L’opération Barkhane a rencontré, en novembre dernier, au Mali, Abdoulaye dit Allaye, un jeune « djihadiste » repenti qui avait rejoint les groupes armés, dans l’espoir de gagner beaucoup d’argent. Les militaires français, qui ont rencontré le jeune «combattant», par l’intermédiaire des habitants d’un village, ont recueilli son histoire qu’il raconte, volontiers mais non sans remords
image d’illustration.
Barkhane : Que font les «djihadistes» de l’argent qu’ils extorquent aux populations comme «zakat» ? Vous le donnent-ils comme frais de transport pour vous rendre dans les villages ? Comment font-ils?
Abdoulaye dit Allaye : Malgré tout ce temps que j’ai passé avec eux, je n’ai jamais su ce qu’ils font de l’argent collecté. L’argent est pour nos chefs. Nous ne savons pas comment ils l’utilisent. Les chefs sont les seuls à savoir à quelle fin l’argent est utilisé.
Nous, nous sommes des enfants. Mais, je sais aussi qu’ils ne donnent pas de l’argent aux gens parce que j’ai parlé avec un ancien. Il y a beaucoup d’enfants, comme moi, que j’ai côtoyés là-bas. De nouvelles recrues m’ont dit que les chefs ne donnent pas de l’argent aux enfants et que même pour manger à sa faim, c’est compliqué. Les chefs, eux, savent la destination de tout ce que nous collectons et comment il est utilisé. Vraiment, je ne sais pas. Par contre, je sais que ce travail n’est pas bon.
Barkhane : Avec cet argent collecté comme «zakat», les «djihadistes» achètent-ils du matériel, des équipements (véhicules, armement et motos) ?
A.A : Quand on est nouvellement enrôlé, on ne peut pas avoir d’informations. Parce que les chefs ne nous font pas confiance au début. En outre, ils estiment que nous sommes des enfants. Il y a des personnes qui ont des armes et des motos neuves. À moi-même, ils ont dit que j’aurai une arme. J’ai déserté avant d’obtenir cette arme. Chaque fois, les motos faisaient des allers et retours, de jour comme de nuit. Souvent, il y a de l’animation mais, je n’ai jamais vu de véhicules.
Barkhane : Toi et les nouvelles recrues, ils (djihadistes) vous ont-ils donné de nouvelles affaires ou pas ?
A.A : De notre arrivée jusqu’à ma fuite, nous n’avions que nos vieilles affaires (habits et objets) qu’on avait apportées avec nous. Nous n’avons jamais changé d’habit. Même pour manger, c’était un problème. Quand aux chefs, ils portent toujours de nouveaux et de beaux habits. Ils roulent sur des motos neuves et ont de nouvelles armes. Ils mangent bien et copieusement. Même s’ils veulent manger de la viande, c’est facile pour eux.
Barkhane : Est-ce qu’ils prenaient soin de toi et de tes compagnons ?
A.A : Mes compagnons et moi souffrons parce que nous ne mangions pas à notre faim. Pour boire de l’eau, ce n’était pas facile tandis que nos chefs ont de gros bidons d’eau, des téléphones portables pour appeler. Nous, les enfants, nous ne trouvions même pas de l’eau pour faire nos ablutions pour la prière.
Nous sommes totalement différents des chefs parce qu’ils ont beaucoup de privilèges. Ils nous ont menti en nous disant que leur lutte a pour but de restaurer l’islam et le travail pour Dieu.
Barkhane : Regrettes-tu d’avoir rejoint leur groupe ?
A.A : Aujourd’hui, c’est mon plus grand regret d’avoir intégré leur mouvement. Vous savez, ils ne m’ont pas dit la vérité, parce que le vieux qu’ils ont tué devant mes yeux est un musulman qui vit simplement avec ses troupeaux. Je le connais. Nous sommes du même village. Si je ne fais pas attention, ils vont s’attaquer, un jour, à toute ma famille.
Barkhane : Toi qui avais pris les armes pour suivre ces gens-là et, après avoir compris maintenant que c’est un mauvais chemin, que penses-tu, aujourd’hui, dans ta tête ?
A.A : Comme je vous le disais dans la première partie de l’interview, je pensais que c’était des pratiquants de l’islam. Lorsqu’ils m’ont donné l’arme, je me sentais fort comme un homme, prêt à aller sur le front pour la cause de l’islam, dans la voie de Dieu. Mais, au fil du temps, j’ai compris que ces gens-là n’étaient pas de fidèles pratiquants de la religion musulmane. C’est pourquoi, un jour, comme je vous l’ai déjà raconté, au crépuscule, pendant que tout le groupe était profondément dans la prière, je me suis éclipsé.
Je suis arrivé dans un village et j’ai demandé mon chemin aux habitants. C’est ainsi que j’ai pu retrouver ma famille. N’empêche, j’ai tué beaucoup de personnes. J’ai fait beaucoup de mal. Je remercie Dieu de m’avoir aidé à quitter ce groupe.
Si j’ai un seul conseil à donner aux enfants et même aux autres, tentés par cette aventure, c’est de leur dire de ne pas suivre ces gens-là qui ne sont musulmans que de nom, parce qu’ils ne pratiquent pas l’Islam. Ce sont des mécréants.
Interview réalisée par Barkhane
Source: L’Essor