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Ousmane Sonko, chef de l’opposition sénégalaise, jugé pour viols présumés

Le président sénégalais Macky Sall joue à quitte ou double pour la présidentielle de 2024 en se portant candidat à sa succession pour la troisième fois en s’engageant dans une opération de neutralisation « judiciaire » de tous ces concurrents, notamment le très populaire Ousmane Sonko jugé ce mardi à Dakar pour viol.

Une chronique de Francis Sahel

La candidature de Macky Sall pour un troisième mandat bien peu constitutionnel met en péril la démocratie sénégalaise citée jusqu’à aujourd’hui en modèle

« En 2012, j’avais combattu la troisième candidature d’Abdoulaye Wade au côté de Macky Sall. Et, douze ans après, le scénario se répète, c’est dommageable pour la démocratie sénégalaise ». Venant d’Amina Toure qui fut présidente du Conseil économique et social et Premier ministre sous Macky Sall, cette charge contre un troisième mandat présidentiel contre les velléités du président sénégalais de se porter candidat à sa succession pour la troisième fois en février 2024 a un écho tout particulier. Sur fond d’appels à la prudence lancés de toutes parts, y compris par Barack Obama et Emmanuel Macron.

La semaine de tous les dangers 

Les partisans  de Macky Sall mettent en avant l’entrée du Sénégal dans le cercle très convoité des pays producteurs du pétrole. A partir de la fin 2023, le pays va produire 100. 000 barils de pétrole par jour. Les supporters du président vantent également la confiance des partenaires étrangers envers leur pays, en soulignant que le FMI vient d’accorder un prêt de deux milliards de dollars. au Sénégal Dans leur plaidoyer en faveur du troisième mandat, les militants de la coalition Benno Bokk Yaakaar (BBY, Unis par l’espoir en français), vantent par ailleurs la stabilité du Sénégal, dans une Afrique de l’Ouest traversé de part en part par la menace terroriste qui s’étend désormais du Sahel au Golfe de Guinée.  

En dépit du bilan « exemplaire » vanté par ses partisans, Macky Sall semble avoir choisi pour stratégie de ne pas prendre les risques d’être battu en 2024 dans les urnes comme Abdoulaye Wade en 2012. Il s’est ainsi engagé dans une opération de neutralisation « judiciaire » de tous ces concurrents les plus sérieux. Suite à leur condamnation, Karim Wade, fils et ancien ministre de l’ex-président Abdoulaye Wade, et Khalifa Sall, ancien Maire de Dakar, sont déjà hors-jeu.

Comme dit l’adage, on ne prête qu’aux riches : en 2018, Macky Sall avait fait arrêter et condamner à cinq ans de prison ferme Khalifa Sall pour une affaire « de détournement de fonds publics » à la Mairie de Dakar.

Le rouleau compresseur judiciaire

Cette fois, le rouleau compresseur judiciaire a été lancé contre Ousmane Sonko, le président du Parti des patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (PASTEF). Arrivé troisième lors de la présidentielle de 2019, derrière Macky Sall et l’ancien Premier ministre Idrissa Seck, Sonko a été condamné en appel à six mois d’emprisonnement avec sursis et 200 000 millions de FCFA d’amende. Le verdict prononcé suite à une plainte en diffamation du ministre du Tourisme Mame Mbaye Niang suffit, s’il devenait définitif, à écarter Sonko de la course au fauteuil présidentiel. Dans les rangs de la coalition au pouvoir, Sonko, dont le discours nationaliste et anti-élites, séduit largement la jeunesse sénégalaise reste un danger qu’il faut neutraliser pour de bon. C’est donc peu dire que le pouvoir de Macky Sall fait feu de tout bois pour obtenir une condamnation beaucoup plus lourde de Sonko dans le dossier de « viol présumé » pour lequel le leader du PASTEF doit comparaître mardi 23 mai devant le tribunal de Dakar. L’arrestation de Sonko, en mars 2021, suite à la plainte d’Adji Sarr, une employée d’un salon de massage dakarois, avait entraîné la mort d’au moins 13 manifestants. Les fortes tensions qui ont précédé l’ouverture du procès pour viol du leader du PASTEF le 16 mai, avant son renvoi au 23 mai, laissent présager de nouvelles turbulences pour le Sénégal.

