Au Tchad, la province du Mayo-Kebbi Ouest à la frontière avec le Cameroun est régulièrement le théâtre d’enlèvements. La population dénonce la passivité du gouvernement et des complicités locales.
C’est un phénomène qui dure de plus de dix ans dans cette province frontalière du Tchad avec le Cameroun. Des groupes d’hommes arrivent durant la nuit dans les villages et villes de cette région, prennent des familles en otage, enlèvent quelques personnes et s’enfuient au Cameroun voisin en laissant sur place leurs numéros de téléphones.
Une fois joints par les parents des victimes, les ravisseurs exigent des rançons qui s’élèvent à environ 10 millions de francs CFA par otage pour leur libération.
Le journaliste Nestor Deli Sainzoumi a publié en 2017 un ouvrage intitulé « Penser les prises d’otages contre rançon », afin d’attirer l’attention des pouvoirs publics.
L’auteur avoue qu’il est difficile d’établir une statistique précise car souvent les victimes refusent de signaler les cas d’enlèvement par peur de représailles :
«Il y a eu énormément des cas qu’on ne peut pas comptabiliser, mais malgré cela nous sommes arrivés à avoir quelques données chiffrées. Par exemple, en 2006, il y a eu environs 90 enfants enlevés. Et il y a eu presque 90.000.000 de francs CFA de rançons versés par les parents pour la libération des enfants enlevés. En 2018, nous avons enregistré une vingtaine de personnes enlevées avec paiement de rançons. Côté camerounais, en 2017, il y a eu 72 personnes enlevées et la rançon est estimée à plus d’un milliard de francs CFA.»
La population complice ?
De son côté le chargé de mission du chef de l’opposition tchadienne Marcelin Passalet Kanabé, natif de cette région, estime les criminels opèrent en complicité avec les autochtones :
«On ne peut pas parler d’enlèvement contre rançon sans l’aide des habitants locaux. Nous sommes en partie responsables de ce qui nous arrive parce que nous sommes complices. Quand l’opération a lieu vers 23 heures, l’intervention des agents de sécurité arrive parfois le lendemain à huit heures ou dix heures. Entretemps, les ravisseurs ont déjà traversé vers le Cameroun avec les otages. Le gouvernement est incapable de maitriser cette situation. Le Tchad a une armée aguerrie, on intervient partout, au Mali, au Niger, au Nigeria, mais on laisse les Tchadiens souffrir. Cette année, on a eu une vingtaine d’enlèvements avec trois morts où l’on a égorgé des gens par ce qu’ils refusaient de payer les rançons.»
Coopération entre les Tchad et le Cameroun
De l’avis de Jean-Bernard Padaré, le chargé des affaires juridiques du Mouvement patriotique du salut, le parti au pouvoir, il n y a que la coopération entre le Tchad et le Cameroun qui puisse enrayer ce phénomène :
“Le gouverneur de la Province du Mayo Kebbi Ouest m’a dit qu’il y a un bataillon de 100 hommes qui est envoyé mais pour faire quoi ? Ce sont des bandits venant du Cameroun donc c’est ça la difficulté. Il faut une force mixte tchado-camerounaise pour pouvoir enrayer ce phénomène. Si ce n’est pas le cas ça risque d’être compliqué. Dans tous les cas, nous allons suggérer aux plus hautes autorités de faire en sorte que ce phénomène cesse.”
Certains habitants évoquent un phénomène entretenu par certaines autorités traditionnelles et militaires. En septembre 2013, le chef du village de Matta Léré a ainsi été accusé d’être complice des ravisseurs et a été tué avec d’autres notables par des habitants de sa circonscription.
Source: dw