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Accord pour la paix et la réconciliation : six ans après

Des textes législatifs et réglementaires ont été mis en place sur les différents piliers de l’Accord. Tout comme des structures et mécanismes indispensables à sa réalisation (MOC, CN-RSS, CN-DDR). Malgré tout, le bilan reste mitigé.

Raison pour laquelle les nouvelles autorités de la Transition sont dans la dynamique d’une «mise en œuvre intelligente» du document

Le gouvernement et deux coalitions de groupes armés, la Plateforme et la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), signaient en 2015 l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger. Six ans après, les parties proclament toujours leur attachement à ce texte qui prévoit notamment une décentralisation plus poussée appelée «régionalisation», la création d’une armée reconstituée et des mesures de développement économique spécifiques pour les régions du Nord. Le tout appuyé par un effort de dialogue, de justice et de réconciliation nationale. Mais, dans la pratique, les ambitions peinent à se concrétiser et le processus de paix n’est toujours pas irréversible.

La fin des hostilités entre les belligérants est un acquis non négligeable, c’est pour cela que certains s’en satisfont. En plus, du côté du Bureau du Haut représentant du président de la Transition pour la mise en œuvre de l’Accord, l’on ne manque pas d’arguments pour expliquer que les lignes bougent. En effet, un important arsenal de textes législatifs et réglementaires a été mis en place sur les différents piliers de l’Accord.

Des structures et mécanismes indispensables à sa réalisation ont été créés et opérationnalisés, tels que le Mécanisme opérationnel de coordination (MOC), le Conseil national pour la réforme du secteur de la sécurité (CN-RSS), la Commission nationale pour le désarmement, la démobilisation et la réinsertion (CN-DDR). S’y ajoutent la Commission nationale intégration (CNI), la Commission vérité justice et réconciliation (CVJR), les Agences de développement régional (ADR).

Plus spécifiquement, sur le volet des questions politiques et institutionnelles, il faut signaler la poursuite de l’opérationnalisation des nouvelles régions et la mise en place quasi effective des autorités intérimaires. Sur le volet «Défense et sécurité », les progrès portent notamment sur l’intégration de 1.735 ex-combattants dans les forces de défense et de sécurité, le pré-enregistrement de 74.918 ex-combattants en vue du DDR intégral. Et concernant le volet « développement économique, social et culturel », on peut se féliciter de la création du Fonds de développement durable et la mise en œuvre de grands projets de relèvement et de reconstruction post-crise.

Des avancées insignifiantes? La réponse est affirmative dans certains milieux. Puisqu’elles portent globalement sur les mesures intermédiaires et les étapes préliminaires qui ne sauraient garantir la mise en œuvre des dispositions essentielles. Selon le Centre Carter, les parties ont évité de traiter de manière déterminée les dispositions centrales. Une réalité que l’observateur indépendant impute au comportement des parties, à la fois à Bamako et sur le terrain. Le Conseil de sécurité des Nations unies l’a également déploré à maintes reprises.

Il a surtout été constaté un tiraillement constant sur la prééminence des questions de défense et de sécurité ou des questions de réformes politiques et institutionnelles. Alors que le gouvernement a eu tendance à privilégier la concentration des efforts sur les questions sécuritaires, les mouvements ont priorisé l’obtention de résultats sur le plan politique. Toujours est-il que les dispositions prises sont trop partielles pour avoir un réel impact sur le terrain.

Par exemple, les deux nouvelles régions créées, Ménaka et Taoudenit, manquent de ressources. Les députés de ces régions n’ont d’ailleurs pas pu être élus lors des élections législatives d’avril 2020, car les circonscriptions électorales n’étaient pas encore établies.

DÉRIVES- Aussi, le processus de DDR s’essouffle. L’objectif fixé par le Conseil de sécurité des Nations unies en 2019 (Résolution 2480) de réintégrer 3 .000 combattants n’est pas atteint, et nul ne sait quand démarrera le DDR intégral prévu. Quant aux unités mixtes du MOC, censées ramener de la sécurité dans les grandes villes du Nord, elles circulent peu. Et la question du bataillon de Kidal n’est toujours pas résolue, la troisième compagnie étant bloquée à Gao. De plus, les deux compagnies stationnées dans le Camp I de Kidal depuis février 2020, ne sont pas opérationnelles. Par ailleurs, certains anciens combattants, membres du MOC ou de l’armée reconstituée, sont impliqués dans des actes de banditisme ou de trafic.

