Le monde de la photographie malienne vient de perdre un de ses illustres représentants. Alioune Ba, photographe au Musée national pendant près d’un quart de siècle, ayant mené un travail artistique privé, a tiré sa révérence lundi dernier à Bamako. Il a été conduit le lendemain à sa dernière demeure à Lafiaboubougou par une foule de parents, d’amis et de collègues.
Alioune Ba appartient à la génération de photographes maliens qui ont pris conscience de l’importance de leur travail à partir des premières éditions de la Rencontre africaine de la photographie à Bamako, au milieu des années 1990. La création de cette grande manifestation leur a donné l’occasion de se révéler au monde entier. En novembre 2017, il a présenté une exposition au Mémorial Modibo Keïta, intitulée «Lobbo» qui signifie « jolie femme » en langue nationale peulh. Cette exposition était consacrée aux différents types de violences qui s’exacerbent dans notre société. Elle dénonçait spécifiquement les violences faites aux femmes lors de l’occupation des régions du nord de notre pays, en 2012.
Dans un article que nous lui avions consacré en 2009, on notait sa grande capacité à passer du documentaire au travail de création artistique. Alioune Ba photographiait les événements de l’actualité mais surtout les traits les plus reluisants de notre pays et de l’Afrique. Alioune Ba s’intéressait au détail de la vie quotidienne qui nous échappe. Une manière pour lui de changer la perception que l’on a de notre pays et du continent africain. Comme les artistes de sa génération, il enfouit aussi les mauvaises images de guerre, famine, catastrophes naturelles qui ont frappé notre continent. Pourtant chez nous, il existe de très belles choses qui embellissent notre environnement et qui nous donnent la joie de vivre. Telles étaient les motivations du photographe et les raisons de son sens esthétique.
Alioune Ba a construit ce sens esthétique au fil du temps de ses nombreux reportages dans le pays profond. En effet, ce documentariste qui travaillait au Musée national s’intéressait depuis longtemps aux réalisations en studio. Il faisait les photos documentaires de toutes les pièces de la collection de cette «grande institution» culturelle. Sur toute l’étendue du territoire, il couvrait les cérémonies rituelles et autres fêtes traditionnelles. Des photos qui servent, aujourd’hui, à constituer une archive en images pour les générations à venir.
Ainsi, loin des portraits et des photos des événements et cérémonies sociales, Alioune Ba s’est intéressé très tôt à des sujets et thèmes plus contemporains. Ce qui l’amena à présenter au Centre culturel français de Bamako en 1995 une exposition intitulée : «Détail des pieds et des mains». Il dévoilait tout le charme des multiples signes, dessins et autres figures qui permettent aux femmes de décorer la plante des pieds et des mains à l’occasion de fêtes. Cette exposition a remporté un franc succès aussi bien au Mali, qu’aux Etats Unis et au Japon. L’exposition est restée près de 3 mois à la «Gallery Kai» d’Osaka au Japon.
Il a abordé bien d’autres thématiques, notamment: «Enfant, que deviendras-tu ?»; «Femme en milieu rural»; «L’orpaillage traditionnel»; «Vie quotidienne en milieu rural»; «Fleuve»; «Caravane de sel dans le désert» entre autres. Mais le dernier travail Architecture de terre du Mali», exposées à la Cité de l’architecture de Paris (France) en 2007.
Alioune Ba a été un photographe très prolifique. Il a exposé une vingtaine de fois, de 1990 à nos jours, dont 4 expositions au cours de différentes éditions des Rencontres africaines de la photographie de Bamako. Son talent et sa perspicacité sont reconnus à travers le monde dans toutes les grandes enceintes de la photo. C’est pourquoi, il a exposé successivement à Abidjan, Marrakech, Paris, Anvers, Amsterdam, Bonne, Berlin, Angoulême mais aussi et surtout en Arles, cette ville abritant l’une des plus grandes rencontres de photo au Monde. En 1997, il a été lauréat du prix Afrique du Festival des trois continents à Nantes en France.
Depuis quelques années, l’artiste s’orientait vers une autre dimension de la photo. Comme la musique, le cinéma et le théâtre, la photographie peut également servir d’intermédiation sociale. Aider les personnes saines voire les malades mentaux à surmonter leur handicap avec la photo. Ainsi, il a pris part à un atelier de photo avec les malades mentaux du centre hospitalo-universitaire (CHU) du Point G à Bamako en 2007. Auparavant, il avait tenté une première expérience avec les enfants de la rue, puis avec les enfants infectés et affectés par le VIH/Sida. Une approche de l’art qui consiste à se mettre au service de la société et de la communauté de manière générale.
Youssouf DOUMBIA
Source: Essor