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Renforcement de la sécurité: un casse-tête opérationnel

Entre un narratif trop bien huilé sur l’axe 1, le ‘’renforcement de la sécurité sur l’ensemble du territoire national’’ du Programme d’Action du Gouvernement de Transition et l’implacable réalité du terrain marquée par plusieurs loopings avec vrille retournée, l’on peut voir une ambition surdimensionnée. Les quatre priorités dégagées, à savoir diligenter la relecture, l’appropriation et la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger ; accélérer le processus de désarmement, de démobilisation et de réinsertion des combattants dans le Nord et le Centre du pays ; procéder à la dissolution effective de toutes les milices d’auto-défense ; redéployer les forces de défense et de sécurité sur l’ensemble du territoire national, sont-elles réalistes et réalisables ? Immersion dans un des dossiers les plus entortillés qui tient en éveil le pays et l’ensemble de la Communauté internationale.

 

Qu’on se le dise avant tout propos : après 5 mois de délai consommé sur la durée de la Transition qui est normalement de 18 mois, le Premier ministre Moctar OUANE qui était devant le Conseil National de Transition (CNT), le vendredi 19 février, pour la présentation du Programme d’Action du Gouvernement de Transition (PAGT), est lancé dans une véritable course contre la montre. Parce que le challenge est énorme et que ce qui manque le plus souvent, ce sont les moyens de la politique. Bien sûr qu’il ne faut pas jouer aux rabats joies, aux sceptiques et aux blasés, d’autant plus que les lignes sont remplies d’admiration et d’optimisme. L’on peut également essayer de faire confiance au Premier ministre qui assure devant les membres du CNT que nonobstant le contexte politique, social, sécuritaire et économique très difficile dans lequel le Gouvernement a été installé, le 5 octobre 2020, que le Gouvernement qu’il a l’honneur de diriger reste déterminé à mener à bien la mission qui lui a été assignée dans les délais convenus. L’on peut néanmoins rappeler ce proverbe oriental : ‘’deux choses sont inséparables du mensonge, beaucoup de promesses, et beaucoup d’excuses’’.

Priorité I : Accord pour la paix et la réconciliation
Dans le cadre du ‘’renforcement de la sécurité sur l’ensemble du territoire national’’, la première priorité que se fixe le Gouvernement de Transition est de diligenter la relecture, l’appropriation et la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger.
Pour cette priorité, le Premier ministre de Transition, Moctar OUANE, campe bien le décor : « en 2015, à l’issue de pourparlers inclusifs tenus à Alger, l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali a été signé entre le gouvernement malien et les anciens groupes rebelles. L’objectif de cet accord était de rétablir l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire national et de créer les conditions d’une paix durable. De sa signature à ce jour, sa mise en œuvre a rencontré des difficultés, malgré les multiples efforts déployés par les parties signataires et la communauté internationale. C’est ainsi qu’à l’issue du Dialogue national inclusif tenu en 2019 et des concertations nationales organisées en septembre 2020, nos compatriotes ont souhaité une relecture de certaines dispositions de l’Accord, sans en remettre en cause l’esprit ».
Il égrène également certaines actions à mettre sur le compte de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger : organisation de concertations avec les parties prenantes sur la relecture de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali; organisation de débats, production et diffusion de magazines et de microprogrammes sur l’Accord et le processus de désarmement, de démobilisation et de réinsertion des ex-combattants; sensibilisation des ex-combattants inaptes au métier des armes pour qu’ils rejoignent les projets de réinsertion socio-économiques de la CNDDR; mise en place de la Police territoriale; financement des projets éligibles sur les ressources disponibles du fonds de Développement durable (FDD) ; tenue régulière des sessions du Comité de suivi de l’Accord (CSA) pour la paix et la réconciliation au Mali.
Cependant, il faut souligner que la relecture de l’Accord dès que l’ancien Président IBK en avait émis l’hypothèse, dans son adresse à la nation lors du 59e anniversaire de l’indépendance du Mali, avait aussitôt alimenté la polémique. Selon Attaye Ag Mohamed membre de la CMA «s’il y a une révision, c’est la négociation qui sera refaite ». Il ajoute que « l’accord respecte les principes. Donc il n’y a pas de question qui pourrait ne pas être mise en œuvre ». On se rappelle, dans la même veine, qu’après avoir suspendu leur participation aux comités de suivi de l’application de l’accord de paix, la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) avait annoncé son retrait du Dialogue National Inclusif (DNI) initié par le Président IBK. Les anciens rebelles lui reprochaient de vouloir ouvrir la porte à une relecture de l’accord de paix signé en 2015.
Apparemment, les positions ont évolué avec la tenue d’un CSA à Kidal que la CMA présente comme une ‘’mesure de confiance’’ et qui participe de l’appropriation et la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger par les populations de cette région.
Ce qu’il faut également mettre en exergue dans ce spleen ambiant dans le biotope gouvernemental, ce sont les violations flagrantes et constantes par deux parties (Gouvernement-CMA) de l’article 50 de l’Accord pour la paix et la réconciliation qui stipule : ‘’les Parties reconnaissent que la première garantie de l’aboutissement de l’Accord réside dans leur sincérité, leur bonne foi et leur engagement à assumer le contenu de l’accord et œuvrer à la mise en œuvre de l’ensemble de ses dispositions dans l’intérêt de la réconciliation de leur pays, ainsi que de la paix, de la sécurité et de la stabilité du Mali et dans la région dans son ensemble’’. Il est clair que les textes les mieux élaborés ne remplaceront jamais la bonne foi. Il est donc impératif de vaincre ce dangereux syndrome de méfiance développé l’un envers l’autre qui a des origines historiques.

