Le 23 Mars dernier, alors que le Conseil de Sécurité des Nations-Unies entamait une visite officielle au Mali, une centaine d’assaillants armés et habillés « en tenue de chasseur dogon », ont attaqué le village peulh d’Ogossagou, situé à une quinzaine de kilomètres de la ville de Bankass (30 000 habitants), dans le centre du pays. Trois éléments ont ému le peuple malien, et plus largement la communauté internationale : le nombre de victimes leur profil et la nature des atrocités commises. Le dernier décompte fait état de plus de 167 morts, ce qui ferait de ce massacre le plus lourd depuis le début de la crise malienne. Les assaillants ont tué indistinctement et sauvagement hommes, femmes, et enfants, ce qui donne à ce carnage l’allure d’un nettoyage ethnique.
En réalité ces massacres ne sont pas nouveaux. Ils s’inscrivent dans un cycle de violences inter-communautaires qui s’intensifient à mesure que le sentiment d’impunité et d’abandon par l’Etat s’installe. Ainsi, le 1er janvier 2019, une localité du cercle de Bankass a subi une attaque similaire à celle qui a frappé le village d’Ogossagou ; 37 personnes ont perdu la vie dont, là aussi, des femmes et des enfants. Deux semaines avant l’attaque d’Ogossagou, des média locaux ont rapporté l’attaque de deux villages dogon par des assaillants peulhs.
Le terreau sur lequel prospèrent ces massacres est multiple : des rivalités politiques exacerbent les tensions ; des oppositions entre agriculteurs, sédentaires, et éleveurs, nomades, les renforcent ; des conflits fonciers, autour de l’enjeu de l’accès et du contrôle des espaces agricoles et pastoraux, des retards enregistrés dans l’application de l’Accord pour la Paix et la Réconciliation au Mali issu du Processus d’Alger, des stratégies insurrectionnelles et contre-insurrectionnelles ayant montré leurs limites et des jeux et agendas d’acteurs extérieurs. Le prétexte de la lutte contre le djihadisme, les communautés « Dozos » accusant régulièrement leurs voisins peulhs de soutenir les djihadistes, et la circulation des armes, résultant de la réalité du terrorisme et du grand banditisme dans la région, ont « démocratisé » et légitimé l’usage de la violence, ouvrant la voie à une explosion de violence dont le caractère ethnique et systématique est inhabituel dans cette région du Mali. Alors, que faire ? Le président malien, Ibrahim Boubacar Keita, a décrété un deuil national de trois jours, à compter du vendredi 29 Mars. Symboliquement, cela était nécessaire pour montrer que le drame d’Ogossagou est une tragédie nationale. Deux enquêtes ont été ouvertes, l’une diligentée par le gouvernement malien, l’autre par la MINUSMA. Cinq personnes blessées ont été identifiées par des rescapés comme étant des assaillants potentiels. Elles ont déjà été interpellées et conduites à Bamako pour être auditionnées. Il est crucial que les résultats soient rendus publics rapidement et que l’enquête aille son terme, établisse les responsabilités, et qu’in fine, justice soit faite. Cela permettra de rassurer les populations, de restaurer l’autorité et la légitimité de l’Etat, et d’affaiblir ce sentiment d’impunité qui encourage la violence.
Mais autant ces développements sont nécessaires, autant ils sont insuffisants. La logique militaire seule ne permettra pas de résoudre la crise sécuritaire au Mali. Il faut d’ailleurs s’inquiéter de la militarisation excessive de la région du Sahel où presque toutes les armées du monde sont présentes. Ceci constitue également un appel d’air pour les groupes terroristes et extrémistes de tous ordres. Ainsi, les Etats du Sahel sont entrainés dans un cycle d’accroissement exponentiel des dépenses militaires pour leur survie. Ce cycle est insoutenable à terme et se fait au détriment des investissements indispensables pour développer ces zones et offrir un espoir àla jeunesse. De nombreux rapports ont révélé que les groupes armés recrutent soit au sein de cette jeunesse désœuvrée et aliénée, soit au sein de communautés paysannes qui se sentent délaissées par les pouvoirs publics. Il est donc important que l’Etat prenne conscience de la détresse de milliers de maliens et y apporte des réponses politiques tangibles et durables. Cela demandera qu’il réinvestisse l’espace public, sur l’ensemble du territoire national. La reconquête du territoire national doit d’autant plus être une priorité que les groupes djihadistes instrumentalisent des rivalités inter-communautaires à leur profit.
Les différentes communautés ont longtemps vécu dans la paix et la concorde. Conflits et tensions étaient gérés par le dialogue. L’Etat doit rétablir cette tradition et culture du dialogue, restaurer la confiance et favoriser la réconciliation et la cohésion des communautés à travers un Vivre Ensemble à réinventer dans le cadre de processus endogènes. Cela passera par un travail de sensibilisation à l’importance de la paix pour le développement, à la promotion de valeurs positives, mais aussi par la résolution de litiges fonciers et l’administration de la justice.
Il faut également éviter de s’enfermer dans une lecture simpliste d’un conflit uniquement inter-communautaire, pourtant réel, grave et meurtrier. Ce conflit est plus l’effet que la cause de l’insécurité au Centre. La situation au Centre est une excroissance de la non résolution du problème dit du Nord du Mali qui lui-même puise ses origines dans l’histoire, la géographie, l’absence de développement de cette région du Sahel présentant un intérêt géostratégique et géo-économique majeur et plus récemment de l’intervention internationale opérée en Libye sans vision stratégique, sans plan de sortie et dont le « service après-vente » n’a pas été assuré pour mettre à l’abri les pays voisins et de la région.
L’Accord dit d’Alger est certes imparfait, mais il jouit d’une forte légitimité. Il faut l’appliquer et le compléter par un processus prenant en charge les problématiques posées au Centre du pays. Cela couperait l’herbe sous le pied de groupes « djihadistes » qui contribuent à l’exacerbation de tensions entre communautés, en plus de déstabiliser l’Etat.
Enfin, il faut engager un dialogue national inclusif et ouvert sur les questions essentielles pour le Mali. Cela permettrait de réunir la communauté nationale et de créer un consensus sur la voie à suivre pour sortir le pays de l’impasse. La mise en œuvre de toutes ces mesures ne ramènerait pas les malheureuses victimes d’Ogossagou, mais au moins elles créeront les conditions d’un nouvel espoir pour une coexistence pacifique, l’acceptation d’une communauté de destins, d’un retour de l’Etat dans toute sa plénitude pour assumer son rôle régalien de protection des personnes et des biens et de préservation d’un Mali Un et Indivisible.
Numero 27 Metro UN– 17 avril 2019 – par l’Ambassadeur Abdoulaye Diop,
Ancien Ministre des Affaires Étrangères
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