Analyse · Le pouvoir militaro-civil issu du coup d’État d’août 2020 a connu, après neuf mois d’existence, une «rectification» aux conséquences lourdes mais aux ressorts encore flous. Le parcours de deux figures centrales de ce régime, le colonel Sadio Camara et le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga, illustre l’opportunisme des nouveaux maîtres du pays et l’assemblage politique fragile qui en résulte.
Tout a changé au Mali depuis le 24 mai 2021 : le président Bah N’Daw et son Premier ministre Moctar Ouane ont été «mis hors de leurs prérogatives» par le vice-président, le colonel Assimi Goïta, donnant lieu à ce que certains ont appelé le «coup dans le coup». Cette reconfiguration du pouvoir a permis au colonel Goïta de devenir président et à Choguel Kokalla Maïga, président du Comité stratégique du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) et animateur virulent des manifestations qui ont fait le lit du premier putsch d’août 2020, de devenir Premier ministre. Ce tournant politique a été appelé pompeusement par ses auteurs «rectification de la trajectoire de la transition» et a induit une série de ruptures brutales dans différents domaines.
Sur la scène intérieure, le pouvoir a nettement durci sa position vis-à-vis de l’opposition politique et de la société civile. Il a alimenté des campagnes de disqualification ciblées et instrumentalisé la justice à son avantage, plus fréquemment encore que les régimes antérieurs. Oumar Mariko, l’opposant historique et président du parti Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance (Sadi), a été arrêté et conduit en prison le 6 décembre 2021 pour avoir tenu dans un cadre privé des «propos injurieux» à l’égard du Premier ministre Choguel K. Maïga1. Remis en liberté, il a été de nouveau convoqué par la justice pour ses critiques contre l’armée à la suite des opérations militaires meurtrières conduites à Mourah. Sa maison a été saccagée par les forces de l’ordre venues le chercher. Il vit depuis en clandestinité.
L’imam Mahmoud Dicko, jadis «autorité morale» du M5-RFP et «faiseur de rois» pendant la première partie de la transition, a été contraint au silence par les partisans du régime, qui ne ratent pas une occasion de l’égratigner. Kaou Djim, bras droit de l’imam Dicko avant de se rapprocher du régime, a également fait les frais de la «rectification». Il a été inculpé le 26 octobre 2021 pour «atteinte au crédit de l’État et trouble à l’ordre public». Il a été radié de son poste de quatrième vice-président du Conseil national de la transition (CNT) – l’organe législatif du régime transitoire – sur décision du président.
Enfin, les circonstances du décès de l’ancien Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga, incarcéré dans une affaire de corruption puis hospitalisé sous surveillance, restent floues. En dépit de l’appel incessant à la fois de ses proches et des médecins mandatés par les autorités de la transition elles-mêmes pour le surveiller, son évacuation sanitaire vers l’étranger n’a pas été avalisée.
RUPTURES DIPLOMATIQUES EN CASCADE
Dans l’espace civique d’ordinaire foisonnant de points de vue, les voix dissonantes ont vite été submergées, voire intimidées, par les thuriféraires du pouvoir militaire, anonymes ou formellement constitués en groupes de pression tels que le Comité de défense des militaires (CDM).
Depuis lors, très peu de voix s’élèvent contre la transition. Celles qui le font s’exposent à être qualifiées d’apatrides ou de suppôts de la France. Les ténors de la scène politique ont compris qu’ils prennent de gros risques s’ils se prononcent sur la conduite de la transition et se taisent presque tous. La plupart des acteurs du champ médiatique s’autocensurent. Les chercheurs n’osent plus s’exprimer par peur d’éventuels démêlés judiciaires. L’ancien secrétaire général de la Présidence Kalilou Doumbia, enseignant-chercheur à l’université, a été arrêté le 6 septembre 2021 pour un motif encore inconnu. Mi-juillet 2022, il était toujours entre les mains des services de renseignements maliens. Le parti Sadi parle de «dérives autocratiques du régime de la transition».
Hors de la capitale, les opérations militaires «antiterroristes» se sont intensifiées. Elles sont ponctuées de nombreuses allégations d’exactions. L’épisode de Mourah a été abondamment documenté et commenté. Fin mars 2022, ce village du centre du Mali a été encerclé pendant plusieurs jours par les forces armées maliennes accompagnées de mercenaires russes du groupe Wagner (dont la présence au Mali est reconnue par Moscou mais paradoxalement niée par Bamako, qui préfère parler «d’instructeurs russes»). Des centaines de personnes ont été tuées (entre 200 et 300, selon les différentes versions), dont une fraction seulement était membre des groupes djihadistes. Les violences de Mourah choquent par leur ampleur mais s’inscrivent dans une campagne de brutalités récurrentes commises par les forces armées dans le cadre de la lutte «antiterroriste».
