En octobre 1978, au procès de la Bande des trois, Me Demba Diallo alias “Ça Goloba” a martelé que l’avocat n’est pas un marchand de parole. Il est plutôt chargé avec des maillons fragiles humains, de défendre la dignité, l’honneur, la liberté et la vie d’êtres humains. Parce qu’en chaque personne, il n’y a que du mal. C’est en cela que se justifie la profession d’avocat, parfois très ingrate. L’histoire retient que Me Demba Diallo fut un brillant avocat, au point que son éloquence a inspiré beaucoup de jeunes à l’époque, dont un certain Mamadou Gakou. “Ça Goloba” était sa référence, il devint lui aussi un ténor du barreau malien, avec à son actif de gros dossiers comme celui du général Moussa Traoré, le richissime Babany Sissoko, Mohamed Diawara, Adama Sangaré. Ancien député de l’Assemblée nationale, il est l’auteur du Code de procédure pénale, du Code de la minorité, Mamadou Gakou a été également membre de la Commission lois du Parlement malien pendant cinq ans. Il s’essaya également à la politique en créant même un parti politique, la COPP. Pour lui un bon avocat, c’est la culture générale, l’assiduité, le respect des magistrats, la connaissance de la législation et le suivi des dossiers. Ce qui lui fait dire que tous les clients sont bons, et l’avocat s’attache à les défendre pour la confiance placée en lui. Quel peut être le degré de complicité entre un avocat et son client ? Selon Me Gakou, la force d’un avocat dépend du bon comportement de son client, c’est-à-dire qu’il doit dire la vérité. Parce que si l’autre partie, ou les magistrats connaissent le dossier, le travail de son avocat peut s’avérer difficile. Dans son parcours en tant qu’avocat il retient trois grands dossiers : le procès du général Moussa Traoré, de Babany Sissoko et de Choguel Maïga, quand celui-ci s’entêtait à prendre le sigle de l’UDPM. Depuis quelques temps il se fait discret. La rubrique “Que sont-ils devenus ?” l’a rencontré pour ses fidèles lecteurs.
Nous arrivâmes chez Me Gakou le dimanche matin quand sa famille n’était pas encore réveillée. L’amabilité de la “bonne” (l’aide-ménagère) en partance au marché ne nous convainc pas à faire irruption dans la concession. Le silence qui y régnait, nous faisait penser à la présence de bergers allemands, prêts à bondir sur l’intrus.
Nous signalions donc notre présence à la porte à Maître par un coup de fil. Il nous assura que les chiens sont dans leurs niches ; que nous pouvions entrer. L’avocat, correctement habillé dans un costume bleu, nous accueille au bas de la terrasse, pour une interview dans un salon VIP.
Le début d’un tel entretien placé dans son contexte ne pouvait commencer que par une boutade, sous la forme d’une question banale. Pourquoi Me Gakou a-t-il choisi l’avocature au lieu de la magistrature. Son saut dans le Barreau s’est dessiné en 1966 quand il faisait la cinquième année fondamentale. Et de quelle manière donc ?
C’est à Banamba où le jeune Gakou a passé une bonne partie de son adolescence, a su que Me Demba Diallo est son frère. La présence d’un étranger dans une famille, constitue une source d’inspiration pour tout jeune enfant, à poser de multiples questions aux parents. Qu’est-ce qui explique le séjour de “Ça Goloba” dans la famille Gakou ? s’interrogea le jeunot. Sa mère l’informera des liens d’amitié très forts entre les vieux Moussa Diallo et Gakou. Elle ajoutera que Demba est un grand avocat, et sa présence à Banamba est consécutive à un procès qui implique le chef de village et certains de ses conseillers pour une affaire de mœurs. Il y était pour assurer leur défense.
A la fin de la récréation, le jeune Gakou ne rentre pas en classe. Il file au tribunal suivre l’intervention de Me Demba Diallo, dont la démonstration juridique l’émerveille et lui inocule le virus de cette profession libérale. De retour à la maison, Mamadou dit à son père qu’il décide d’être avocat. Me Demba se félicite de cette prétention de son jeune frère, et balance son expression fétiche “on s’en fout la mort” et l’invite à Bamako. Ils ne se revoient que pendant les vacances pour un bref échange.
