Nul n’est au-dessus de la loi, avait dit et répété, il y a quelques mois, Mamoudou Kassogué, Procureur en charge du Pôle Économique et Financier. Et d’ajouter que, certes, certains effets pervers de la loi font que certaines catégories de personnes échappent pour l’heure aux mailles de la justice, mais qu’il se battra, avec tous, pour lever ces blocages. Depuis, on a compris qu’il n’agira que dans le strict respect des règles juridiques.
L’arrestation et la mise en détention de Mamadou Camara, proche collaborateur du président de la République prouve qu’il ne rigole pas et qu’il entend mener la suite avec une conscience professionnelle irréprochable. Lorsque le Syndicat Autonome de la Magistrature (S.A.M.) et le Syndicat Libre de la Magistrature (SY.LI.M.A), les deux grandes centrales syndicales dévolues à la défense des intérêts et de l’honneur des magistrats se lèvent ensemble ce 1er avril 2020 pour aller s’enquérir à la source des menaces qui pèseraient sur le Procureur en charge du Pôle Économique et Financier, ce n’est pas pour sacrifier à la traditionnelle plaisanterie liée à ce jour depuis la nuit des temps. L’affaire est très sérieuse et montre une solidarité de fer dans la corporation; au-delà, elle sonne comme un avertissement à l’autorité politique de ne pas se hasarder à s’immiscer dans les affaires judiciaires, surtout en ce qui concerne celle en cours, et encore, surtout pas de tenter d’entraver le cours normal des choses.Le transport de la haute délégation syndicale des magistrats chez Mamoudou Kassogué, en présence de ses Substituts, s’imposait au regard des rumeurs persistantes faisant croire à des pressions qui s’exerceraient sur les acteurs en charge de la procédure visant les présumés coupables dans l’affaire de l’achat de l’avion présidentiel et des équipements militaires, toutes opérations hérissées de fraudes et de surfacturations. Ce dossier explosif, il faut le rappeler, avait été classé sans suite par un de ces tours de magie qui avait donné le vertige à tous les Maliens. Or, par un communiqué en date du 27 mars 2020, le très professionnel et très respecté magistrat Kassogué avait informé l’opinion publique nationale et internationale de la rouverte du sulfureux dossier, et cela, a-t-il beau jeu de rappeler, suivant instructions écrites du ministre de la Justice et des Droits de l’homme, Garde des Sceaux, que le parquet a décidé, en décembre 2019, de la réouverture des enquêtes dans l’affaire. Il s’agit de l’achat de l’avion présidentiel dont on sait que le coût, dont personne n’a pu à ce jour décliner le montant exact, a été exorbitant jusqu’à l’étranglement des finances publiques; et aussi des surfacturations qui donnent l’épilepsie dans la fourniture aux Forces Armées Maliennes d’un important lot de matériels d’Habillement, de Couchage, de Campement et d’Alimentation, ainsi que des véhicules et pièces de rechange. Ces deux affaires, préalablement pistées et documentées par le Bureau du Vérificateur général, montrent à quel point l’État du Mali et ses Forces Armées et de défense ont été spoliés. Dans la première, il s’agit d’opérations frauduleuses portant sur le montant faramineux de 9 350 120 750 de nos francs. Mamadou Camara qui se la coulait douce dans les lambris dorés de la république et sous l’aile tutélaire d’IBK, a été justement placé en détention parce que soupçonné d’être mouillé grandement. L’autre affaire montre des surfacturations par faux et usage de faux pour un montant de 29 311 069 068 francs CFA. Elle concerne les sieurs Sidi Mohamed Kagnassy, Amadou Kouma, Nouhoum Kouma, Soumaïla Diaby, encore Mamadou Camara et son alter ego Marc Gaffajoli. L’autre pendant des deux affaires implique trois anciens ministres au moment des faits, en l’occurrence Mme Bouaré Fily Sissoko, Moustapha Ben Barka, actuellement secrétaire général de la présidence de la république et fils de la soeur cadette de l’épouse d’IBK, enfin Soumeylou Boubèye Maïga, qui a été même Premier ministre après. Ce qui est important de noter, c’est que le Procureur Mamoudou Kassogué, sous réserve du secret de l’information judiciaire, a admis devant ses collègues syndiqués que l’arrestation de l’inculpé Mamadou Camara a fortement déplu au haut sommet de l’État. Mais il a tenu à assurer qu’aussi bien le Parquet et le Juge d’instruction n’ont subi directement aucune pression jusqu’ici. Toutefois, a-t-il relevé, l’Exécutif est en train de faire une interprétation biaisée des dispositions de l’article 616 du code de procédure pénale qui n’accordent le privilège de juridiction qu’aux seules personnalités ayant rang et prérogatives de ministre, ce qui n’est pas le cas du placé en détention Mamadou Camara, comme l’atteste d’ailleurs son acte de nomination. En conséquence, le droit pénal étant d’interprétation stricte, le Pôle Économique et Financier estime qu’il n’a fait qu’une judicieuse application de la loi dans la procédure et que sa position demeurera constante.Autant dire que si IBK ne se tient pas tranquille dans les limites de son rôle de garant constitutionnel de la justice, il en découdra de guerres sans merci avec les magistrats. Mais on voit bien que tout ce qui est reproché aux uns et aux autres impliqués dans les fangeuses affaires l’a été sous le manteau protecteur de IBK lui-même. Le S.A.M. et le SY.LI.MA. se tiennent en tout, d’ores et déjà, par les bras pour soutenir le Procureur Mamoudou Kassougué et le Pôle Économique et Financier. Qui aura le dernier mot? IBK ou la justice malienne, garante de la stabilité sociale?
Bogodana
Isidore Théra
LE COMBAT