Sur le plan diplomatique, la «rectification» a été spectaculaire. Elle s’est soldée, au nom de la souveraineté retrouvée du pays, par des ruptures en cascade avec les acteurs internationaux qui, depuis 2012, intervenaient de différentes manières au titre de la stabilisation du Mali. En l’espace de quelques mois, l’insertion internationale du pays a été revisitée drastiquement au profit d’un rapprochement explicite avec la Russie. La France a été évincée. Son ambassadeur a été expulsé, et l’opération «antiterroriste» Barkhane (dont le dispositif devait être modifié) ainsi que ses partenaires européens de la force Takuba2 ont dû faire leurs valises.
LE SATISFECIT DE MACRON
Le champ d’opération de la mission de paix des Nations unies, la Minusma, a quant à lui été radicalement réduit, rendant quasiment vide de fait son mandat de protection des civils ou de documentation des violations des droits de l’homme. La Cédéao, enfin, a été systématiquement disqualifiée et présentée comme une marionnette au service de la France. Les méthodes employées par le régime ont particulièrement ulcéré les diplomates occidentaux : accusations incendiaires dans les médias, dénonciation des accords passés (tels que les Status of Force Agreements – SOFA – qui encadrent juridiquement la présence de forces étrangères dans le pays), arguties légalistes dilatoires – lesquelles tranchent avec la totale opacité qui entoure les conditions du déploiement russe concomitant du départ de Barkhane. Si rien n’est jamais irréversible en matière de relations internationales, les ruptures engagées par le régime, notamment vis-à-vis de la France, ne devraient pas se raccommoder de sitôt.
Le changement de cap brutal du régime malien n’était pas écrit d’avance. En septembre 2021, lorsque Choguel K. Maïga accuse à la tribune des Nations unies la France d’avoir «abandonné le Mali en plein vol» en annonçant une réarticulation de Barkhane quelques mois plus tôt, des observateurs attentifs du pays, tenants de la continuité postcoloniale de la «Françafrique», n’y voient qu’un nouvel avatar des habituels coups de bluff et petits chantages ponctuant la relation entre les deux pays. Les rumeurs de déploiement militaire russe circulaient déjà et étaient interprétées de la même manière.
L’attitude de la France à l’égard des putschistes d’août 2020 pouvait donner du crédit à ces interprétations. En février 2021, Emmanuel Macron s’accommodait très bien de l’installation par la force à Bamako d’un régime remplaçant celui, unanimement décrié pour sa gabegie, d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) : «Les autorités de la transition malienne sont désormais réalignées sur les trois axes fondamentaux dans lesquels nous les attendons. Et j’ai pu l’apprécier lors de la visite à Paris du président N’Daw […]. En quelques mois, je dois bien dire que ces autorités de la transition ont donné plus de gages que les autorités précédentes en trois ans.» À la même époque, les dispositions maliennes à l’égard de la France étaient tout aussi amènes. Pour preuve, le grand artisan du «tournant russe» à partir de mai 2021, le colonel Sadio Camara, ministre de la Défense dès octobre 2020, fut un prompt défenseur de la version française de la bavure de Bounti de janvier 2021.
LE POIDS DE SADIO CAMARA
Si le «coup dans le coup» de mai 2021 est sans nul doute le point de départ d’une nouvelle trajectoire politique pour le Mali, quelle est au juste l’alchimie qui provoque une telle bifurcation? L’étude des choix politiques et des stratégies adoptées par deux acteurs clés de la «rectification», le ministre de la Défense Sadio Camara et le Premier ministre Choguel K. Maïga, offre quelques pistes de compréhension, à défaut de répondre à toutes les interrogations qui pèsent encore au sujet de cette période de l’histoire récente du Mali.
Le déclencheur majeur du «coup dans le coup» est l’intention de Bah N’Daw et de son Premier ministre Moctar Ouane de tenir coûte que coûte le calendrier électoral initialement établi avec la Cédéao après le coup d’État d’août 2020, fixant l’élection présidentielle pour février 2022. Ce que confirment plusieurs de nos sources. Un cadre de l’administration résume : «Il y avait une volonté réelle de Bah N’Daw et de Moctar Ouane d’aller vers les élections. Ce qui n’était à l’évidence pas le cas des colonels qui gardaient encore l’essentiel du pouvoir. Beaucoup de raisons sont évoquées, mais la principale raison de leur déchéance reste celle-là.» Le sort de l’attelage N’Daw-Ouane a véritablement été scellé lorsqu’ils ont cherché à évincer du gouvernement l’un des colonels putschistes, le ministre de la Défense Sadio Camara. «S’il ne sort pas du gouvernement [à l’occasion du remaniement], il n’y a pas de deuxième coup d’État», assure un ancien ministre qui veut garder l’anonymat. Pour comprendre cette sentence sur le couple exécutif, il faut examiner le poids politique du colonel Sadio Camara et le rôle qu’il a joué dans le renversement du président Ibrahim Boubacar Keïta neuf mois plus tôt.
