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42 ans après sa disparition : Que reste-t-il de l’œuvre de Modibo Keïta ?

«Après l’indépendance acquise dans un désastre politico-social, des contradictions aiguës sont apparues entre les intérêts immédiats des Maliens en tant qu’individus et les intérêts supérieurs du Mali en tant que nation vouée à son destin historique. Le Soudanais était devenu le Malien et ceci n’est pas une simple question de vocable. Il y a entre le Soudanais et le Malien une différence de qualité dans le comportement et dans la vision du monde. Le premier était réputé pour son attachement à certaines valeurs traditionnelles comme la franchise, la fidélité à la parole donnée et à l’amitié sans calcul, l’honnêteté et l’intégrité. Toutes ces valeurs morales étaient acquises dans une ambiance sociale qui lui enseignait le courage et la tolérance au point d’en faire un homme résigné et fataliste… capable de sacrifier l’intérêt individuel au salut de la collectivité, le présent aux incertitudes dans l’avenir.

Le Malien au contraire, apparaît plus matérialiste, (au sens populaire) plus calculateur. Il est le produit bâtard d’une manœuvre politique à laquelle l’a initié le colonisateur…» (Tiégoué A. Ouattara).

Modibo Keïta a conduit notre pays à l’indépendance nationale. Cette indépendance, il faut le rappeler, a été conquise de haute lutte au prix des  privations et des sacrifices ineffables. Un travail patriotique a été engrangé par le régime nationaliste de Modibo Keïta. Il convient de rappeler avec modestie quelques unes de ses grandes et multiples œuvres accomplies. Ainsi:

– Dans le domaine scolaire, Modibo Keïta a procédé à une refonte totale du système éducatif colonial adopté chez nous par le colonisateur français. Cette refonte s’est matérialisée par la mise en route d’un enseignement de masse et de qualité à la lumière de la Réforme de 1962. Partout des écoles ont été construites pour l’application de cette réforme pour le moins audacieuse. L’Ecole normale secondaire (ENESEC) et l’Ecole normale supérieure (ENSUP) ont permis à notre pays de se doter des meilleurs cadres qui ont fait la fierté de tout notre peuple sorti du joug de l’administration coloniale.

– Dans le domaine économique, il convient de rappeler qu’en huit ans, plus d’une vingtaine d’usines de transformation de produits nationaux ont vu le jour dans notre pays.

– Dans le domaine agricole, les résultats parlent d’eux-mêmes. Lisons à cet effet feu Amadou Seydou Traoré (jadis appelé Amadou Djicoroni). Il a écrit: «Le gouvernement du Mali a aménagé en 1960, 37660 hectares nouveaux, creusé 161 puits, distribué 27796 charrues et 3340 tonnes d’engrais chimiques, ouvert 38 écoles saisonnières. Dans le domaine de l’élevage, le Mali indépendant a dressé dans son premier quinquennat (1960-1964) 19 postes vétérinaires, 32 parcs de vaccination en vue de soigner le cheptel.

Pour enrichir le domaine agricole, le ministère du Développement a introduit de nouvelles variétés de culture comme la canne à sucre, le thé, le café, le teck (pastèque), l’anacardier dont les bois, les fruits et amandes s’ajoutent aux produits se trouvant déjà sur le terrain de la commercialisation.» C’est là qu’il convient de dire au passage que la Société malienne d’importation et d’exportation (SOMIEX) a réussi son pari.

– Les résultats agricoles du premier quinquennat parlent d’eux-mêmes. Amadou Djicoroni nous a confié: «En 1960, le Mali a récolté 125000 tonnes de riz paddy en 1964; 210 000 tonnes en 1960; nous avons récolté 105000 tonnes d’arachide en coques et 128000 tonnes en 1964. La production du coton a connu une augmentation de 6500 tonnes en 1964».

– Modibo Keïta avait compris que sans indépendance économique réelle, il n’ ya pas  d’indépendance politique réelle. Aussi, avait-il réalisé que sans indépendance monétaire il ne peut y avoir d’indépendance économique véritable. L’on comprend donc pourquoi le franc malien avait été frappé.

Lisons à cet effet Amadou  Tiégoué Ouattara: «Le Mali a créé sa monnaie le 20 juin 1962. Il devient nécessaire pour la sauvegarde de la nouvelle monnaie de réviser son plan trop ambitieux. Ce plan devient quinquennal et les investissements sont ramenés de 105, 4 milliards de F CFA à 78,2 milliards de franc malien.»

L’on comprend que les réalisations et les programmes ambitieux du régime nationaliste de Modibo Keïta exprimaient, si besoin en était, sa ferme détermination de réaliser une société nouvelle où les citoyens se sentiront vraiment chez eux.

