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Sommet Afrique-France : ce que les jeunes Africains ont dit à Macron

REPORTAGE. Durant près de trois heures, les jeunes intervenants ont, sans complaisance, fait passer leur message et leur vision de la relation entre le continent et la France.

L’Élysée avait promis un débat à la fois sans tabou, où tous les sujets seraient posés « sur la table », et disruptif. Le moins que l’on puisse dire est que la promesse a été tenue. L’échange entre le président français et les onze jeunes venus d’Afrique et de la diaspora – sélectionnés par le comité réuni autour de l’intellectuel Achille Mbembe, le véritable chef d’orchestre de ce rendez-vous – fera date pour longtemps par son caractère inédit, autant du point de vue du public direct en prise avec le président français que par le ton et le contenu des échanges.

Ces moments où Emmanuel Macron a été « bousculé »

Sans complaisance mais avec de nombreuses références humoristiques, ces onze personnalités ont fustigé le « colonialisme », « l’arrogance », « le racisme » ou encore le « paternalisme français ». Lors d’une séance plénière électrique et sous des salves d’applaudissements, ces jeunes Maliens, Kényans, Burkinabés, Camerounais ont secoué les usages et interpellé sans ménagement le président français.

« La rupture a été voulue par les Africains »

« La rupture a été voulue par les Africains, il ne faut pas croire qu’elle se décide à Montpellier », dans le sud de la France, s’est exclamée l’activiste malienne Adam Dicko, vêtue d’un poncho en bogolan. « L’Afrique n’est pas un continent de misère ou de chômage, mais un continent jeune, optimiste, enthousiaste », a-t-elle poursuivi en introduction et aux côtés de Lova Rinel, Franco-Malgache à la tête du Cran, et de Sandrine Naguertiga, entrepreneuse et blogueuse. Les trois interlocutrices reviennent sur les pressions endossées depuis qu’elles ont accepté cette charge et leur légitimité à être sur scène face au président Macron. « Nous sommes légitimes, parce que nous sommes victimes de cette relation Afrique-France et parce que nous sommes maintenant acteurs de cette relation », explique Adam Dicko.

Sur scène, au milieu des participants, le président français écoutait attentivement, prenant des notes, avant une longue séance de questions-réponses.

« La France doit demander pardon »

L’activiste et blogueur sénégalais Cheikh Fall, poussé par une salle surchauffée, a exhorté la France à « demander pardon au continent africain » pour les crimes de la colonisation. « Et cessez de coopérer et collaborer avec ces présidents dictateurs. Et programmez un retrait progressif et définitif de vos bases militaires en Afrique », a-t-il lancé à Emmanuel Macron.

« Nous cherchons des solutions »

Avant lui, Adelle Onyango, une jeune ressortissante du Kenya, avait sans ambages sommé le président de s’engager à mettre « fin à la Françafrique » et ses pratiques opaques, et pointé les contradictions d’une France « arrogante », « enlisée dans des questions de racisme » et venant « donner des leçons de démocratie » aux Africains. Salves d’applaudissements. « Quelle peut être la force d’une relation basée sur la douleur, le scepticisme et l’absence de confiance ? » a-t-elle demandé au président français. Avant de conclure : « Nous cherchons une solution, contrairement aux chefs d’État que vous rencontrez habituellement. »

« 2030, c’est de la prospective à court terme »

Arthur Banga a choisi de faire de la prospective en s’adressant au président. Il imagine un futur apaisé et « équilibré » entre l’Afrique et la France en 2030. « On ne parlera plus d’aide ou de développement, mais de partenariat et de coconstruction. C’en est fini du franc CFA, l’Afrique aura sa propre monnaie. Les bases militaires auront fermé et laissé leur place à des armées indépendantes. 2030, c’est de la prospective à court terme. Le chemin est semé d’embûches, mais nous allons le parcourir ensemble. »

« Si les relations entre l’Afrique et la France étaient une marmite, elle serait sale »

Quand vient le tour de l’éloquente Eldaa Koama, entrepreneuse burkinabée engagée dans le numérique et le social, le président ne semble pas préparé tant son discours est « sans filtre ». Jamais un chef d’État français n’avait été ainsi pris à partie. Dans son propos, elle a d’emblée remis en cause la notion d’aide au développement : « Ce type d’aide rend esclave. Ça fait près d’un siècle que l’aide au développement se balade en Afrique, ça ne marche pas. C’est fini les expressions “sauvons l’Afrique”, c’est fini, Monsieur le Président. Je vais vous proposer des actions concrètes. L’AFD fête bientôt ses 80 ans, changez le nom, changez la forme. » La salle jubile, les uns acquiescent, les autres restent dubitatifs, mais ce n’étaient que les débuts. La jeune femme a poursuivi son intention en image et avec une certaine dose d’humour. « Si les relations entre l’Afrique et la France étaient une marmite, elle serait sale. Je vous demande de la récurer. Si vous voulez préparer un repas là-dedans, je ne mangerai pas, l’Afrique ne mangera plus. Le repas sera prêt, vous serez le seul à table. »

Emmanuel Macron veut tenter de réveiller l’esprit de Ouagadougou

Emmanuel Macron a montré en bien des occasions à quel point il maîtrise cet exercice, tout juste a-t-il réitéré ses fondamentaux sur les sujets de contentieux soulevés par les jeunes : colonialisme, soutien à des dictatures, interventions militaires… Tout en reconnaissant « la responsabilité immense de la France dans le commerce triangulaire et la colonisation », le chef de l’État s’est de nouveau refusé à demander pardon, privilégiant « un travail de vérité » et non de « honte de soi et de repentance ».

