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Professeur Sanoussi Bamani, acteur du mouvement démocratique : «Il est impossible de tenir les élections en février 2022 et on doit être très ferme avec nos partenaires»

Ophtalmologiste de profession (retraité de l’IOTA et de la Faculté de médecine) et politique à ses «heures perdues», Pr. Sanoussi Bamani est un acteur du Mouvement démocratique malien. Il est en effet membre fondateur de l’ADEMA Association et de l’Adema PASJ ainsi que membre fondateur des Fare Anka Wuli (Forces Alternatives pour le Renouveau et l’Emergence). Mais dépité par la gouvernance du pays, comme beaucoup d’acteurs anonymes du Mouvement démocratique, il a pris ses distances de la scène politique. N’empêche que ce professeur émérite demeure un observateur averti de l’évolution du pays. Dans cet entretien, il nous livre son analyse sans complaisance de la démocratie, de la gouvernance politique, de la transition en cours, de l’insécurité, des relations franco-maliennes… Interview !

Le Matin : Nous avons l’impression ces dernières années que vous vous êtes volontairement mis à l’écart de la vie politique active. Est-ce juste ?

Sanoussi Bamani : Je reste toujours un militant de la cause du Mali qui reste ma passion. Impossible de rester à l’écart de la vie politique quand son pays est attaqué de l’intérieur et de l’extérieur

Qu’est-ce qui explique ce choix de prendre une distance avec la vie politique ?

Avec l’arrivée de IBK au pouvoir en 2013, je ne me reconnaissais plus dans la politique menée par lui et ses partisans. Le parti FARE avait décidé d’être dans l’opposition au cas où son candidat ne serait pas élu président. Je me sentais à l’aise dans l’opposition et j’ai passé 7 ans dans l’opposition pour combattre ce régime qui venait de s’installer grâce à la mansuétude de la junte militaire dirigée par Amadou Haya Sanogo et à l’immixtion des leaders religieux dans le jeu politique. Dans nos sociétés, la place naturelle des religieux est d’être au-dessus de la mêlée et d’arbitrer le jeu politique. Hélas, on a vu le résultat de ce compagnonnage IBK-Junte militaire-«Sabati 2012» qui a mené le Mali dans l’abîme.

Certains analystes pensent que notre pays en est là aujourd’hui parce que des intellectuels vertueux comme vous se sont éloignés de la politique ?

Beaucoup de cadres se sont éloignés de la chose politique à cause du comportement peu orthodoxe de nos hommes politiques qui se servent de la politique comme moyen d’ascension sociale en oubliant le peuple. Je comprends leur position, mais ne la partage pas. On n’a pas le droit de laisser son pays en des mains incertaines et peu vertueuses. C’est pourquoi je me bats au sein de formations politiques crédibles comme les FARE qui avaient comme credo de faire la politique autrement. Le parcours de son président, Modibo Sidibé, m’a incité à le rejoindre pour la construction d’un autre Mali. Quand on veut bâtir son pays, on ne vient pas pour se servir mais pour servir sa patrie en mettant en œuvre l’idéal pour lequel on se bat depuis des années !

Depuis 2012, le Mali est confronté à une crise institutionnelle qui est en partie à la base du chaos sécuritaire. Est-ce l’échec de notre modèle démocratique ?

Le putsch de 2012 avec la venue de Amadou Haya Sanogo au pouvoir est la conséquence de la piètre qualité de la classe politique adossée à une société civile aussi politisée qu’incompétente. Notre modèle démocratique demande à être revu : les partis politiques doivent s’assumer et accepter que la majorité gouverne et que l’opposition joue son rôle de veille démocratique. Il est essentiel de revoir la concentration des pouvoirs entre les mains d’un président de la République, certes élu au suffrage universel direct, qui contrôle presque toutes les autres institutions du pays. Il faut donner plus de force aux institutions et leur donner les moyens de jouer véritablement leur rôle au lieu qu’elles soient des appendices de l’institution président de la République (PR). Les contre-pouvoirs ne fonctionnent pas correctement par la volonté des PR de contrôler toutes les institutions. Les sociétés civiles, qui normalement doivent avoir une grande place dans le fonctionnement de la démocratie, se sont politisées et font la cour assidûment au pouvoir. Impossible de s’en sortir !

La démocratie malienne était pourtant citée en exemple dans le monde jusqu’en 2012 ?

La démocratie malienne était effectivement citée en exemple de 1992 à 2012 ! En cela, il faut saluer la bonne tenue de la Conférence Nationale de 1992 et des élections présidentielles, législatives et municipales en plus de la vitalité du Mouvement Démocratique, acteur de la Révolution de Mars 91.  

