C’est le convoi de tous les rejets. Jamais une mission logistique de Barkhane n’avait connu autant d’obstacles et d’hostilités de la part de civils sur la route qu’elle emprunte entre la Côte d’Ivoire et Gao, dans le nord du Mali. Les entraves et les menaces contre sa progression ne cessent de se multiplier depuis qu’il a franchi la frontière entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso, il y a une dizaine de jours.
Bloqué une semaine à une centaine de kilomètres de Ouagadougou après des heurts avec des manifestants, il a été à nouveau violemment pris à partie samedi 27 novembre, au lendemain de son arrivée au Niger. Selon le ministère nigérien de l’intérieur, « le convoi de la force française Barkhane sous escorte de la gendarmerie nationale en route pour le Mali a été bloqué par des manifestants très violents à Téra, région de Tillabéri, où il a passé la nuit ». Il précise que,« dans sa tentative de se dégager il a fait usage de la force », faisant deux morts et 18 blessés, dont onze gravement atteints.
Une opposition populaire
Le porte-parole de l’état-major de l’armée française, le colonel Pascal Ianni, assure qu’un groupe violent parmi les manifestants « a tenté de s’emparer des camions ». Au plus fort de la tension, « les gendarmes nigériens et les soldats français ont effectué des tirs de sommation ». Si rien n’est dit, du côté de Paris, sur le nombre de victimes parmi les civils, le colonel Ianni précise qu’« aucun soldat français n’a été blessé », à la différence de « deux conducteurs civils ».
Le convoi a pu, ensuite, reprendre sa route vers le Mali. Mais, comme la semaine dernière au Burkina Faso, puis ce week-end au Niger, des appels à s’opposer à sa progression sont relayés sur les réseaux sociaux. Lancés principalement par la Coalition des patriotes du Burkina Faso (Copa-BF),un vaste mouvement panafricain qui s’oppose à la présence des soldats français, ces appels rencontrent un certain succès auprès de jeunes gens exaspérés par l’incapacité de Barkhane à chasser les groupes djihadistes du Sahel. Les rumeurs et les accusations les plus folles circulent dans leurs rangs : on y accuse la France de mener un double jeu dans le Sahel, affirmant que ce convoi apporte des armes aux groupes armés terroristes. Des propos et des actions exprimant et nourrissant un rejet de la France qui ne cesse de progresser dans toute la sous-région. Non seulement au Mali, au Burkina et au Niger, mais aussi dans les pays limitrophes comme le Sénégal, la Guinée et le Bénin.
Un exutoire
Pour Paris, ce convoi de Barkhane sert d’exutoire à la frustration des populations sahéliennes devant la progression des groupes djihadistes. Et de rappeler que les blocages dont il est l’objet font suite à l’immense émotion suscitée dans le pays par l’attaque, le 14 novembre, d’un détachement de gendarmerie à Inata (nord du Burkina Faso) : 57 personnes, dont 53 gendarmes, tuées par des djihadistes armés.
Au lendemain du départ du convoi du Burkina, des centaines de Burkinabés ont manifesté à Ouagadougou pourdénoncer l’insécurité grandissante et exiger le départ du chef de l’État, Roch Marc Christian Kaboré, ce samedi. Lancée à l’appel de la Coalition du 27 novembre, cette initiative n’est pas sans rappeler celle du Mouvement du 5 juin qui a abouti à la chute du président malien Ibrahim Boubacar Keïta, le 18 août 2020.
Une manipulation russe ?
L’exaspération dont témoigneraient les manifestations contre le convoi de Barkhane, analyse le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian, serait également instrumentalisée par des puissances étrangères comme la Russie. Après avoir mis la main sur la Centrafrique, affaiblissant considérablement la France dans son ancienne colonie, Moscou serait en train de reproduire le même scénario au Mali et au Burkina Faso, confie à La Croix une source sécuritaire française.
« La Russie veut nous affaiblir, et pourquoi pas nous chasser de l’Afrique, explique-t-elle. On a déjà perdu Bangui. Moscou poursuit sa marche en avant. » « Cela lui est d’autant plus facile qu’Emmanuel Macron a annoncé notre retrait du Mali, constate Thierry Vircoulon, de l’Institut français des relations internationales, poussant Bamako à chercher un autre protecteur. »
Source: la-croix.com