Dans une lettre ouverte, l’ex directeur de l’ENA, Amadou Keïta, répond au ministre Amadou Goïta, au sujet de l’affaire dite « de corruption à l’ENA.
Je n’aurais jamais voulu avoir à répondre encore à Monsieur Amadou Koïta, Président du PS Yeleen Koura et Ministre. Aussi, voudrais-je commencer par présenter mes excuses au peuple malien pour le ton que je vais utiliser, mais qui est le seul qui sied quand on est obligé de s’expliquer avec une personne qui n’arrive pas à se hisser à la hauteur de sa fonction, jetant ainsi le discrédit sur l’Etat et la République.
Comme le dit la sagesse africaine, le bouc même parfumé sentira toujours bouc. Et puis, nous en avons bien la triste expérience dans notre pays, quand on n’a pas de personnalité, même ministre, on se comporte comme un garçon de courses. Monsieur Amadou Koïta, qui avait déjà menti à propos de ma démission de la direction générale de l’ENA, continue de dérouler sa spirale de mensonges pour protéger ses mentors, comme des enfants pris en flagrant délit de chapardage de lait en poudre dans la chambre parentale. On l’a tous fait quand on était petit : la bouche et les joues maculées de lait, on niait en secouant énergiquement la tête qu’on y avait touché.
On ne peut être que sidéré quand on voit Monsieur Amadou Koïta faire des affirmations mensongères calmement et en regardant le peuple en face. Dans quel Etat sommes-nous finalement ?
Au cours d’un débat public radiodiffusé sur Peace FM, avec Monsieur Nouhoum Sarr, Président du FAD, le 14 novembre 2019, Monsieur Amadou Koïta, parlant de ma démission, a fait des déclarations qui se résument en trois points : i) tout ce qu’il a dit sur la démission de l’ancien Directeur général de l’ENA est vrai ; ii) Celui-ci n’a pas démenti ses propos ; iii) à l’époque de l’affaire, l’ancien Directeur général de l’ENA, appelé pour s’expliquer, avait voyagé sans ordre de mission.
C’est à croire que Monsieur Amadou Koïta est frappé d’amnésie ou n’a pas lu ma réponse à sa première sortie. Je vais donc lui rafraîchir la mémoire. Concernant son affirmation mensongère relative au fait que je m’apprêtais à publier des résultats non sincères, j’ai démontré que, conformément aux textes de l’ENA, c’est le jury indépendant qui corrige les épreuves et proclame les résultats.
C’est seulement après que le Directeur Général, se fondant sur le procès-verbal de délibération du jury, publie les résultats. Au moment du scandale provoqué par l’ancien Premier ministre Soumeylou Boubeye Maïga, le jury venait juste de terminer les corrections et n’avait même pas statué sur les premières notes, a fortiori ordonné les corrections supplémentaires. Quel mensonge grossier avait donc proféré Amadou Koïta en disant que le Directeur général de l’ENA s’apprêtait à publier des résultats non sincères ?
Concernant le second point, Amadou Koïta avait dit à l’époque que l’ancien Premier ministre m’avait appelé pour s’entretenir avec moi sur les informations relatives à des soupçons de corruption. Dans ma réponse que Amadou Koïta n’a apparemment pas lue, j’avais écrit que cette affirmation aussi était complètement fausse et mensongère. J’avais expliqué que l’ancien Premier ministre m’avait appelé juste pour me signifier son oukase relatif à l’annulation du concours, au motif qu’il avait des informations relatives à « des versements d’argent à plusieurs niveaux », sans en avoir apporté une preuve quelconque. Et comme dans un jeu d’enfant, il m’avait dit qu’il allait annuler le concours et m’aider à organiser un nouveau concours. Quel joli appât croyait-il m’avoir lancé ce jour-là ! On a beau être doué dans la machination, on doit comprendre que ça ne marche pas avec tout le monde.
Dans ma réponse à la première sortie mensongère d’Amadou Koïta, j’avais dénoncé au peuple malien le comportement inqualifiable de l’ancien Premier ministre Soumeylou Boubeye Maiga qui avait cru pouvoir m’intimider pour parvenir à ses fins à l’ENA. Lui et son entourage avaient ainsi monté cette cabale sous le couvert d’une pseudo-corruption, à laquelle ils disaient d’ailleurs que je n’étais pas mêlé. Mais, quelque chose ne fonctionnait visiblement pas bien dans leur communication.