Quelles sont les recettes du Premier ministre Moctar OUANE ?
L’organisation d‘une session de Team Building au bénéfice des parties signataires ; l’organisation de concertations avec les acteurs sur la relecture de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger (APR) ; l’organisation de débats, production et diffusion de magazines et de microprogrammes sur l’APR et le processus de désarmement, de démobilisation et de réinsertion des ex-combattants ; la sensibilisation des ex-combattants inaptes à rejoindre les projets de réinsertion socioéconomiques de la CNDDR ; la formation d’un noyau de 120 formateurs sur l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger ; l’information et sensibilisation de 110 groupements et associations de femmes formatrices sur l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger ; la représentation des femmes dans les mécanismes de gestion de l’Accord ; la mise en place de la police territoriale… Il faut noter que le 25 mars 2020, après concertation avec les mouvements signataires, le Conseil des ministres a adopté le projet de loi portant création de la Police territoriale qui sera présenté à l’Assemblée nationale et le décret y relatif. Il est prévu que les unités de la police territoriale aident les maires à faire appliquer les règles fiscales locales ; maintiennent l’ordre public et assurent la sécurité des services techniques dispensés à l’échelle municipale et des services déconcentrés de l’État.
Toutes ces actions sont situées dans des périodes définies avec des responsables et des structures impliquées à leur mise en œuvre qui sont dentifiées.

Priorité II : le DDR
Selon le Premier ministre Moctar OUANE, « la multiplication des acteurs armés et la grande disponibilité des armes constituent des menaces sérieuses à la sécurité des populations. La tentation est donc grande de recourir à des formes d’auto-défense individuelle ou collective. Cette course à l’armement et à la création de groupes d’auto-défense a progressivement installé au sein des communautés un climat de suspicion préjudiciable à la cohésion sociale et à la réconciliation nationale ». Voilà qui justifie la deuxième priorité, à savoir ‘’accélérer le processus de désarmement, de démobilisation et de réinsertion des combattants dans le Nord et le Centre du pays’’.
Pour cela, il entend appliquer la recette suivante : poursuite du rappel des ex-combattants déserteurs des rangs des FAMa ; achèvement de l’intégration et de la formation de 5 325 combattants restants ; intégration de 6 350 ex-combattants dans les forces paramilitaires et dans la Fonction publique; renforcement de la coopération sécuritaire avec les partenaires, notamment pour créer des Pôles sécurisés de développement et de gouvernance (PSDG) ainsi que des unités opérationnelles et pour conduire des opérations conjointes ; soutien à la création et au financement de 3 000 emplois jeunes, de 1 200 microprojets, de 1 500 micro-entreprises rurales (MER) et de 6 000 activités génératrices de revenus (AGR) pour les jeunes des régions de Kayes, de Koulikoro, de Ségou et de Sikasso.
Autant ces actions sont volontaristes, autant il y a un black-out total sur les montants à mobiliser pour financer les projets et les sources de financement.
L’autre nerf de bœuf, c’est le nombre exact d’ex-combattants qui explose depuis la signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, particulièrement depuis le début de l’opérationnalisation de la phase du DDR. Il se dégage l’impression très nette que tout détenteur d’arme est un ex-combattant. Or, c’est un secret de polichinelle que dans certaines localités du pays, il est aussi facile de se procurer une arme de guerre que de se servir en cacahuètes en pays malinké. Il faut aussi dire que la brèche est ouverte par les critères d’identification retenus pour la mise en œuvre du DDR.
L’on ne saurait non plus occulter la question des grades qui a donné lieu à des mouvements plus ou moins contenus d’éléments déjà intégrés, notamment dans le Mécanisme Opérationnel de Coordination (MOC).

