Tantôt en tournée dans le Nord, tantôt en visite à l’étranger… Nommé pour permettre la réélection du président sortant en juillet, le Premier ministre ne ménage pas ses efforts.
Chèche blanc autour du cou, il est accueilli chaleureusement par les notables de la ville. En cette fin du mois de mars, Soumeylou Boubèye Maïga arpente, tout sourire, les rues brûlantes de Kidal. Le symbole est fort : voilà quatre ans qu’aucun ministre malien n’a posé le pied dans le fief de la rébellion touarègue.
Le dernier à y être allé est Moussa Mara, en mai 2014. Alors Premier ministre, il en avait été chassé par les balles des rebelles, laissant derrière lui plusieurs fonctionnaires sans vie et une armée en déroute. Ce voyage avorté avait provoqué une grave crise politique et coûté son poste à Boubèye Maïga, à l’époque ministre de la Défense.
Pour cet homme qui dirige désormais le gouvernement, nul doute que ce passage sans heurt à Kidal a un goût de revanche. Après le fiasco de 2014, il avait été mis sur la touche. Deux années loin du pouvoir, durant lesquelles il est resté loyal au président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), même s’il a peu apprécié de devoir payer la fougue de son cadet au gouvernement.
[En 2014] j’’ai servi de fusible, mais j’ai compris cette décision. IBK n’avait pas le choix » confie Boubèye Maïga
« J’ai servi de fusible, mais j’ai compris cette décision, dit-il aujourd’hui. IBK n’avait pas le choix. Je ne lui en ai pas tenu rigueur et j’ai continué à le soutenir, en intervenant auprès de lui quand je le pouvais. En deux ans, personne ne m’a jamais entendu dire quoi que ce soit de négatif sur le président. »
Fidélité récompensée
En 2016, sa fidélité est récompensée : il est rappelé pour occuper le poste stratégique de secrétaire général de la présidence. Son travail de coordination y est apprécié, même si les relations avec Abdoulaye Idrissa Maïga, le Premier ministre lui aussi originaire de Gao, sont notoirement tendues.
Mi-2017, le régime tangue à l’approche de l’hivernage. Le projet de révision constitutionnelle a été retiré sous la pression populaire, et l’insécurité croît dans certaines régions du pays. À quelques mois de la présidentielle du 29 juillet 2018, IBK, qui y briguera un second mandat, n’a plus le droit à l’erreur. Il nomme Soumeylou Boubèye Maïga au poste de Premier ministre le 31 décembre 2017.
Le choix s’est porté sur Soumeylou Boubèye Maïga assez naturellement » explique une source à la présidence
« Le choix s’est porté sur lui assez naturellement, explique une source à la présidence. Il a prouvé qu’il avait toutes les compétences et les qualités nécessaires pour faire le job. » En aparté, certains ténors de l’opposition en conviennent : nommer Boubèye Maïga à la primature était la seule chose à faire dans la perspective de l’élection.
Expérience des arcanes du pouvoir, solide connaissance des dossiers sécuritaires, relations anciennes avec la plupart des acteurs du complexe échiquier malien… Boubèye Maïga coche de nombreuses cases. Lorsqu’il lui confie les rênes du gouvernement, IBK lui demande de mettre les bouchées doubles.
Sur la feuille de route qui lui est remise, quatre chantiers majeurs : l’accélération de la mise en œuvre de l’accord de paix, la sécurisation du centre du pays, la mise en place du programme présidentiel d’urgence sociale et, surtout, l’organisation de la présidentielle.
On ne voit plus que lui
Le Premier ministre les attaque tous de front. Très vite, cet homme réputé fonceur – trop, selon ses détracteurs – fait la une des médias. On ne voit, on n’entend plus que lui. Il multiplie les réunions à Bamako, fait des tournées à travers le pays (il était début mai dans la région instable de Ménaka, à la frontière avec le Niger). Il se déplace même à l’étranger, du Burkina Faso à la Côte d’Ivoire en passant par l’Algérie, le Maroc et, tout récemment, la Mauritanie…
Grâce à lui, IBK est en train de redorer son blason dans la dernière ligne droite » souffle un observateur
« En quelques mois, il a insufflé un nouveau dynamisme au sommet de l’État. Grâce à lui, IBK est en train de redorer son blason dans la dernière ligne droite », souffle un observateur avisé du Mali.
Sa déclaration de politique générale, prononcée le 20 avril devant l’Assemblée nationale, ressemble davantage à un premier bilan qu’à un programme de gouvernement. « Il s’agite dans tous les domaines et fait beaucoup de bruit, mais pour l’instant nous attendons toujours des résultats, en particulier sur la préparation des élections », tempère Moussa Mara, depuis passé dans l’opposition.
Soumeylou Boubèye Maïga, sauveur d’IBK ? « Il s’appellerait Superman que cela ne changerait rien » assène un ancien ministre
Soumeylou Boubèye Maïga, sauveur d’IBK ? Ni l’intéressé ni l’entourage du chef de l’État ne se risquent à un tel diagnostic. « Il s’appellerait Superman que cela ne changerait rien, assène un ancien ministre. Il ne peut rien faire en si peu de temps. Il aurait fallu le nommer plus tôt. »
Engagé dans une course contre la montre, le ministre n’a pas d’autre choix que d’aller vite. Dès son entrée en fonction, il s’est penché sur la situation dans le centre du pays, miné par les attaques récurrentes de groupes jihadistes et les tensions intercommunautaires.