Sinon, comment comprendre que d’un côté l’on dise que les versements d’argent concernaient d’autres personnes et, d’autre part, que je m’apprêtais, selon les propos diffamatoires et inconsidérés d’Amadou Koïta, à publier des résultats non sincères ? Tout le monde avait compris la légèreté de personnes qui voulaient profiter de leur position au sommet de l’Etat pour réaliser leurs basses besognes en se servant d’hommes et de femmes de main. Je fais remarquer que les résultats de ce concours ont été publiés le jour où Soumeylou Boubeye Maïga quittait la Primature, alors qu’aucune enquête n’avait été menée sur ses allégations de corruption, malgré ma demande insistante. On avait tout compris !!!
Amadou Koïta était-il présent à ma rencontre avec l’ancienne Directrice de cabinet de Soumeylou Boubeye Maïga, Madame Sidibé Zamilatou Cissé qui, après une tentative d’intimidation (parce qu’au début, elle croyait avoir en face d’elle un de ces directeurs minables comme leur milieu sait en produire) et craignant le scandale qui se profilait, m’avait supplié de revenir sur ma démission en demandant à ses collaborateurs de passer la nuit à égrener leurs chapelets ? Amadou Koïta va-t-il laisser cette fois-ci l’ancienne Directrice de cabinet de Soumeylou Boubeye Maïga démentir mes propos ? Vous savez, Monsieur Koïta, on connait vos méthodes à vous et à vos mentors, surtout celles de l’ombre : lorsque vous êtes en position de force, vous écrasez ceux qui s’opposent à vous sans état d’âme ; mais lorsque vous êtes en position de faiblesse, vous perdez toute dignité et vous cherchez à vous sauver par tous les moyens, car vous savez que vous ne signifiez rien si vous perdez vos postes. Tout ça est vraiment pathétique pour notre pays quand on pense à quel niveau de gouvernance de l’Etat cela se passe.
Concernant le troisième point, Amadou Koïta a affirmé que lorsque j’avais été appelé pour venir m’expliquer sur la situation à l’ENA, j’étais en voyage sans ordre de mission, en violation, a-t-il dit, de mon statut de fonctionnaire. En vérité, ceux qui ont monté la cabale contre moi, parce que je constituais un problème pour eux à la tête de l’ENA, ont eu raison de sous-traiter le volet « communication mensongère » avec Monsieur Amadou Koïta. Ils savent bien, puisqu’ils viennent tous du même moule, que si dans notre pays, il y a des personnes qui ont un sens aigu de leur dignité, il en existe beaucoup d’autres qui ne peuvent s’épanouir que dans la soumission et la servitude.
Ces personnes sont prêtes à toutes les bassesses et machinations pour accéder à des postes et s’y maintenir. C’est ainsi que notre système politico-administratif a été transformé en une fabrique de personnes serviles qui sont mues par la seule crainte de perdre des avantages. Finalement, la culture politico-administrative ambiante fait perdre toute dignité aux individus et l’attitude que l’on constate chez la plupart des personnes qui occupent des fonctions de responsabilité, c’est d’être méprisant envers plus faible et méprisable devant plus fort. De fait, sous des habits chics, et derrière des airs faussement hautains, se pavanent très souvent des responsables sans aucune dignité et auxquels on fait faire tout ce que l’on veut dans le secret des bureaux.
Encore une fois, les commettants de Amadou Koïta l’ont induit en erreur en lui fourguant ce nouveau mensonge sur mon prétendu voyage sans ordre de mission? J’apprends à Amadou Koita qu’à l’époque, j’avais effectué une mission en France muni d’un ordre de mission dûment établi par le Secrétariat général du Gouvernement sur la base d’une demande transmise à travers la Primature.
Dès que j’avais reçu l’invitation, j’avais aussitôt introduit ma demande d’ordre de mission pour préparer sereinement mon voyage et m’occuper de mes activités de Directeur. Je tiens à souligner qu’au cours de cette mission, j’ai présenté une communication à un séminaire scientifique organisé par le GEMDEV qui est un consortium d’universitaires provenant de plusieurs universités françaises.
