Le président malien, Ibrahim Boubacar Keïta, traverse un sale temps en ce moment. En effet, la série de scandales à laquelle on assiste depuis sa prise du pouvoir en 2013, a poussé l’Association Biprem (Bloc d’intervention populaire et pacifique pour la réunification entière du Mali) à déposer mardi dernier, une plainte auprès de la Haute cour de justice contre lui pour haute trahison et gestion scandaleuse de l’argent public.
A y regarder de près, l’association Biprem est dans son rôle : celui de lutter contre la mal gouvernance. Seulement, les chances pour que cette plainte aboutisse sont très minces. Cela est d’autant plus vrai que le pouvoir la qualifie de manœuvre dilatoire et sans lendemain.
Toujours est-il que cette plainte signifie que l’arrestation de deux officiers supérieurs et d’un civil, le 4 février 2016, pour détournement de primes de soldats déployés au Nord, n’aura pas suffit à rassurer les Maliens sur la volonté de IBK à châtier les délinquants au col blanc.
Faut-il le souligner, ces derniers sont également soupçonnés de gonfler les effectifs pour empocher le surplus d’argent subséquent. Il faut préciser que les primes détournées se déclinent en prime générale d’alimentation (PGA), prime générale d’alimentation spéciale (PGAS) et prime de risque (PR).
Ainsi donc, pendant que des soldats exposent leur vie sous la canicule et les tempêtes de sable dans le septentrion malien, des membres indélicats de la hiérarchie militaire, se sont enfermés dans leurs bureaux feutrés et climatisés de Bamako pour faire main basse sur leurs primes.
A tout point de vue, c’est un acte répugnant qui doit être châtié comme tel. C’est pourquoi l’on peut saluer déjà le bureau du Vérificateur général qui a eu le mérite d’avoir levé le lièvre en 2014, avant que des enquêtes plus poussées n’aboutissent à l’arrestation des personnes censées avoir trempé dans cette sale affaire.
L’acte posé est gravissime pour la République
Sous d’autres cieux où la morale est chevillée au corps des institutions, dans l’hypothèse où la culpabilité de ces officiers viendrait à être établie dans cette affaire, ils n’auraient certainement plus jamais l’honneur de porter l’uniforme de l’armée.
Mieux, ils risqueraient la Cour martiale et purgeraient de longues années derrière les barreaux. Car, l’acte qu’ils ont posé est gravissime pour la République.
Il y a d’abord qu’il peut gravement affecter le moral des troupes, surtout dans un contexte où elles font face aux assauts meurtriers et répétés des djihadistes qui écument le Nord du pays.
D’ailleurs, l’on peut, à juste titre, se demander si ce n’est pas ce genre de pratiques qui sont à l’origine des nombreuses déroutes humiliantes que la Grande muette a enregistrées depuis que les djihadistes se sont signalés dans le pays.
Il y a ensuite que les détournements des primes des soldats peuvent aboutir à des mutineries susceptibles de faire vaciller la République. Et cela, c’est dans le meilleur des cas. Dans le pire des cas, ils peuvent être des éléments déclencheurs d’un pronunciamiento.
L’on se souvient, en effet, qu’en 1999, le régime de Henri Konan Bédié avait été balayé par un groupe de soldats rendus furieux par le fait que leurs primes avaient été détournées par le pouvoir.
Même dans un pays qui est en paix, le détournement des primes des soldats est très dangereux pour la République. Il l’est davantage si celle-ci est en guerre, comme c’est le cas aujourd’hui du Mali. Mais dans ce pays, l’on peut avoir l’impression que ce genre de forfait est un épiphénomène.
En effet, depuis que le Général aux boubous richement brodés, Moussa Traoré, s’était emparé par les armes, des rênes du pays en 1968, les détournements de deniers publics, les passe-droits, la corruption et l’affairisme sont devenus, peut-on dire, un sport national.
Et ces mauvaises pratiques sont tellement ancrées dans la mentalité des Maliens, peut-on se risquer à dire, que tout le monde semble s’en accommoder aujourd’hui.
Certains hauts galonnés ont transformé l’armée en une véritable caverne d’Ali Baba
La gangrène, par conséquent, en a profité pour se muer en un véritable cancer qui ronge très dangereusement tout le corps social et politique malien.
Les exemples qui illustrent cet état de fait sont légion sur les bords du fleuve Djoliba. Sous Amadou Toumani Touré, l’on se souvient que des antirétroviraux avaient purement et simplement été détournés par des fonctionnaires indélicats du ministère de la Santé et vendus à prix d’or à leur profit.
Et sous l’actuel président, Ibrahim Boubacar Keïta, la situation n’est guère meilleure. Les affaires sombres les plus emblématiques de son régime sont celles liées à l’achat de l’avion présidentiel au sujet de laquelle le FMI (Fonds monétaire international) et la Banque mondiale étaient sortis de leur réserve pour exprimer leur mécontentement.
L’autre affaire sombre qui a caractérisé le pouvoir d’IBK est celle liée à l’achat d’équipements militaires. Des personnalités, l’on se souvient, en avaient profité pour se sucrer en se livrant à des surfacturations dont seules les Républiques bananières ont le secret.
L’affaire sombre la plus récente, qui a de fortes chances malheureusement de ne pas être la dernière, est le détournement des primes de soldats estimées à 700 millions de F CFA. C’est pourquoi l’on peut dire qu’elle sonne comme une autre mauvaise publicité pour le pays de IBK.
Dès lors, on se pose la question de savoir quand est-ce que le Mali va se décider à mettre fin à ce genre de pratiques.
Car autrement, le pays court le risque d’exaspérer les partenaires financiers dont les aides lui permettent aujourd’hui de garder la tête hors de l’eau. Mais en matière de détournement de fonds alloués à l’armée, le Mali n’est pas le seul pays que l’on peut pointer du doigt.
Bien d’autres pays sous nos tropiques, traînent cette triste réputation. Et ce n’est pas demain la veille que cette pratique sera extirpée des armées africaines
En effet, s’abritant derrière le principe galvaudé du secret défense, certains hauts galonnés, en complicité avec le pouvoir politique, ont transformé l’armée en une véritable caverne d’Ali Baba où ils font d’excellentes affaires juteuses.
Et au moindre bruit de bottes signalé aux frontières, ou encore à la moindre menace pour le pays, ils n’hésitent pas à envoyer sur le théâtre des opérations, les soldats dont la plupart sont mal nourris et mal équipés.
Et quand on en arrive à détourner leurs maigres primes d’alimentation comme c’est le cas aujourd’hui au Mali, c’est comme on aime à le dire dans les milieux militaires, “la totale”, pour signifier qu’on touche le fond de l’abîme moral.
Source: Allafrica