Un coup de semonce sur la tête des policiers, c’est ce à quoi ressemble l’adoption de ce projet de texte et de surcroît presque en catimini, qui plus est, au lendemain du 04 octobre (Journées de la Police) et après les renouvellements des bureaux de syndicat des Officiers et des Commissaires. Le sentiment partagé par beaucoup de policiers est que la démarche n’a pas été inclusive et démocratique. C’est comme si les concernés n’ont pas eu droit à la parole.
En effet, sur le rapport du Ministre de la Sécurité et de la Protection civile, le Conseil des ministres tenu, hier (mercredi) 04 octobre 2022, a adopté un projet de loi portant militarisation de la Police nationale et de la Protection Civile. L’argumentaire sécuritaire et les attentes de certains maliens lors des Assises Nationales de la Refondation sous-tendent ce choix. En théorie, ce projet doit passer devant le Conseil nation de transition (CNT), l’organe législatif de la transition pour approbation avant d’être publié dans le Journal Officiel. Il est reproché, par moment et par endroit, à la Police Nationale:
– la prolifération du nombre de syndicats (14 syndicats actifs);
– l’accentuation des attitudes peu orthodoxes (des directeurs généraux, nationaux et hauts gradés du corps parfois menacés et pourchassés par des policiers mécontents, des policiers en cortège dans les rues de la capitale, le refus d’obtempérer à l’ordre hiérarchique. On se souvient de la mutinerie contre le Général DIAKOURAGA, Directeur national d’alors, de la chasse aux sorcières contre le Commissaire Tidiane COULIBALY, syndicaliste, etc.);
– un corps de sécurité transformé en un corps de spoliation et de brigande par le fait de certains policiers. Pas tous, il y a quelques intègres et assidus mais au demeurant, de marginaux sécants. Cette attitude confère à la Police un statut de corps corrompu (différentes enquêtes et études).
L’équation demeure entière
Les modalités d’application de cette militarisation sont attendues par les concernés d’abord. Quand on sait que des grades tels que Commissaire, Inspecteur, et Commandant doivent-ils être transposés à la lumière de ceux de l’armée et les avantages y afférents.
Comment rester aussi proche de la population et agir en militaire ?
Comment rompre avec des pratiques malsaines vieilles et érigées en monde d’opération à certains égards par la hiérarchie-elle-même ?
La militarisation est-elle un gage suffisant pour plus d’éthique et de morale chez l’agent de police ?
Comment moraliser les irrégularités et la mafia qui entacheraient-elles le processus de recrutement dans ce corps (pas le seul d’ailleurs, aucun corps d’uniforme ne déroge à cela) si la gouvernance au sens large du terme, n’est pas à tout bout du champ, endossée sur le mérite et l’excellence ?
Comment convaincre les partenaires au développement de continuer à soutenir la Police et la Protection civile en termes de formation et d’équipement en dépit de leur militarisation ?
Autant de questions en suspense dont auxquelles il faut y apporter des éléments de réponse probants.
En effet, la militarisation de la police nationale et de la protection civile pourrait être perçue comme un soutien aux efforts de sécurisation des personnes et de leurs biens dans les zones de conflits. Elle contribuerait aussi à faciliter le retour de l’administration et des services essentiels pour amorcer la stabilisation et le développement selon les concepteurs du présent projet. Mais cette militarisation mérite d’être encadrée pour réduire au maximum les menaces à la liberté et aux droits fondamentaux. Elle exige surtout de créer les conditions idoines de formation et d’équipement de ces forces dans leurs nouvelles missions. Elle requiert aussi des populations et de tous les segments de la société une plus forte collaboration avec les Forces de défense en vue de venir à bout des Groupes armés terroristes (GAT).
Au niveau institutionnel, cette militarisation signifie également le regroupement des deux ministères (défense et anciens combattants et celui de la sécurité et de la protection civile) en un seul. Cela est un défi réel tant en termes d’apprentissage de vie commune (entre policiers, sapeurs-pompiers et militaires) mais de conception de documents de politique et autres programmes spécifiques.
Inquiétudes et perspectives
À propos des Recommandations des ANR, il fallait édifier sur les motivations réelles. Est-ce à cause du «désordre syndical» par exemple ? Sinon, les policiers et la Police sont sur le «terrain de la défense» du pays. Les Autorités devaient tout simplement décider, par exemple, une suspension des activités syndicales à la Police pendant une période de dix(10) ans au regard du contexte sécuritaire. Ce laps de temps aurait permis une transition pour un retour de la discipline.
Sur la militarisation ou la remilitarisation, le débat doit être ouvert: la pertinence, les tenants et aboutissants, etc. Il ne faut pas être dans les souvenirs ou être nostalgique d’un certain temps passé. 2022 n’est pas 1980 ou 1990. La Police à une identité qu’elle entend garder. Cela peut-il s’accommoder avec une militarisation ? Comme dissent les Anglo-Saxons «The future will tell us».
Certains analystes estiment que la Défense doit accepter de laisser la Police évoluer vers une approche «sécurité intérieure», c’est à dire avec un basculement sur l’administration territoriale.
Qu’est-ce que le Ministère de la sécurité va devenir avec des policiers militarisés ? Un deuxième Ministère de la défense ? Est-ce nécessaire ?
L’autre casse-tête, la transposition des policiers dans les grades militaires comme indiquée supra !
Dr Aly TOUNKARA, Expert Défense et Sécurité au Centre des Études Sécuritaires et Stratégiques au Sahel (CE3S)
Bamako, le 06 octobre 2022
Source : L’Inter De Bamako