réseaux sociaux, m’oblige à sortir de cette réserve afin de recadrer les « révélations » qu’il a faites et, pour dire les choses exactement, apporter un démenti aux contrevérités qu’il a proférées.

Il est évident que le ministre porte-parole du Gouvernement n’a pas toutes les informations et que celles qu’il détient ne correspondent pas à la réalité des faits. Sinon, je m’interroge sur le fait de savoir comment à ce niveau de responsabilité, on peut prendre ses aises pour tenter de souiller l’honneur de gens par des mensonges en espérant qu’il se trouvera des personnes pour y croire.

Il a parlé de devoir de vérité. Disons la vérité, rien que la vérité. Il a dit que je m’apprêtais à publier un résultat non sincère. Pour son information, les concours de l’ENA sont organisés sous la supervision d’un jury indépendant chargé de la correction des épreuves et de la proclamation des résultats. Le jour où j’ai été reçu par le Premier ministre, les corrections étaient terminées et le jury n’avait pas encore statué sur les notes pour constater les copies ayant obtenu des notes éliminatoires et celles devant faire l’objet de troisième correction (éventualité prévue au cas il y aurait un écart de plus de cinq points entre les deux notes attribuées à une épreuve technique). C’est après tout cela que le jury allait se réunir de nouveau pour délibérer et proclamer le résultat. Le Directeur général de l’ENA ne fait que publier le résultat proclamé par le jury. Qu’on dise alors à quel moment je m’apprêtais à publier un résultat non sincère !

Le ministre Koita a également dit que le Premier ministre m’a appelé pour m’exposer les renseignements en sa possession sur les résultats du concours. Ceci est complètement faux. Je prends à témoin la Directrice de cabinet du Premier ministre qui a assisté à l’entretien qui n’a pas duré plus de trois minutes. Quand le Premier ministre m’a reçu, il ne m’a donné aucun renseignement et ne m’a demandé aucune explication sur l’organisation du concours. Ses premiers mots ont consisté à me dire qu’il a décidé d’annuler le concours de l’ENA parce qu’il détient des informations relatives à des versements d’argent à plusieurs niveaux. Quand je lui ai demandé si je peux prendre connaissance de ces informations, il m’a répondu que lui, « il les a et c’est suffisant ». Il a ajouté qu’il va annuler le concours et m’aider à organiser un concours mieux sécurisé. Il a terminé en me disant qu’il me fera parvenir une lettre dans ce sens et m’a signifié la fin de l’entretien. Voilà, Monsieur le Ministre Koita, ce qui s’est passé dans le bureau du Premier ministre.

Il m’apparaissait clairement qu’on était en face d’une tentative de déresponsabilisation du Directeur général de l’ENA. Un chef d’un organisme personnalisé, ayant le sens de la responsabilité, peut-il accepter, en dehors des situations prévues par les textes, l’immixtion de l’autorité de tutelle dans le fonctionnement de son service, alors qu’elle n’a pas prouvé qu’il a été défaillant et surtout si cette autorité a refusé de lui communiquer le moindre détail sur les informations dont elle avait dit qu’elle était en possession ? Je rappelle que le concours de 2018 n’était pas le premier que j’organisais.

Il était inacceptable pour moi de jouer le rôle de Directeur sans volonté, irresponsable (parce qu’ayant accepté d’être déresponsabilisé) qui attend sagement les instructions qu’on voudra bien lui donner, alors que les véritables raisons d’une telle décision n’étaient pas claires à mon niveau. Dans ma lettre de démission, j’ai signifié sans équivoque au Premier ministre mon désaccord concernant une décision d’annulation du concours, alors que des preuves d’une fraude n’ont pas été produites et que les personnes qui y sont impliquées n’ont pas été identifiées.

J’informe le ministre Koita que j’ai été convié à la Primature à une seconde réunion, au cours de laquelle il m’a été dit clairement que je ne suis pas en cause personnellement et il m’a été demandé de revenir sur ma démission. J’ai refusé et souhaité qu’une enquête soit diligentée pour faire la lumière sur les allégations qui ont été faites, afin de préserver la crédibilité du concours, comme tout le monde semble le vouloir. J’épargnerai volontiers au ministre Koita les détails de mes échanges avec la Directrice de cabinet du Premier ministre et certains de ses collaborateurs.

Apparemment, devant mon refus de revenir à la direction de l’ENA, la stratégie de communication a changé et on n’a pas trouvé « un élément de langage », comme disent les spécialistes, mieux affuté que des contrevérités. En tout état de cause, toutes les personnes qui ont été mêlées de près ou de loin à cette affaire savent très bien ce qui s’est réellement passé. La question que je me pose maintenant est celle de savoir pourquoi ceux qui ont dit qu’ils ont des preuves que des actions de fraude étaient en cours, ont décidé de poursuivre le processus du concours avant d’avoir identifié et neutralisé les fraudeurs. Comprendra qui pourra !

Notre pays vit une situation sociopolitique très difficile. Je pensais qu’il ne fallait pas en rajouter avec des débats qui saperaient l’autorité et la crédibilité des institutions de l’État. C’est ce qui a expliqué mon silence jusque-là. Il me semble cependant qu’il n’est pas opportun de tomber dans le dénigrement subtil des cadres qui refusent d’être aux ordres et ne demandent qu’à travailler dans des relations empreintes de respect et de courtoisie. Je m’étais totalement engagé à poursuivre et à consolider les actions de mon prédécesseur. Aussi, j’avais une grande exigence vis-à-vis de la sincérité des concours, car il me tenait à cœur de préserver la crédibilité de l’ENA. Organiser un concours, pour moi c’est comme rendre un jugement.

Par ailleurs, j’avais initié des actions visant à démarrer la recherche à l’ENA et à doter l’école d’un plan de développement stratégique. Je ne saurais donc poser des actes susceptibles de compromettre toutes ces initiatives. Il est important que toute la lumière soit faite autour des allégations de fraude concernant le concours 2018 et que l’opinion publique soit tenue informée pour que l’espoir d’une administration performante, né avec la création de l’ENA, ne soit pas brisé.

Amadou Keita

Professeur d’enseignement supérieur

Source: info-matin

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