Le Mali a connu trois régimes différents depuis son accession à la souveraineté internationale en septembre 1960. Le socialisme, la dictature et la démocratie. Aujourd’hui, l’on est tenté de se demander si le pays a vraiment connu cette démocratie.
« La démocratie est un idéal, ce n’est pas un état donné. Si on part de ce constat, on pourrait dire que la démocratie malienne est en construction, avec des faiblesses et des forces, avec des erreurs et des progrès. A un moment donné, notre pays était considéré comme l’un des plus avancés en matière démocratique. Nous avons constaté des reculs mais l’idéal démocratique au Mali est encore très fort. Nous avons un pays où les libertés fondamentales sont respectées, la presse est libre, les partis fonctionnent même s’il y a des améliorations à faire », a déclaré Moussa Mara, ancien Premier ministre.
Quant à Mamady Kaman Kanté, Président de la jeunesse du Parti MODEC, le pouvoir du peuple, par le peuple semble une utopie après 30 ans : « Après près de trente ans de gouvernance démocratique, force est de constater que la déception du peuple est à la dimension de ses espoirs en matière de gestion des ressources publiques. En effet, la triste réalité est qu’au cours de cette gouvernance démocratique, le peuple assiste impuissant à un développement sans précédent de la corruption, du détournement de biens publics, du népotisme et du clientélisme dans la gestion des affaires publiques. La prépondérance des intérêts privés sur l’intérêt général dans le processus de la gouvernance à tous les niveaux s’est traduite par l’incapacité de l’État à assurer ses fonctions régaliennes, notamment en matière de défense du territoire national et de la distribution de la justice. D’où la perte d’exercice de la souveraineté nationale sur les régions du nord. De l’avènement de la démocratie à nos jours, le Mali a connu deux coups d’Etat voulant à chaque fois apporté un changement sans jamais y parvenir. Le principe du pouvoir du PEUPLE par le PEUPLE et pour le PEUPLE est loin d’être acquis tant qu’il n’y a pas une véritable rupture de système ».
« Je peux dire que le Mali a connu la démocratie parce que nous sommes sortis d’une situation très difficile. En 1991 si l’ensemble des écoles au niveau de Bamako ne dépassaient pas six. Aujourd’hui nous avons quatre grandes écoles professionnelles et techniques. Au niveau des écoles supérieures nous avons sept. Il y a aujourd’hui vingt lycées par quartier à Bamako. Les gens peuvent se diverger sur la qualité de l’école, pour moi là, c’est un débat littéraire », souligne, Nouhoum Togo, politicien.
Le défenseur du droit aux libertés, rassure, en ce qui concerne la presse, les acquis sont notoires : « Il y a eu l’opportunité pour donner la parole aux uns et autres pour parler sur la démocratie. Aujourd’hui nous avons plus de 400 radios qui émettent sur l’étendue du territoire national en véhiculant les informations. Nous avons ainsi la presse écrite et la télé qui donnent la possibilité aux uns et aux autres de parler. Avant on ne pouvait pas critiquer le pouvoir on risquait de se retrouver en prison, voire être assassiné. Et maintenant on peut critiquer les décisions gouvernementales à travers les médias et tout cela parce que la démocratie a évolué. Il faut savoir que la vraie démocratie c’est des rêves. Elle est quand même une belle femme qu’il faut en entretenir. Dans les pays (États Unis, France et autres) d’où la démocratie a été créée, on peut le dire, tout n’est pas rose chez eux. Alors on peut dire qu’au Mali nous avons connu la démocratie et qu’il reste bien entendu beaucoup à faire », a-t-il martelé.
Kaou Abdramane Diallo, entrepreneur : « Le 26 Mars 1991, le Mali rompait avec 23 ans d’une dictature militaire caractérisée par une absence de liberté politique et d’expression…Par cette interruption, le Mali, à l’instar de beaucoup d’autres pays africains, venait de rentrer dans le multipartisme intégral et le pluralisme politico syndical. 30 ans plus tard, beaucoup d’eau a coulé sous le pont avec des hauts et des bas, le Mali a tracé son chemin dans l’ère démocratique. Tantôt par certaines avancées majeures obtenues en termes de libertés civiques et démocratiques. Pour autant l’arbre ne doit pas cacher la forêt, certes au Mali on peut écrire, parler et agir librement pour autant qu’on respecte les lignes rouges établies. Mais à côté, nous avons beaucoup de coups de canifs de temps en temps sur ce joli tableau. Encore aujourd’hui au Mali, les représentants élus continuent de bafouer la démocratie en détournant la confiance placée en eux, une minorité continue de confisquer la part qui revient à majorité écrasante dans une relative indifférence et cela se conclut souvent par des ruptures brutales préjudiciables à notre marche vers la quête démocratique. L’idéal démocratique est un perpétuel combat à conquérir, rien ne va de soi et il faut sans cesse être vigilant et se battre pour chaque centime de liberté et d’acquis sociaux démocratiques. En définitive, on peut dire que notre pays s’en sort bien mais pour autant il ne doit pas dormir sous ses lauriers ».
Seydou Baba Traoré, enseignant : « 30 années d’adaptation de la démocratie aux réalités sociales, et toujours l’on est au même point s’agissant de la gestion de l’État. Les maux décriés pendant la dictature ont continué de plus belle et ce, par ceux-là même qui l’ont combattue. Ainsi, nous assistons impuissants au foisonnement des fonctionnaires milliardaires, des autorités corrompues donc à un peuple corrupteur. C’est ce qui fait qu’en 30 années de démocratie le Mali a connu 2 coups d’État. Inconcevable dans un État de droit. Malgré que la démocratie soit mal interprétée par bon nombre de personnes, son avènement a apporté certains avantages qu’il nous faut à tout prix conserver car les autorités surtout celles en place, essayent de confisquer ; il s’agit de la liberté d’expression qui a été acquis au prix du sang des martyrs tombés. Le Mali peine à asseoir véritablement les bases d’un régime réellement démocratique ».
Mme Diarra Awa Diallo, ménagère : « Cette démocratie a été mal entretenue par les hommes politiques qui tapent la poitrine d’être les acteurs de la démocratie. Au fait, il y a eu trop de gabegie au denier public sinon la démocratie allait permettre que le Mali soit un pays émergent. Pour qu’on puisse bénéficier de la démocratie, il faut mettre fin à la corruption, au détournement du fonds public et à l’impunité. Ce qui faut ainsi savoir la démocratie ne doit pas être le synonyme de laisser-aller. Il y a un principe dans la démocratie, c’est le respect des lois de la République et cela est valable pour tous », conclut-elle.
Propos recueillis par S.K. KONE
Source: Bamakonews