 L’ADEMA et le président Alpha Oumar Konaré notamment, sont indexés dans cette situation parce que n’ayant pas pris d’actes pour consolider le processus ?

L’Adema PASJ a fait les premiers pas de la démocratie au Mali avec l’élection de Alpha Oumar Konaré comme premier président démocratiquement élu. Il a travaillé dans des conditions de départ très difficiles avec la rébellion au nord et la guérilla au sud avec l’AEEM (Association des élèves et étudiants du Mali) et une frange de l’opposition qui n’acceptait pas sa défaite. Les troubles ont continué jusqu’en 1994 et c’est à partir de ce moment que le pays a connu des moments de stabilité. Il est injuste de vouloir accabler AOK dans les faiblesses de gestion de la jeune démocratie naissante. Certains veulent accabler le pouvoir de l’époque d’avoir laissé la corruption s’installer. Elle existait déjà sous GMT (Général Moussa Traoré) au sein de l’armée et de la société. Mais, il faut être objectif et reconnaître que certains cadres de l’Adema n’ont pas donné des signaux de bonne gestion des biens publics.

Et depuis 2012, le pays a du mal à mettre en place un environnement politique apaisé, consensuel… A qui la faute ?

La faute à l’argent roi qui est venu s’installer en maître absolu et a pollué l’atmosphère politique. La boulimie des hommes politiques pour l’argent sale a fini par les décrédibiliser. La corruption et la mauvaise gouvernance ont détruit ce qu’il y avait de sain dans notre société.

Aujourd’hui, les regards sont tournés vers  les autorités de la transition. Etes-vous pour ou contre sa prolongation (l’interview a eu lieu avant la phase nationale des assises nationales de la refondation ?)

Il faut être objectif et reconnaître que le pays ne peut plus continuer à être géré comme il l’est. L’insécurité qui était localisée au nord a fini par métastaser au centre du pays. Il est impossible de tenir les élections en février 2022 et on doit être très ferme avec nos partenaires pour qu’ils arrêtent de mettre la pression sur les autorités de la Transition. Nous refusons de faire des élections bâclées qui vont nous ramener à la case-départ, celle des coups d’état ! Mais, il ne faut pas non plus que la Transition s’éternise. Raisonnablement on peut prolonger d’une année, jusqu’en 2023 !

Selon vous, quelles doivent être les priorités absolues pour les autorités de transition ?

Pour moi, les priorités absolues de la Transition doivent être de ramener la sécurité sur toute l’étendue du territoire en relisant l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale qui nous a été imposé et en donnant les moyens humains, matériels à notre armée pour mener cette mission. La  lutte implacable contre la corruption doit permettre de modeler un nouvel homme politique malien !

Malgré les efforts consentis et la présence de plusieurs forces internationales alliées, l’insécurité s’étend progressivement à tous les pays. Que préconisez-vous pour l’enrayer et stabiliser le pays ?

Pour enrayer l’insécurité, l’expérience que nous vivons depuis 2013 avec l’arrivée de Barkhane, de la Minusma n’est pas la panacée : depuis 8 ans et les moyens colossaux injectés, l’insécurité s’est étendue vers le centre. Cet échec doit amener le Mali à revoir son partenariat et à chercher d’autres partenaires qui lui permettront d’avoir des équipements adaptés. Il faut donner les moyens à notre armée d’assurer ses missions régaliennes de défense du territoire.

Le combat contre le terrorisme divise aujourd’hui les autorités maliennes et françaises avec des accusations de trahison de part et d’autre. Une rupture avec la France est-elle dans l’intérêt du Mali ?

Je souhaite que le Mali conserve son partenariat avec la France dans le respect mutuel. La pression exercée par la France sur le Mali pour lui imposer certains partenariats et récuser d’autres est inacceptable. Il faut que la France comprenne que l’intérêt du Mali prime et notre souveraineté ne peut être remise en cause par qui que ce soit !

Que doit-on privilégier à l’avenir dans les relations franco-maliennes voire franco-africaines ?

L’intérêt du Mali et de l’Afrique c’est de nouer un partenariat gagnant-gagnant basé sur la fin de la France-Afrique, du F CFA. La jeunesse africaine est maintenant très politisée et consciente de ses missions et devoirs. Elle refuse l’asservissement de ses dirigeants.

Quel est votre vœu pour 2022 ?

La paix, la sécurité sur toute l’étendue du territoire, la maîtrise de notre sol et de notre sous-sol et des dirigeants qui aient souci du bien public en luttant farouchement contre la corruption !

Propos recueillis par

Moussa Bolly

Source: Le Matin

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