Répondant aux accusations de soutien à des tyrannies et aux critiques sur les interventions militaires, Emmanuel Macron est resté sur sa ligne : « La France est là militairement à la demande » des pays africains. Et a renvoyé ces derniers à leurs responsabilités : « C’est pas moi qui vais faire l’école, c’est pas moi qui vais faire la police… Jamais une intervention militaire ne remplace le travail d’un État », a-t-il lancé. Les jeunes et toute l’assemblée ont cité le Tchad, la Guinée et la Côte d’Ivoire. Dans chacun de ces pays, a-t-il dit, la France a réduit ses projets d’investissements de gouvernement à gouvernement pour passer davantage par des projets avec la société civile. Il a aussi expliqué que, dans chacun de ces cas, la France soutenait des projets de transition démocratique, comme au Tchad où le processus est guidé par l’Union africaine après la prise de pouvoir du fils du président défunt Idriss Déby Itno, Mahamat. « Mais j’ai dit transition, pas transmission », a insisté le président français.

Sur le Mali, le ton est particulièrement monté alors que les rapports entre Paris et la junte militaire à Bamako se sont fortement dégradés ces dernières semaines, sur fond de concurrence avec la Russie. « Je pense que nous n’avons pas vocation à rester, c’est pour ça que nous sommes en train de fermer des bases. À Tessalit ou à Kidal (nord du Mali), notre travail n’est pas d’avoir des bases militaires. L’État malien doit avant tout revenir », a-t-il insisté. Paris a entrepris en juin de réorganiser son dispositif militaire au Sahel en quittant notamment les bases le plus au nord du Mali (Kidal, Tombouctou et Tessalit) et en prévoyant de réduire ses effectifs dans la région d’ici à 2023 à 2 500-3 000 hommes, contre plus de 5 000 aujourd’hui. « Ce que je veux, c’est qu’on retire les bases militaires le plus vite possible, mais ça suppose un retour d’un État fort et des projets d’investissements pour que les jeunes ne se tournent pas, dès que les groupes terroristes reviennent, vers le pire. Mon objectif, c’est bien celui-là. Ça ne m’intéresse pas d’avoir des bases de toute éternité sur le sol africain. Ce n’est pas la vocation de la France », a-t-il assuré.

Le changement va devoir attendre

Pourtant, au sortir de cette franche explication, c’est la déception pour ceux que nous croisons. Ils confient d’emblée ne pas vouloir être cités. Au bout du compte, le panel de jeunes Africains sélectionné à l’issue des dialogues menés pendant des mois à travers le continent par l’intellectuel camerounais Achille Mbembe, chargé de piloter le sommet, n’a pas convaincu, c’est ce qui ressort des premières remarques. Certains ont noté le manque de profondeur et de rigueur dans l’analyse de certains sujets. D’autres ont trouvé l’exercice un peu caricatural, avec une mise en avant d’une Afrique francophone toujours prompte à demander des comptes à la France. Un fin observateur de ces questions s’étonne d’assister à une telle scène en France, du jamais-vu à Londres ou dans les autres pays colonisateurs !

Les critiques ne manquent pas non plus au sujet des propositions avancées pour rebâtir les relations entre l’Afrique et la France. Durant cette journée, le président de la République a fait plusieurs annonces. En fin de matinée, il a d’abord annoncé que la France restituerait fin octobre au Bénin 26 œuvres d’art provenant du « trésor de Béhanzin », pillé au palais d’Abomey en 1892 pendant les guerres coloniales. Il met ainsi en œuvre un engagement pris en novembre 2018, dans le cadre de cette « nouvelle relation » que la France entend nouer avec le continent et dont les restitutions constituent un des points saillants.

Il a également annoncé la création d’un fond d’innovation pour la démocratie en Afrique, avec une « gouvernance indépendante », une des principales propositions d’Achille Mbembe. Ce dernier s’est par ailleurs vu confier une mission en vue de la création d’une Maison des mondes africains et des diasporas. Pour certains participants, c’est là que le bat blesse. « C’est bien beau de proposer un fonds, mais concrètement, ce n’est ni réaliste ni faisable », réagit un interlocuteur. « Ces propositions ne sont pas réalisables chez nous. Ça veut dire que les activistes devront encore passer par la France pour s’organiser, se financer, exister et combattre des régimes dont la France est officiellement partenaire ? À quoi va servir cet argent ? Qui pourra être financé ? Est-ce qu’il n’y a pas de risque de voir ces financements servir à soutenir des coups d’État militaires ? » Des réactions révélatrices des limites de cet exercice, certes original sur la forme et sur le moment, mais qui ne débouchent pas vraiment sur des propositions qui seront demain applicables sur le plan légal ou juridique sur le continent et surtout pas sans les politiques.

 Source: Le point Afrique
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