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Sacrifices : CES RITUELS TRADITIONNELS QUI FONT BON MENAGE AVEC LA MODERNITE

Beaucoup y croient fermement et y ont recours pour soigner des maladies, faciliter le mariage, trouver un emploi, provoquer la chance ou décrocher un poste important

fetiche cauris sorcellerie magie diableSi vous vivez à Bamako, vous avez certainement déjà roulé à moto ou en voiture sur un amoncellement de feuilles, de noix de cola, de plumes déposé à un carrefour. Parfois ce sont des calebasses remplies de lait, de mil, de maïs ou contenant de la cotonnade. Autant de sacrifices rituels dont nombre de nos compatriotes sont des adeptes. Ces objets jetés sous les roues des engins sont visibles partout dans la ville.

Les Bamakois remarquent que ces sacrifices rituels se multiplient à l’approche des échéances électorales, lorsque les rumeurs d’un remaniement ministériel se font insistantes, quand éclate un conflit armé qui va expédier des militaires sur un front, à l’époque des examens scolaires ou des concours professionnels ou à la veille de derbies sportifs. Ce sont des périodes durant lesquelles, la ville bruisse de rumeurs plus folles les unes que les autres, parfois même sur des sacrifices humains. Ces rumeurs ne sont pas toujours infondées si on suit la rubrique des faits divers qui relate à l’occasion des affaires de profanation de tombes.
Heureusement, ces pratiques criminelles semblent plus être l’exception que la règle et la plupart des sacrifices ne coûtent la vie qu’à des coqs, des béliers, des boucs, des boeufs et même des ânes, des chevaux, des chats noirs, etc. Très souvent, le plumage ou la robe des animaux sacrificiels, le nombre d’ergots, la forme des sabots, différentes anomalies sont choisis en fonction du but recherché.
Les adeptes des pratiques sacrificielles placent leurs offrandes aux intersections des routes ou encore sur des termitières. Mais pas seulement. Non loin du 3è pont à Sotuba, sur la berge du fleuve, un espace vert a été transformé presque en « bois sacré » où les gens convergent surtout les vendredis pour y faire des sacrifices.
« Les vendredis, le coin regorge d’activités de ce genre surtout depuis que les autorités ont interdit l’espace vert aux jeunes qui y commettaient des transgressions (couples en flirt, vente d’alcool). En plus, Soutadounou, l’endroit le plus convoité par les adeptes des sacrifices rituels, est maintenant inaccessible. L’ancienne chaussée qui y mène étant maintenant submergée par la crue du fleuve. Alors ils se contentent de cet endroit devenu calme et désert », confie Ibrahim, un réparateur de téléphone installé à Sotuba.
Il faut donc venir un vendredi, près du pont de Sotuba. Le soleil est presque au zénith. Au loin, les hauts parleurs de la mosquée de soufi Adama diffusent le sermon du vendredi. Un motocycliste immobilise son engin devant l’espace vert. L’homme jette un regard circulaire pour s’assurer que nul intrus ne suit son manège et s’enfonce dans l’espace vert. Il enjambe quelques arbustes, contourne une touffe d’herbes hautes et s’accroupit à l’abri des regards. Là, il vide le contenu d’un sachet bleu sur ce qui ressemble à une termitière sur laquelle est plantée une spatule en bois. Au sol, on distingue un mélange de feuilles, de taches de sang séché, de morceaux de noix de cola au dessus duquel bourdonne une colonie de mouches. L’homme achève son rituel avec des incantations récitées à haute voix.
Plus tard, après le départ du jeune homme, une femme portant un enfant au dos, rejoint des hommes installés en demi-cercle autour de la spatule en bois. Le bourdonnement des mouches couvre presque les incantations que le groupe psalmodie en chœur dans une espèce de prière de groupe.
Avant d’attirer en masse les adeptes des sacrifices rituels, ces lieux étaient très fréquentés par les disciples de Bacchus. Le long du site, le sol jonché de sachets d’alcool vides, atteste de cette vocation passée. Impossible d’ailleurs de gagner l’espace vert sans faire craquer sous ses pieds ces sachets d’alcool vides.