Le jeune Gakou continue son cursus scolaire, décroche le bac en 1973 en série philo-lettres classiques. La même année, il bénéficie d’une bourse pour des études de droit, d’économie, finances et marketing dans les universités de Toulouse, Besançon et Sciences Pô.
Après deux ans de stage au cabinet de Me Jacques Vergès (1982-1984), Gakou retourne au Mali. Il enseigne le droit civil à l’Ecole nationale d’administration (Ena) et ambitionne d’exercer la profession qui lui tient à cœur : avocat. Il prend le soin de rendre visite à son aîné Me Demba Diallo. Comment cette visite de courtoisie s’est passée ?
“Je lui ai présenté mon cursus universitaire, mon passage chez Me Vergès et mon projet d’ouverture d’un cabinet d’avocat. En réponse, il me parle de son séjour à Banamba et du jeune qui a projeté d’être avocat, sans savoir que je suis cette anecdote. Quand il a fini de parler, je lui ai parlé de mon père et il a immédiatement compris que je suis le jeune dont il parlait. Encore il dit, on s’en fout la mort. Nous avons longuement échangé, et finalement Me Demba me propose une collaboration dans son cabinet”.
Des conseils pour les autorités de la Transition
Se souvient-il de deux anecdotes ? Oui répond-il. La condamnation à mort d’un chef d’arrondissement pour détournement de 11 millions de FCFA. Il a été choqué par cette sentence parce qu’il a compris que le client ne lui a pas la vérité, le fond du problème. L’autre anecdote concerne un jeune accusé du meurtre d’une greffière. Les faits se sont déroulés à Bouaké, en Côte d’ivoire. Arrivé sur les lieux le vendredi, Me Gakou se présente à la procureure.
Telle ne fût sa surprise quand celle-ci lui signifie la sensibilité du dossier, et surtout sa volonté de requérir la peine de mort contre l’accusé. Il dit être habitué à de telle pression, et demande à rencontrer son client. Le jour du procès, il crée un incident et met en doute la compétence de la procureure. Le président de la Cour suspend les débats pour raccorder les violons. Par la suite, le procès s’est poursuivi et son client a été acquitté en compagnie de tous ses compagnons.
Me Mamadou Gakou tel que nous l’avons connu fait des déclarations fracassantes sans langue de bois. Aujourd’hui, il estime que le Mali vit un moment d’incertitudes, De ce fait il est farouchement opposé à la venue de Wagner, des mercenaires qui vont nous opposer à l’action de nos amis et partenaires français, de leur expérience pratique, de leur culture qui se sédimente sur tous les plans.
Par rapport à la prolongation de la Transition, il dit n’avoir rien contre le président Assimi Goïta et son frère Choguel Maïga, qui assurent une continuité de propreté et d’efficacité avec intégrité au sein d’une société qui en a besoin. Pour lui, la surcharge éthique de la Cédéao ou ce qu’il en apparaît est compatible avec la paix, par le dialogue. Il n’y a point de traité qui décale historiquement l’intégration. Si réellement la prolongation de la Transition est nécessaire, Me Gakou conseille aux autorités de convaincre la Cédéao. Les actuels tenants du pouvoir n’étaient pas au pouvoir en 2020.
Me Gakou a également fait un saut dans le marigot politique. D’abord avec la Convention Parti du Peuple, une association qu’il pilotait avec l’ancien premier ministre Soumana Sako. Suite à des incompréhensions, il prend son indépendance et crée la COPP, parti politique. Une expérience qui lui a permis de faire le tour du pays, d’être candidat aux élections présidentielles de 2002, d’être député à l’Assemblée nationale.
Ces derniers temps le parti est latent parce que les charges financières débordent : les missions, l’entretien des cadres les frais de location, et autres dépenses diverses sont supportées par le seul président du parti. Malgré tout, il n’a jamais quitté la scène politique, et donne toujours son avis sur les actualités du pays. En 2013 Me Gakou est nommé conseiller spécial du président IBK, avec rang de ministre.
En tant qu’avocat son avis est d’ordre juridique par rapport aux vagues d’arrestations. En homme prudent dans un contexte politique particulier, il demande aux accusés d’apporter la preuve de leur innocence. Autre sujet important ? Les élections tant exigées par la communauté Internationale, Me Gakou soutient que tout dépendra de la période. Mais aujourd’hui il est formel que l’incertitude plane.
Roger Tél (00223) 63 88 24 23
Source: Aujourd’hui-Mali