J’ai eu également l’occasion de discuter des possibilités de coopération entre l’ENA et le GEMDEV. C’était une façon pour moi de mettre mes réseaux scientifiques au service de l’ENA. Au cours de la même mission, j’ai rendu une visite de courtoisie à l’ENA de France et pu échanger sur les modalités d’accès et le régime des études de cet établissement. Je me fais donc le devoir de mettre mon ordre de mission à la disposition de Amadou Koïta, à charge pour lui d’aller s’expliquer avec ses maîtres.
Dans leur complot ridicule contre moi, qu’est-ce que les mentors de Amadou Koïta ne sont-ils pas allés chercher encore ? Quelle est la moralité de responsables qui ont comme devise déconcertante : « on tente notre coup, si ça marche, on gagne, si ça ne marche pas, on ne perd pas », quitte à compromettre d’innocentes personnes, parce que vous comptez sur la peur que vous leur inspirez et leur silence. N’avez-vous toujours pas compris que vous ne pouvez faire peur qu’aux gens qui sont de la même nature que vous ? N’est-il pas temps pour Monsieur Amadou Koïta de mettre fin à son contrat de mercenariat communicationnel ?
Au demeurant, l’attitude de Monsieur Amadou Koïta est révélatrice d’un trait de notre système politique actuel qui a vu émerger ces dernières années des politicaillons braillards qui se prennent au sérieux parce qu’ils arrivent à impressionner les simples d’esprit. Par leur comportement, ils ont obligé beaucoup d’éminentes et dignes personnes soucieuses de leur respectabilité à s’éloigner de l’espace public et même à se confiner dans le silence. Dans ce boulevard qui lui a été ouvert, cette nouvelle race de parvenus n’ayant pour seule ligne de conduite que le « coûte-que-coûtisme », est en train de transformer notre Etat en un « Etat Potemkine », à l’image des « villages Potemkine ».
C’est lamentable comme certaines personnes peuvent incarner la face hideuse de la politique dans notre pays. Ceux qui ont pour seule méthode d’utiliser l’appareil d’Etat contre les gens, parce qu’ils le contrôlent pendant un moment, oublient qu’ils sont venus après d’autres personnes et que d’autres viendront après eux. Ils peuvent briser des carrières pour ceux qui y sont attachés, tenter de souiller des honneurs, attenter même à des vies. Mais, ils doivent comprendre que cet appareil pourra être utilisé un jour contre eux aussi. Ce jour-là, ils pourraient être broyés par la machine infernale qu’ils ont fabriquée et passé leur temps à alimenter.
Monsieur Amadou Koïta a dit qu’il est prêt à débattre avec moi. Dieu ! Quelle outrecuidance ! Comment ce monsieur peut-il insister pour parler d’une affaire dont il démontre à chaque sortie qu’il n’en sait absolument rien, et qu’il a été mené en bateau de bout en bout par ses maîtres. Que diantre ! Quelle téméraire servilité ! Non, Monsieur Koïta, je ne débattrai pas avec un sous-fifre. Je débattrai plutôt avec vos maitres et commettants qui ont ourdi ce complot et que vous vous évertuez piteusement à protéger avec votre bouclier percé.
Pour terminer, je voudrais attirer l’attention de Monsieur Amadou Koïta sur une évidence : quand on a le sens de l’histoire et de la dignité, on se met à l’école des sages et non pas au service des forts (qui est d’ailleurs totalement ou continuellement fort ?). Notre peuple, au cours de son histoire récente, a vu passer beaucoup de personnes qui ont occupé des fonctions au sein de toutes les institutions de l’Etat. Certains de ces responsables sont tombés dans l’oubli total. D’autres sont glorifiés encore aujourd’hui pour leurs hauts faits. Il y en a aussi qui sont devenus célèbres….seulement tristement célèbres pour leurs actes odieux ou méprisables. Chacun de nous est libre de choisir d’être une personne digne ou indigne et sans honneur.
Amadou Keïta
Enseignant-chercheur
Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako
Mali24