Lors d’un déplacement à Mopti, mi-février, il a annoncé la mise en œuvre du Plan de sécurisation intégré des régions du Centre, qui prévoit un renfort de 4 000 militaires et la mise à disposition de l’armée de nouveaux moyens matériels et financiers.
« Nous avions une posture trop attentiste dans le Centre. Cela a permis à des groupes terroristes de s’y constituer des bases arrière, à partir desquelles ils attaquent la population et nos forces armées. Nous avons donc opté pour une stratégie plus offensive », explique Boubèye Maïga, selon qui tous les préfets et sous-préfets sont désormais de retour dans les localités qu’ils avaient désertées en raison de l’insécurité.
Entregent redouté
Cette méthode forte n’est pas du goût de tout le monde, en particulier depuis que l’armée a été accusée d’avoir commis des exactions contre la population. Seul civil à avoir dirigé la Sécurité d’État, de 1993 à 2000, le Premier ministre est souvent présenté comme un « sécurocrate » à poigne. « Il a du courage et n’hésite pas à mettre ses sentiments personnels de côté quand il le faut », glisse un de ses proches.
Son passage à la tête des services de renseignements a laissé de lui l’image d’un homme habile, qui connaît ses dossiers
Son passage à la tête des services de renseignements maliens a donné de lui l’image d’un homme qui maîtrise ses dossiers, un personnage influent dont on sait – et dont on redoute – l’entregent.
Il avait aussi, du temps où il était ministre de la Défense, de bons rapports avec les militaires. Songhaï de Gao, il est enfin particulièrement bien introduit dans le Nord, où il dispose de nombreux relais pour essayer de faire avancer le processus de paix et établir des relations de confiance avec les groupes armés. Car Soumeylou Boubèye Maïga le sait : il aura besoin de la collaboration de tous pour assurer le bon déroulement de la présidentielle.
Il n’y a pas de plan B. Le scrutin se tiendra le 29 juillet » assure le Premier ministre
« Il n’y a pas de plan B. Le scrutin se tiendra le 29 juillet, assure-t-il. Le pays ne se stabilisera que dans la démocratie. » Face aux inquiétudes de l’opposition et des partenaires étrangers, il a tenu à dissiper les doutes en dévoilant, quelques semaines après sa nomination, la date de ce scrutin aux multiples enjeux.
Au-delà des obligations constitutionnelles auxquelles son administration est tenue, le Premier ministre est surtout conscient qu’un report serait un aveu d’échec cinglant pour IBK. « Tout est sous contrôle. Pour l’instant, nous ne rencontrons aucun problème technique », affirme-t-il, assurant qu’il « fai[t] tout » pour garantir la transparence du scrutin.
Maintenant que la loi électorale a été adoptée et que le fichier électoral a été audité, reste un point d’interrogation majeur : la distribution des cartes d’électeur. Boubèye Maïga promet qu’elles seront livrées à Bamako le 20 juin, ce qui laisserait un mois pour les distribuer aux quelque 7 millions d’électeurs.
Ambitieux
Une fois l’élection passée, que fera cet ancien journaliste engagé contre la dictature de Moussa Traoré ? Son avenir dépendra de celui d’IBK. Si le président sortant était réélu, ce fidèle serait bien placé pour demeurer le chef d’orchestre gouvernemental. Lui ne dit pas non, affirmant qu’il « partage la même vision politique » que son aîné, avec lequel il chemine depuis trois décennies.
Boubèye Maïga pourrait-il un jour avoir des vues sur le palais de Koulouba ?
Mais, si le président sortant est battu, la donne sera tout autre. À 63 ans, il aura encore quelques années devant lui, ainsi qu’un CV bien garni. En plus d’être habile, l’homme est ambitieux. Pourrait-il un jour avoir des vues sur le palais de Koulouba ?
« Il n’a aucune base politique et n’a jamais remporté une élection. Il a toujours évolué dans les salons de Bamako, coupé des préoccupations de la population », tacle Moussa Mara. Boubèye Maïga, lui, veille à ne pas insulter l’avenir. « Je travaillerai pour la poursuite de notre projet politique », souffle-t-il du bout des lèvres. Avec ou sans IBK ? Réponse dans quelques mois.
Un poste à haut risque
Au Mali, les Premiers ministres s’usent rapidement. Le chef de l’État en a désigné cinq depuis le début de son mandat, en 2013 : Oumar Tatam Ly, en fonction du 5 septembre 2013 au 9 avril 2014, puis Moussa Mara, jusqu’au 9 janvier 2015. Ont suivi Modibo Keïta, jusqu’au 10 avril 2017, Abdoulaye Idrissa Maïga, jusqu’au 31 décembre 2017, et enfin Soumeylou Boubèye Maïga.
Source: jeuneafrique