Les volets «Développement» et «Réconciliation» connaissent également des difficultés. Un Fonds de développement durable a certes été créé, mais le partage des responsabilités de gestion fait encore l’objet de débats. Et ce Fonds reste insuffisamment doté avec moins de 50 milliards de Fcfa, dont 1,3 milliard de contribution de la France.

Le retrait du drapeau à Kidal et son remplacement par des fanions séparatistes, l’extension territoriale de la CMA qui établit des bases et check-points bien au-delà du territoire contrôlé initialement, les défilés militaires impressionnants qui sont contraires à l’esprit du désarmement, les textes réglementaires décrétés par la CMA, les connivences avec les terroristes que les ex-rebelles refusent de combattre… Les dérives ne manquent pas par rapport à l’esprit de l’Accord.

Aujourd’hui, tout le monde convient que le non-désarmement des ex-combattants constitue un terreau fertile de l’accroissement de l’insécurité. Dans son rapport de févier 2020, l’observateur indépendant reflétait des convictions que les actes de banditisme, d’enlèvements, débarquages et de vols à mains armées sont commis principalement par les membres armés des Mouvements.

Les mouvements ont également introduit des obstacles, à travers les suspensionsde leur participation au processus, le non respect des arrangements sécuritaires sur le déplacement de leurs combattants, et la mise en place de dispositifs de sécurité ad hoc qui ont semé le doute sur leur volonté de démanteler, à terme, leurs branches armées.

Ajoutez que la prépondérance de la Coordination sécuritaire des mouvements de l’Azawad de Kidal (CSMAK) sur les missions de sécurisation dans la ville de Kidal n’est pas de nature à favoriser le redéploiement des forces de sécurité et de défense reconstituée. En plus, soutient un ancien diplomate français en poste dans notre pays, si l’esprit de l’Accord n’est pas respecté, «c’est bien aussi parce que les groupes armés signataires ne représentent qu’eux-mêmes et non les populations du Nord qui sont censées bénéficier de l’Accord».

Cependant, les responsables de la CMA, par la voix de Maouloud Ould Ramadane, estiment que «six ans après la signature de cet accord, les résultats ne sont pas satisfaisants. Pour nous, la faute incombe au gouvernement».

OPPORTUNITÉ D’AVANCER- Les acteurs ne peuvent pas se satisfaire de la situation actuelle, même si, d’un autre côté, personne n’a envie qu’une pression excessive compromette la stabilité trouvée. Raison pour laquelle, l’équipe de médiation internationale doit peser de tout son poids en exerçant une pression suffisante sur les parties pour garantir une mise en œuvre diligente.

Singulièrement sur les mouvements signataires qui ont intérêt à conserver le statu quo, puisqu’ils jouissent déjà de facto d’une très large autonomie sur le terrain. Et, au même moment, une grande partie de leurs cadres occupent des fonctions rémunératrices au sein des instances qui accompagnent la mise en œuvre de l’Accord, comme le CSA et les autorités intérimaires.

Six ans après la signature de l’Accord, il reste essentiel de combler cette autre lacune : informer et sensibiliser l’opinion publique sur son contenu. Selon Mali-Mètre de mars 2020, « la très grande majorité des citoyens enquêtés (80,1%) a déclaré n’avoir aucune connaissance du texte ». Les acteurs du processus prouvent qu’ils ont bien cerné cet enjeu, en délocalisant les sessions du Comité de suivi dans les régions. Après Kidal, Kayes avait accueilli la 42è session.

D’autres régions sont en lice. Ce seront des occasions pour expliquer que la régionalisation est une réforme nationale qui n’est pas spécifique au Nord et que les autres collectivités ont tout à gagner de ce processus qui leur garantirait un niveau considérable de transfert de compétences et de ressources.

Pour plus d’un analyste, la Transition en cours est l’opportunité d’avancer de manière renouvelée. Pour ce faire, estime l’observateur indépendant dans son rapport de décembre 2020, les acteurs auront besoin de remplacer la « rhétorique par des actions concrètes et des concessions courageuses ». à cet égard, affirmer la souveraineté nationale en restaurant les services sociaux de base et la sécurité pourrait être une formule clé.

Dans cette perspective, on peut déjà se réjouir de la place prioritaire donnée à l’Accord dans les missions consacrées par la Charte de la transition et l’entrée au gouvernement de représentants de l’ensemble des mouvements signataires. Aussi, la «mise en œuvre intelligente et efficiente » de l’Accord, annoncée par le colonel Assimi Goïta dans son discours d’investiture, permettra certainement de repréciser les contours et d’avancer réellement dans l’application du texte.

Issa DEMBÉLÉ

Source: Essor
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