BIEN ANCRES. Dans un coin isolé du site, se dresse une hutte en piteux état sous lequel on distingue un couple. A première vue, on croirait avoir affaire à des amoureux en quête d’un peu de solitude. Mais au fur et à mesure que l’on se rapproche, on distingue un œuf dans la main droite de la jeune femme vêtue d’un body rouge et d’un pantalon noir. Elle chuchote des incantations sur l’oeuf avant de le laisser tomber sur l’ordre de son compagnon.
Hors des limites de l’espace vert, presque les pieds dans l’eau, un homme en tenue de chasseur traditionnel est assis à même le sol. Il tient en main un téléphone portable de grande taille. Son compagnon est drapé dans un boubou aux couleurs nationales. Les deux hommes d’âge mûr forment un petit groupe avec deux adolescents occupés à toiletter un cheval dans le fleuve. Le groupe est rejoint par un vieil homme en boubou blanc. Le chasseur indique alors du doigt une plantation de maïs. Les trois hommes y pénètrent, laissant sur la berge les adolescents et leur cheval.
Pourquoi ces hommes et ses femmes s’adonnent-ils à ces rituels et qui les leur prescrit ? Professeur d’anglais et géomancien amateur, Sekou Ahamadou Tidiani Keita indique avoir étudié les sacrifices rituels pendant 7 ans dans plusieurs pays africains. Ce sont, explique-t-il, « des sacrifices qui sont liés à des problèmes que rencontrent les gens dans la société. Nous ne sommes pas aussi modernes que semblent le démontrer notre façon de nous habiller et les grosses cylindrées que nous conduisons. Nous avons bien ancré en nous ce genre de sacrifices. Et nous y tenons beaucoup. Les gens ont beau être ministres, intellectuels, étudiants, militaires s’ils ont des problèmes qui les dépassent, c’est vers des marabouts, des féticheurs, des géomanciens qu’ils se tournent ».
Ce sont donc ces spécialistes de la voyance qui fixent les pratiques sacrificielles. Comme par exemple se laver avec une décoction de feuilles d’une plante donnée. Ces feuilles sont ensuite jetées dans un carrefour. « Je pense que cette pratique va au-delà de l’appartenance religieuse. Dans notre culture africaine, les plantes occupent une place importante tant dans la médecine que dans l’épanouissement général de l’homme. Quelque soit la façon dont vous implorez Dieu, si vous vous rendez chez un bon maître spirituel, il vous recommande, la plante qui peut changer votre vie, pour le meilleur bien sûr », explique notre spécialiste de la géomancie.
Pourquoi l’offrande doit-elle reposer à un carrefour ? Certainement pour égarer le mauvais sort. Il est, en effet, recommandé, une fois le sacrifice déposé, de poursuivre son chemin, de préférence en changeant de direction et surtout, en évitant de revenir ses pas.
Soumaila Togola, diplômé en sciences juridiques à l’université de Bamako et demandeur d’emploi, confirme avoir l’habitude de consulter des maîtres de la voyance pour trouver du travail. Il croit fermement que les sacrifices lui permettront d’arriver à ses fins. Chaque fois qu’il a un peu d’argent, il court chez un vieil homme d’un village voisin de Bamako. Le vieux géomancien, dont il tait le nom, lui prescrit des plantes avec lesquelles il se baigne en vue d’améliorer ses chances dans la vie. « L’utilisation des plantes me permet aussi de me protéger contre certaines actions visant à me nuire », se convainc notre interlocuteur. Pour lui, c’est une pratique qui existe chez nous depuis la nuit des temps et même si nous vivons dans un monde dominé par les technologies, les sacrifices ont encore de beaux jours devant eux. « Toutefois, il y a des gens qui en font un usage négatif qui consiste à nuire à d’autres personnes », regrette-t-il.
Mohamed Samaké, le gérant du parking des motos de l’École normale supérieure, est lui aussi persuadé que les pratiques rituelles peuvent nous délivrer de certaines maladies, chasser nos soucis et même provoquer la chance. Mais il s’insurge contre l’utilisation des carrefours pour déverser la « médecine ». « Chaque fois qu’un usager voit ces choses sur la route, il a le réflexe de les éviter. Sa manœuvre peut provoquer un accident », relève-t-il en soupçonnant les adeptes des sacrifices de renvoyer leurs maladies ou même leurs malheurs sur d’autres en les obligeant à rouler sur les déchets des décoctions thérapeutiques ou magiques. « C’est une bonne chose de nous conformer à nos coutumes, mais on peut les utiliser dans des endroits non fréquentés et mieux appropriés », relève-t-il en appelant les autorités à prendre leurs responsabilités.
K. DIAKITE

source : Essor

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