Sonko et ses partisans, qui dénoncent un procès politique et une instrumentalisation de la justice, sont déterminés à ne pas se laisser faire. Anticipant sur les risques d’une instabilité politique de grande ampleur qui pourrait nourrir des desseins dans l’armée, Macky Sall a brutalement limogé le chef d’état-major de l’armée sénégalaise Cheikh Wade dont le commandement n’était pas arrivé à son terme. Le nouveau patron de l’armée nommé par le président Sall n’est autre que le général Mbaye Cissé, son chef d’état-major particulier. Dans la foulée, le président a également « cadeauté » toute l’armée en prolongeant la carrière de tous les militaires d’une année. Rien n’indique, toutefois, que cela suffira à conjurer les risques de déstabilisation du pays, charriés par une éventuelle condamnation de Sonko à la prison ferme.

Vives inquiétudes à l’étranger 

Le bras de fer entre le président sénégalais Macky Sall et son principal opposant Ousmane Sonko, avec en toile de mire de la présidentielle 2024, a largement débordé le Sénégal pour susciter de vives inquiétudes dans la sous-région ouest-africaine et bien au-delà. Alors qu’il a longtemps affiché sa proximité personnelle voire son amitié avec le président sénégalais, Emmanuel Macron ne semble pas avoir réussi à le dissuader de rempiler. Plusieurs sources, jamais démenties par l’Elysée, ont affirmé que le président français aurait miroité à Macky Sall une carrière internationale, s’il renonçait à se présenter. En vain !

Faute de mieux, la France donne désormais des gages de neutralité entre Macky Sall et son principal rival. Après de longues années de méfiance, des émissaires du Quai et des agents de la DGSE ont rencontré ces derniers temps Ousmane Sonko à Dakar et Ziguinchor, ville dont il est le Maire. Outre le président Macron, l’ancien président américain Barack Obama aurait, selon nos confrères d’Africa Intelligence, tenté de dissuader Macky Sall de solliciter un troisième mandat en 2024. Plusieurs autres personnalités africaines et internationales auraient, elles aussi, discrètement essayé de décourager le président Sall de rempiler en 2024. Elles n’auront finalement pas obtenu plus de succès que Macron et surtout Obama dont on pensait la proximité et l’amitié avec Sall suffisantes pour lui faire entendre raison.

Comme tout pari, celui que tente Macky Sall en briguant un troisième mandat présente une grande partie d’incertitudes. Pour beaucoup d’analystes, sa démarche s’apparente à un saut dans l’inconnu pour le Sénégal et pour lui-même : si la candidature passe et qu’il est réélu en 2024, Macky Sall aura passé 17 ans à la tête du Sénégal. En revanche, si elle ne passe pas ou s’il était battu en 2024, non seulement il sera sorti de la vie politique par la petite porte, mais il laissera surtout le souvenir d’avoir été le fossoyeur de la démocratie sénégalaise, longtemps citée en exemple sur le continent africain.

ENCADRÉ, UN TROISIÈME MANDAT NON CONSTITUTIONNEL

De nombreux éminents juristes sénégalais souignent la fragilité juridique de la troisième candidature de Macky Sall. Les partisans du président Macky Sall soutiennent que « le premier mandat du président est celui de 2019 à 2024 ». A en croire ce raisonnement, la révision constitutionnelle voulue en 2016 par Macky Sall a remis les compteurs à zéro. Dans cette hypothèse, le président sénégalais ne violerait, en se représentant en 2024, en aucun cas l’article 27 de la Constitution qui dit que « nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ». 

Cet argumentaire est jugé techniquement très fragile par des constitutionnalistes sénégalais qui rappellent que la révision constitutionnelle de 2016 ne portait pas sur le nombre des mandats mais uniquement sur leur durée qui est passée de sept à cinq ans. Au-delà de sa dimension juridique, la candidature du président sénégalais à un troisième mandat revêt une dimension morale voire éthique. En effet, Macky Sall avait déclaré en 2019 à de nombreuses reprises qu’il faisait son deuxième et dernier mandat. Il l’avait redit alors dans un livre publié à la veille du scrutin présidentiel. Dans des vidéos largement diffusées sur les réseaux sociaux par ses adversaires, on voit le président sénégalais assurer en wolof, la langue la plus parlée du pays, qu’il ne se représenterait pas à un troisième mandat.  

Mondafrique

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