Face à cette volonté politique sans faille de Modibo Keïta de faire de notre pays un grand parmi les grands, jalouse de cet élan révolutionnaire de notre peuple, la France ne pouvait rester les bras croisés étant entendu qu’elle vit de nous. Le lieutenant Moussa Traoré, alors instructeur de la milice populaire, a décidé de trahir son serment et son peuple au bénéfice du colonialisme français et aux dépens de son propre pays. C’était un sombre jour de 19 novembre 1968. C’est depuis ce coup d’Etat apatride de Moussa Traoré que le Mali est tombé, hélas ! Pour s’assurer que les patriotes ne remettront pas Modibo Keïta au pouvoir, le régime Moussa a annoncé, le 16 mai 1977 que l’instituteur à la retraite «Modibo Keïta est mort de mort naturelle». En fait, en mai 1977, suite à la grève des élèves et étudiants du Mali dénommée grève Boniface Dembélé, la jeunesse malienne a réclamé la libération immédiate de notre président. Ce 16 mai 1977, le président est mort au camp para de Djicoroni (selon toutes les informations qui nous sont parvenues ce triste jour).

Quarante-deux ans (42) après cette nébuleuse mort, la lumière n’est toujours pas faite sur les circonstances réelles de cette disparition. Quarante-deux (42) ans après, que reste-t-il de cette œuvre patriotique gigantesque du président Modibo Keïta ?

Il faut dire que pendant dix longues et puantes années, les putschistes de 68, regroupés au sein du Comité militaire de libération nationale (CMLN) ont jeté les bases de la sape de la dignité de notre peuple travailleur. Pendant ces années de pilotage à vue de nos affaires, le régime militaire a orchestré un vide politique. Ce qui lui a permis de tuer l’esprit patriotique en ce peuple travailleur.

Le travail de sape entrepris par le parti mort-né en l’occurrence l’Union démocratique du peuple malien (UDPM) a fini par avoir raison de la probité morale et du sens élevé de l’honneur et de la dignité nationale. Moussa Traoré a ainsi semé et arrosé les graines et les plantules de la gabegie, de l’affairisme, de la corruption, de la délinquance économique et financière. Pendant vingt-trois longues années de dictature militaro-udpmiste de Moussa Traoré, notre peuple a vécu dans sa chair et dans sa conscience les affres d’un régime apatride.

Las de la gestion chaotique de nos affaires par un régime corrompu, notre peuple s’est levé comme un seul homme pour dire que trop, c’est trop. Le mouvement dit ‘’mocratique’’ a eu raison de ce régime  qui a fait tomber le Mali. L’histoire se chargera d’établir la vérité dans affaire.

Le 26 mars 1991, le général Moussa Traoré est arrêté à la satisfaction des travailleurs du Mali. L’espoir d’un Mali nouveau réapparaissait en notre peuple. Parce que son cri de cœur était: changement, changement, kokadjè. Hélas ! La montagne ‘’démocratique’’ a accouché d’une souris désagréable.

Pendant les dix ans de gestion d’Alpha Oumar Konaré, les Maliens se sont confortablement installés  dans les contrefaçons, détruisant ainsi le tissu socioéconomique national. La corruption et la délinquance financière se sont fortement enracinées chez nous et cela dans la durée. Il était donc prévisible que le régime de Amadou Toumani Touré (ATT) se livre à cœur joie aux contes et fables tout en oubliant que c’est du changement véritable dont les Maliens avaient besoin. ATT à qui les enfants ont dit qu’ils mourront pour lui n’a trouvé d’autres réponses à ce cri de cœur que d’amuser la galerie pendant neuf bonnes années.

Aujourd’hui, il faut dire que même les rats de couloir ont senti que notre pays se trouve en plein dans le formatage complet de toutes nos valeurs nationales. C’est le lieu de dire que la démocratie à la malienne a fabriqué des ressources humaines qui brillent par l’affairisme, le dédain du travail bien fait et par l’obscurantisme béant.

Aujourd’hui, l’on ne peut en toute responsabilité indiquer où va le Mali.

Pour tout dire, l’œuvre patriotique de Modibo Keïta a été lâchement enterrée par les politiciens véreux qui ne jurent que par la forfaiture et en lieu et place voilà les vautours de la politique s’affairer autour des hommes et des femmes agonisants dont le seul crime est d’être nés dans la pauvreté.

Pour un Mali nouveau, il faut des femmes et des hommes qui aiment sans réserve leur pays et leur devoir.

Fodé KEITA

Source:  Inter De Bamako

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