Priorité III : les milices
d’auto-défense
Pour le Chef du Gouvernement de Transition, « la gestion de la crise sécuritaire dans notre pays devient de plus en plus complexe avec l’émergence, outre des groupes armés radicaux, de nombreux autres acteurs armés. Des groupes d’auto-défense ou des milices armées, qui ne sont pas partie prenante de l’Accord pour la paix et la réconciliation, ont fait leur apparition au Nord et au Centre. Cette présence d’acteurs armés non étatiques contribue à l’aggravation de l’insécurité et à l’exacerbation des conflits locaux ». C’est pourquoi il se donne comme troisième priorité de l’axe I du PAGT de ‘’procéder à la dissolution effective de toutes les milices d’auto-défense’’. Pour cela, le Gouvernement entend procéder au renforcement du programme de réduction de la violence communautaire au Centre et au Nord ; à l’intensification des campagnes de sensibilisation en faveur du vivre ensemble et des rencontres inter et intracommunautaires ; à l’intégration des ex-combattants issus des groupes d’autodéfense.
Le Dialogue National Inclusif avait fait une recommandation claire dans ce sens. Le Premier ministre CISSE s’est rendu dans la région de Mopti les 22 et 23 février 2020, suite à l’attaque du village d’Ogossagou le 14 février qui a fait au moins 37 morts, 6 blessés et 20 personnes portées disparues. Il a lancé un ultimatum de trois jours à Dan Nan Ambassagou, le groupe d’autodéfense à prédominance dogon, demandant que ce dernier démantèle ses postes de contrôle le long d’une route principale dans la région de Mopti. Dans un communiqué publié le même jour, Dan Nan Ambassagou a subordonné cette mesure au retour de l’armée nationale dans ces régions
Les forces de sécurité maliennes ont appliqué le 26 février 2020 la décision du Premier ministre Boubou CISSE de démanteler des postes de contrôle le long d’une route principale.
Mais le hic c’est qu’un poste important entre Sévaré et Bandiagara d’où Dan Nan Ambassagou a été délogé n’a que brièvement été occupé par les FAMa. De façon caricaturale, on ne veut pas voir de chasseur et l’Armée se contente de ‘’brèves apparition’’, laissant un amère sentiment d’abandon chez les populations. La nature ayant horreur du vide et le besoin sécuritaire étant toujours aussi pressant, Dan Nan Ambassagou a du se redéployer. Le challenge c’est d’assurer une présence des FAMa partout où de besoin. L’augmentation des effectifs de 25 000 éléments sera-t-elle suffisante avec une superficie de 1,241 million km².
Mais, il n’y a pas que Dan Nan Ambassagou qui est une milice d’auto-défense pour faire l’objet de fixation. Il y a bien d’autres qu’il faudrait avoir le courage de désigner et de désarmer sur une base égalitaire.
Pour ce qui est de l’intégration des ex-combattants issus des groupes d’autodéfense, il faut dire que la confiance envers les autorités est laminée après le calvaire vécu par ceux qui ont été cantonnés à Soufouroulaye, non loin de Sévaré.

Priorité IV : le redéploiement des FAMa
La quatrième priorité de l’axe I du PAGT est de ‘’redéployer les forces de défense et de sécurité sur l’ensemble du territoire national’’. Cette action est justifiée par le Moctar OUANE : « la multiplication des groupes armés non étatiques est également une des conséquences des limites liées au maillage territorial et à notre dispositif sécuritaire. Le redéploiement de nos Forces de Défense et de Sécurité sur l’ensemble du territoire national est une tâche ardue, mais pas impossible. Les récents succès militaires en sont une illustration. Ce redéploiement doit se poursuivre en plaçant au cœur de l’agenda stratégique la protection des populations civiles. Cela serait d’autant plus utile que le déficit de protection des civils et le sentiment pour nos populations d’être livrées à elles-mêmes affectent l’image des représentants de l’État, en général, et de notre armée, en particulier ». C’est pourquoi le Gouvernement prévoit : le renforcement des capacités opérationnelles des FAMa à travers l’augmentation des effectifs de 25 000 nouvelles recrues, la construction de 42 postes de sécurité, l’acquisition de matériels et d’équipements militaires, la formation d’unités organiques ; la mise en œuvre du Plan de redéploiement des Forces armées reconstituées conformément aux dispositions de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali ; le renforcement de la mise en œuvre du plan de l’Opération MALIKO ; l’élaboration et mise en œuvre du plan TILEKURA ; la mise en œuvre de la carte d’implantation militaire des armées conformément à la Loi d’orientation et de programmation militaire (LOPM); l’opérationnalisation du Système d’information de gestion des ressources humaines (SIGRH) du secteur de la Défense; le renforcement de la sécurité aux frontières à travers la surveillance aérienne et terrestre ; le renforcement des actions favorisant l’adhésion des populations aux opérations de sécurisation…
Le redéploiement de nos Forces de Défense et de Sécurité sur l’ensemble du territoire national n’a besoin figurer dans les recommandations d’un DNI pour son effectivité, parce que la protection des personnes et des biens est une mission régalienne de l’État. Mais l’État malien, sous la Transition, a-t-il les ressources financières nécessaires pour assurer la couverture intégrale du territoire par nos FDS ? Les effectifs seront-ils jamais nécessaires pour couvrir l’ensemble du territoire national ? Sans faire un procès en duperie, cette hypothèse paraît peu plausible et relèverait plutôt de l’incantation. Entre ce qui est réalisable et ce qui ne l’est pas, la raison fait son lit.
En somme, s’il y a un terrain sur lequel le Gouvernement de Transition est particulièrement attendu, c’est bien celui de la sécurité. Ce dossier fait partie des éléments déclencheurs de la fronde contre le Président IBK et les populations seront d’autant plus regardantes qu’elles voient un pouvoir kaki en place, au-delà des apparences civiles, qui a l’occasion de prouver ce qu’il sait faire le mieux.

PAR BERTIN DAKOUO

Source : INFO-MATIN

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