Transformée en capitale des motos et de l’incivisme routier depuis la crise politico-militaire de septembre 2002 dont elle était l’épicentre, la ville de Bouaké a décidé de faire sa mue depuis jeudi dernier, en sanctionnant dorénavant l’indélicatesse des usagers sur ses routes.
Malgré le retour de l’administration centrale dans cette deuxième ville du pays en 2007, aucune autorité locale n’avait encore réussi ce pari.
Ville cosmopolite de plus de 1,5 million d’habitants selon le dernier Recensement général de la population et de l’habitat (RGPH 2014), aucun chiffre officiel ne peut dire avec exactitude le nombre d’engins à 2 ou 3 roues en circulation dans ce chef-lieu de région de Gbêkê.
« La quasi-totalité de ces engins en circulation est arrivée sur le marché de Bouaké après s’être faufilée entre les mailles des douanes ivoiriennes », affirme à ce sujet une source bien introduite auprès de Côte d’Ivoire Logistique, le concessionnaire principal de l’Etat de Côte d’Ivoire dans la chaîne d’importation, de dédouanement et d’immatriculation de tous les véhicules neufs ou usagers entrant sur le territoire ivoirien.
« Quand les rebelles ont pris Bouaké en 2002, ils n’avaient presque pas de voitures en leur possession. Ils se sont donc accaparés certains véhicules de particuliers et de transporteurs », se souvient de son côté un responsable de syndicat de transporteurs qui a requis l’anonymat.
« C’est ce qui explique la percée des motos comme moyen de transport en commun à Bouaké et dans les autres villes du Centre-Nord-Ouest ivoirien alors sous la domination des rebelles », estime la même source avant d’ajouter que « comme il n’y avait plus de service de douanes à la frontière avec le Mali et le Burkina Faso, la prolifération de ces engins à Bouaké a continué de plus belle jusqu’à ce jour ».
Animant un point presse mardi, le préfet de région, préfet du département de Bouaké, Tuo Fozié a relevé que « l’incivisme est certes constaté ailleurs mais ce n’est qu’à Bouaké qu’elle a pris une dimension exceptionnelle ».
C’est pourquoi, il passe à une phase « déterminante » du contrôle sur le terrain après le lancement en novembre dernier de la 1ère phase de cette campagne composée de rencontres foraines entre autorités administratives et sécuritaires, et forces vives de la ville.
Près de 1000 cas d’accidents impliquant des motos à deux ou trois roues ont été enregistrés en 2018 à Bouaké, selon des statistiques du service de la voie publique de la préfecture de police de la ville.
Au cours de cette même année 2018, en seulement 6 mois, ce sont près de 90 personnes qui ont été tuées dans les accidents de motos, ajoute une autre source sécuritaire, dénonçant cette situation d’insécurité routière qui est devenue comme une «accoutumance » pour les populations de la deuxième ville ivoirienne.
Pour lui, c’est comme si dans la conscience collective, ces morts «n’étaient pas encore nombreuses » pour impulser une véritable prise en main de cette hécatombe qui ne dit pas son nom.
« Sur 10 accidents de la circulation routière à Bouaké, 8 sont provoqués par des motocyclettes », soulignent d’autres chiffres officiels, rapportés par les autorités sécuritaires.
Les causes fréquentes de ces accidents s’expliquent en grande partie par l’incivisme des automobilistes et des motocyclistes, souligne un rapport de la police de Bouaké. Il s’agit entre autres du non-respect du code de la route, de la vitesse excessive, du mauvais dépassement, du surnombre sur les motos et tricycles, des cortèges et autres parades à l’occasion des mariages.
Des défauts mécaniques matérialisés par des véhicules et motos sans rétroviseurs ainsi que de nombreux cas d’outrages aux forces de l’ordre et l’occupation anarchique des chaussées font également parti des causes de ces accidents, conclut ce document.
Pour le préfet de Bouaké, cette phase de sensibilisation sur le terrain a pour objectif dans un premier temps, de faire respecter le port du casque par les usagers des motos, les obliger à souscrire à une police d’assurance, et veuillez à ce qu’ils respectent la signalisation des feux tricolores.
En Côte d’Ivoire, le reçu d’achat et la fiche de polissage de la douane fournie par le vendeur, puis la carte grise, le coupon de la visite technique, la plaque d’immatriculation et une attestation d’assurance sont obligatoires avant la mise en circulation de tout engin à deux ou trois roues. Aussi, le conducteur de la moto doit être détenteur d’un permis conduire de la catégorie A, précise la réglementation en vigueur.
«Nous ne sommes pas encore à ce stade, cela va se faire progressivement », a précisé M. Tuo à la presse, insistant sur l’obligation faite aux usagers à cette étape de la sensibilisation, de se munir d’abord d’un casque de protection et d’une police d’assurance et bannir tout comportement de non-respect des feux tricolores, premier gage selon lui du retour d’un minimum de la sécurité sur le voies de la ville.
Pour sa part, l’expert en sécurité routière et Directeur régional des transports de Gbêkê, Brahima Sako pense que près de 85% des usagers cyclistes de Bouaké « ne comprennent pas le langage de la route ».
«Dès que les gens achètent une moto ils l’utilisent automatiquement (sans passer par l’auto-école)» utilisant sans le savoir « la voie publique qui obéit à une certaine réglementation, surtout le code de la route qui est un apprentissage du langage de la route et de son application sur la voie publique », avait-il confié à APA en marge d’une journée de sensibilisation sur les méfaits de l’alcool, la drogue et autres excitants dans la conduite automobile dans la ville de Bouaké.
En outre, recadre Tuo Fozié, il ne s’agit pas à travers cette campagne, de retirer toutes les motos de la circulation à Bouaké parce que ce moyen de transport en vogue dans la ville est devenu par la force des circonstances un grand pourvoyeur d’emplois pour les jeunes.
Dominé par le secteur du transport public de personnes (taxi moto) et du transport de marchandises (tricycle) autour desquels gravitent des activités connexes telles que la mécanique et la vente des pièces de rechange et autres accessoires, ce secteur informel contribue fortement dans l’économie locale.
Il faut que « nous profitons de cette campagne pour organiser ce secteur » parce que « notre objectif premier est d’assurer la sécurité sur la voie publique et non de jouer un coup sur l’économie locale », admet M. Tuo.
Le marché informel en Côte d’Ivoire représente entre 30 et 40% du Produit intérieur brut (PIB) du pays, selon un rapport du Fonds monétaire international (FMI) publié en juillet 2017.
« Apres la sensibilisation des couches de la société nous sommes à la phase de sensibilisation pratique sur le terrain, qui consiste à contrôler les pièces afférentes et veuillez au respect de la mesure du port du casque », a fait savoir pour sa part, le préfet de police de Bouaké, Maxime Mobio, retrouvé en plein contrôle à un grand carrefour de la ville.
« Depuis jeudi, vous constatez que les usagers d’engins à deux roues respectent désormais le port du casque », a-t-il ensuite fait remarquer.
Aux dernières nouvelles une manifestation des conducteurs de taxi moto serait en vue à Bouaké pour protester contre ces nouvelles mesures.
CK/ls/APA