Tous les espoirs des 113 travailleurs victimes ou leurs ayants droits sont désormais tournés vers la 53e session ordinaire de la Cour africaine des Droits de l’Homme qui s’ouvre ce 10 juin jusqu’au 5 juillet 2019 à Arusha en Tanzanie. L’affaire qui a fait le tour de plusieurs tribunaux au Mali, a été finalement transportée devant cette Cour africaine de Justice depuis 2017.
Attendue depuis la 52e session ordinaire du 4 au 29 mars 2019, l’affaire, selon de bonne source, a finalement été renvoyée à la 53e session prévue pour juin prochain à son siège à Arusha (Tanzanie). Les mêmes sources ajoutent qu’une douzaine d’affaires pendantes devant cette Cour panafricaine parmi lesquelles celle du Collectif des 113 anciens travailleurs, sur un total de 135, du laboratoire ALS victimes d’une contamination au plomb. En effet, indique-t-on, à l’issue de sa 52e session ordinaire, la Cour africaine des Droits de l’homme et des peuples (CAfDHP) avait déjà fait un résumé de cette affaire, dont la plainte existe, depuis 2017. À la lecture du document, des spécialistes des affaires judiciaires sont convaincus que les arguments présentés par la partie plaignante sont assez solides pour permettre à la Cour de prendre en considération les préoccupations des plaignants.
Selon nos sources, l’État, dans sa mémoire en défense, demande à la Cour, sur la forme, de déclarer la requête irrecevable pour défaut de qualité des requérants n’ayant pas la capacité juridique de saisir la Cour, car n’ayant pas épuisé les recours internes. Donc, aux yeux de l’Etat, la requête n’est pas fondée. Pour le porte-parole du Collectif des travailleurs, Yacouba Traoré, non moins secrétaire général de la FENAME, ces arguments constituent une fuite en avant du gouvernement.
Le fond du dossier
Selon la requête des plaignants, le laboratoire australien (ALS), spécialisé dans l’analyse chimique d’échantillons pour déterminer la teneur en or et autres métaux, a utilisé des produits toxiques, tels que des acides, le Di-iso Buthyl (DIBK), des solvants tels que le nitrate, le sodium, le lithium, le borax, le carbonate de sodium, le dioxyde et le plomb de sodium.
Aussi, « … la technique utilisée par l’ALS sur le site de Koulouba pour la recherche d’or consistait en “fusion au plomb “, technique qui, par sa définition même, expose les travailleurs à des produits chimiques très toxiques comme le plomb, utilisé en grande quantité dans le processus de dissolution ».
Les requérants affirment que ce n’est qu’à partir de 2008 (près de 12 ans après la reprise du laboratoire par ALS) et après plusieurs demandes et protestations des travailleurs que des analyses de sang ont finalement été effectuées.
Les requérants allèguent que « les résultats des premières analyses biologiques ont été conservés par la direction de la ALS. Ils ont refusé de révéler les résultats desdits tests sanguins aux travailleurs ou ne leur en ont parlé que très tardivement ». Ils affirment aussi qu’ « à cette époque déjà, les travailleurs se plaignaient auprès de la direction de maux de tête graves et d’autres troubles qu’ils estimaient liés aux produits chimiques auxquels ils étaient exposés (maux de dos, organes enflés, troubles respiratoires, impuissance sexuelle, etc.) ».
Le constat
Depuis 2009, année où les travailleurs se sont rendu compte de l’intoxication, ils n’ont cessé d’exprimer leurs revendications auprès de la direction suivie d’une vague de licenciements, jusqu’à la cessation complète des activités de la société sur le territoire de l’État défendeur.
Les requérants allèguent qu’un rapport confidentiel d’une mission d’enquête faite à la demande du ministère de la Santé de la République du Mali avait révélé le 13 novembre 2013 l’existence d’une violation flagrante des règles d’hygiène et de sécurité ; et « …des taux extrêmement élevés de plomb présent dans le sang des travailleurs, même au-delà du seuil de 400 g/l entre 2008 et 2013. Des allégations faites par certains travailleurs et par le syndicat, relativement à la plombémie ont été confirmées en masse par des analyses de sang effectuées avant la grève de février 2013. Le suivi de certains de ces cas nécessitant des soins intensifs n’a pas été effectué régulièrement ».
Complicité des autorités ?
Les requérants affirment que « … malheureusement, les autorités se sont toujours opposées à la publication du rapport », arguant que « les rapports d’inspection ne sont destinés qu’à la présidence et au Cabinet du Premier ministre ». Selon les requérants, les travailleurs et la confédération centrale des travailleurs du Mali (CSTM) n’ont épargné aucun effort pour amener la direction de la ALS-Bamako et le gouvernement malien à prendre des mesures pour assurer la prise en charge médicale et l’assurance maladie des victimes. Toutes ces tentatives ont été vaines.
Les requérants allèguent aussi que les efforts déployés pour obtenir réparation de la part de la direction s’étant soldés par un échec, le 1er février 2012, ils saisirent le procureur général de la République du Mali d’une affaire pénale dénonçant l’intoxication au plomb et, plus d’un an plus tard, n’ayant reçu aucune information sur l’évolution du dossier, ils en concluent que la procédure a été anormalement prolongée par les autorités judiciaires de l’État. En conséquence, ils ont décidé de saisir la Cour de céans.
Violations de droits
Les requérants affirment que leur droit de jouir d’un meilleur état de santé possible prévu aux articles 16 et 24 de la Charte et 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (ci-après désigné « le PIDESC »), a été violé. Ils soutiennent que le retard injustifié accusé dans l’examen de l’affaire constitue une violation des droits que leur garantissent les articles 7 (1) et 26 de la Charte et 2 (3) et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Ainsi, les requérants ont invité la Cour à faire droit la requête et déclarent que l’État défendeur a violé les dispositions susmentionnées ; dire que l’État défendeur doit reconnaître publiquement sa responsabilité non seulement pour les violations alléguées des maladies professionnelles subies par les requérants du fait de l’intoxication au plomb, mais aussi par rapport au droit de traitement médical des employés contaminés et assumer les coûts dudit traitement de manière à fournir aux travailleurs malades dans les meilleures conditions de vie possibles.
Les exigences des victimes
Ainsi, les victimes invitent la Cour à ordonner à l’État défendeur de mener une enquête afin d’identifier les institutions privées responsables de la violation de la réglementation en vigueur au moment des faits allégués, c’est-à-dire intoxication et non-assistance à personne en danger ; compensations en espèces et de veiller à ce que les sommes dues leur soient entièrement payées ; ordonner toutes autres mesures nécessaires pour la réparation des violations alléguées dans la requête. Par ailleurs, les requérants ordonnent à l’État défendeur de publier l’Arrêt de la Cour dans le Journal officiel et dans des quotidiens locaux.
Dans leurs observations sur les réparations, les requérants ont demandé à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de verser 50 millions de francs CFA à chacune des victimes au titre de compensation pour les frais de santé, pertes de revenus liés au licenciement ou arrêts maladie, de l’incidence professionnelle des maladies, des frais d’obsèques et des pertes de revenus pour leurs proches. Également, ils exigent la somme de 50 millions de francs CFA à chacune des victimes au titre du préjudice moral direct subi.
A. O
Source : Ziré-hebdo