Le 27 mars, l’Allemagne, la Belgique, le Danemark, l’Estonie, la France, la Norvège, les Pays-Bas, le Portugal, la République Tchèque, le Royaume-Uni et la Suède ont annoncé soutenir «politiquement la création d’une Task Force pour assister les forces armées maliennes dans la lutte contre les groupes terroristes et appuyer les efforts actuellement déployés par l’opération Barkhane et la force conjointe du G5 Sahel».
Les faits, rien que les faits…
Pour rappel, à l’automne dernier, la France a décidé de créer une unité de forces spéciales européenne nommée Takuba pour venir en aide à l’armée malienne après les deux attaques terriblement meurtrières contre les camps militaires de Mondoro et Boulkessi. Paris a déployé une grande énergie et beaucoup de volontarisme pour convaincre ses partenaires européens de le rejoindre dans cette aventure qui aurait dû débuter à l’été 2020.
Cette annonce du 27 mars pourrait donc être interprétée comme une victoire de Paris. Or, il n’en est rien. Comme le précise le communiqué, il s’agit bien d’un soutien politique et non pas d’un soutien opérationnel. C’est une déclaration d’intention, de la communication destinée à masquer les profondes divisions européennes liées à l’épidémie.
Dans les faits, l’Allemagne a, depuis le début, annoncé son refus de participer. Compte tenu du «bourbier sahélien», elle ne souhaite pas se lancer dans une aventure où il y a beaucoup de coups à prendre et surtout rien à gagner. Il est vrai qu’Angela Merkel et son gouvernement ont toujours su faire preuve d’une solidarité sans faille avec les autres États membres, comme cela a été prouvé naguère lors de la crise grecque et comme elle le montre aujourd’hui en refusant le partage de la dette avec les pays du sud, notamment avec l’Italie frappée de plein fouet par la maladie.
Idem pour le Royaume-Uni, dont la période transitoire post-Brexit devrait se prolonger au-delà du 31 décembre puisque les négociations avec l’Union européenne (UE) ont été mises en quarantaine pour cause de pandémie: c’est non. Boris Johnson n’enverra pas de forces spéciales guerroyer dans le Sahel aux côtés de la France.
La Norvège, qui ne fait pas partie de l’UE mais qui est membre de l’OTAN, comme tous les pays qui ont signé cette déclaration, aurait bien voulu y participer, mais le Parlement de cet État s’est opposé à l’envoi de commandos dans le Sahel. Les députés ont considéré que l’activité militaire russe en Arctique était plus menaçante que les groupes armés terroristes du Sahel.
Reste donc la Belgique qui, généreusement, met à la disposition de Takuba trois officiers. Les Néerlandais seront seulement deux et les Estoniens dix-huit. Plus charitable, le gouvernement tchèque a validé l’envoi de soixante militaires. Quant à la Suède, elle joue gros et promet 150 forces spéciales, mais encore faut-il qu’elle soumette le projet de loi à son Parlement. À cette heure, le nombre de Portugais et de Danois demeure inconnu…
À moins qu’à eux deux, ces derniers pays s’apprêtent à fournir plus de 200 soldats, le compte n’y est pas. La ministre des Armées Florence Parly a d’ailleurs déjà annoncé que Paris augmenterait son effort de guerre en ajoutant 100 hommes dans Takuba en plus des 5.100 qui œuvrent déjà au sein de la force Barkhane.
Le volontarisme ne suffit pas…
Après des mois d’intense lobbying auprès des États européens, c’est donc un revers pour Paris qui, pour maintenir son projet coûte que coûte, se voit dans l’obligation d’accroître ses effectifs. Et ce, au moment où l’armée française est envoyée sur le front intérieur pour lutter contre la pandémie et où ses militaires sont également touchés par le virus.
En lançant cette opération, la France souhaitait jouer une carte politique. En embarquant avec elle des pays européens, cela lui permettait de sortir de sa solitude sahélienne afin de ne plus être en face-à-face avec ses anciennes colonies. En outre, en cas d’enlisement total, cela lui aurait peut-être permis aussi de partager les dividendes de la défaite. Enfin et surtout, Emmanuel Macron voulait faire la démonstration de l’existence et de l’utilité de la politique de défense européenne, qu’il prétend avoir fait avancer comme jamais personne avant lui.
Le Président français a pensé qu’il pouvait la construire aux forceps et que sa force de conviction suffirait à persuader les États membres de l’UE. Il convient de constater que ce n’est (toujours) pas le cas et que même dans les moments de parfait alignement des astres, les Européens se refuseront toujours à s’engager sérieusement dans cette voie. Les quelques pays présents permettront néanmoins à la France de hisser le drapeau européen, même si cela ne trompe personne puisque dans ces conditions, Takuba ne sera qu’une extension de la force Barkhane.
Coup d’épée dans l’eau
Mais avec Takuba, la France a aussi voulu jouer une carte militaire en privilégiant une fois encore le tout-sécuritaire. Cette opération, copiée sur celle de la Force opérationnelle K-Bar dirigée par les Américains en Afghanistan, poursuit deux objectifs.
Le premier consiste à venir en aide à l’armée malienne qui peine à relever la tête après avoir subi de lourdes défaites. Le second est d’épauler Barkhane par des actions souples, mobiles, rapides et de soulager la force française dans la zone des Trois frontières où elle mène des opérations actuellement. Or, en l’état actuel, il est difficile de croire que Takuba sera opérationnelle avant la fin 2020, voire 2021. En outre, c’est également dans cette région que devait se déployer les soldats tchadiens qui viennent de subir un terrible revers lors de l’attaque de Bouma, où 90 militaires ont péri. Par conséquent, l’aide des Tchadiens à l’opération Barkhane est reportée sine die.
Les soldats français resteront donc seuls encore longtemps. Si, lorsqu’elles seront prêtes, les forces spéciales réussiront sans aucun doute, à l’instar de l’opération K-Bar, à obtenir des succès ponctuels, sur le moyen et long terme, il paraît difficile d’obtenir les résultats militaires et politiques escomptés. Après 18 années de guerre, l’Afghanistan l’a prouvé…
SOURCE: Sputnik France