Le colonel Camara est un acteur central des deux coups d’État. C’est un officier de la Garde nationale très respecté par ses éléments. «Le 18 août, lorsque des éléments lourdement armés de Kati [des Bérets verts commandés par le colonel Malick Diaw] sont entrés dans le camp de la Garde nationale de N’Tomikorobougou en faisant des tirs de sommation, sa seule présence parmi les arrivants de Kati a calmé les gardes qui s’apprêtaient à riposter», indique une source militaire. Camara est un officier taiseux et réservé. «Il est modeste. C’est sur ce trait de caractère qu’il se retrouve en phase avec le président Assimi Goïta», avec lequel il s’est lié d’amitié en 2007, nous explique une autre source militaire. Son père, un civil, a été directeur du Prytanée militaire de Kati3, poste qu’il a lui-même occupé entre 2016 et 2020 avant de partir pour la Russie et grâce auquel il a acquis sa popularité au sein de la garnison de Kati. Camara est aussi un officier de terrain qui, dès 2007, s’est mis à sillonner pratiquement tout le nord du Mali.
LA GARDE NATIONALE, UN CORPS DE L’ARMÉE DEVENU CENTRAL
Il fait partie des premiers officiers qui ont rejoint la Garde nationale au début des années 2000, au moment où elle attirait peu de gradés et ne bénéficiait pas du prestige des autres corps de l’armée. La Garde nationale est la grande bénéficiaire des bouleversements intervenus dans le champ militaire malien depuis 2012. Elle a remplacé, dans le rôle de l’élite choyée par le pouvoir politique, les Bérets rouges, tombés en disgrâce après le coup d’État du capitaine Amadou Haya Sanogo, en 2012.
En 2013, après l’élection d’IBK comme président, le général Moussa Diawara est nommé chef d’état-major de la Garde nationale avant d’être placé à la tête de la Sécurité d’État. Pendant tout le mandat d’IBK (2013-2020), la Garde nationale tire les dividendes de la position du général Diawara dans le domaine du recrutement mais surtout de l’armement. Sous IBK, c’est la Garde nationale qui est affectée à la protection du président de la République et des personnalités de l’État. L’influence de Sadio Camara croît proportionnellement à celle de son corps d’appartenance. Si les tractations entre militaires putschistes en août 2020 ne sont pas toutes connues, on sait au minimum que Sadio Camara fut une pièce essentielle du succès du coup en permettant que la Garde nationale ne s’interpose pas face aux Bérets verts de Kati, où le coup a été préparé.
Ce capital militaire unique parmi un groupe de colonels mélangeant Bérets verts (Malick Diaw), Garde nationale (Sadio Camara, Modibo Koné), Forces spéciales (Assimi Goïta) et Armée de l’air (Ismaël Wagué) permet à Camara d’obtenir le portefeuille de la Défense dans la première phase de la transition, d’en tirer les avantages notamment en matière de contrôle d’achats d’armement, puis de renverser N’Daw et Ouane lorsque ces derniers ont tenté de le déloger de son poste ministériel et des prérogatives qui vont avec.
«UN RAS-LE-BOL GÉNÉRAL»
Ces fragiles équilibres du champ sécuritaire n’expliquent toutefois pas le rapprochement militaire accéléré avec la Russie à partir de mai 2021. Au lendemain du «coup dans le coup», Camara est plus fort que jamais. Pas particulièrement russophile quoique familier des Russes (il venait de suivre une formation en Russie lorsque le coup d’août 2020 a eu lieu), il engage le rapprochement rapide du Mali avec la Russie à la faveur de diverses circonstances et de considérations plus pragmatiques qu’idéologiques. Tout d’abord, il semble convaincu que son débarquement du gouvernement par le duo N’Daw-Ouane est le fait de pressions françaises – un sentiment que partagent plusieurs sources proches du pouvoir (mais que l’on pourrait également interpréter comme un argument de légitimation ex post du renversement du couple exécutif).
Juste avant la publication du gouvernement éphémère de Moctar Ouane – qui dura en tout trois heures avant qu’ait lieu le «coup dans le coup» –, le président Bah N’Daw revenait d’une visite en France où il avait rencontré le président français Emmanuel Macron, avec un crochet par Abidjan à l’aller et au retour pour rencontrer le président ivoirien Alassane Dramane Ouattara. La coïncidence de son retour avec la sortie des deux ministres-colonels officiers de la Garde nationale Sadio Camara (ministre de la Défense et des Anciens Combattants) et Modibo Koné (ministre de la Sécurité et de la Protection civile) alimente alors la conviction des militaires de l’existence d’une manœuvre française.
Puis une fenêtre d’opportunité s’ouvre avec la décision unilatérale du retrait de Barkhane en juin 2022, annoncée par Emmanuel Macron dans un discours d’une rare brutalité à l’égard du régime malien, qui a laissé penser que la «réarticulation» de Barkhane et le retrait des militaires français de certaines bases du nord du pays étaient moins une décision mûrement réfléchie (et discutée avec la partie malienne) qu’une punition à l’endroit des putschistes récidivistes. La coopération militaire entre la France et le Mali faisait grincer des dents côté malien également. «Il y a un ras-le-bol général au sein de l’armée malienne de la présence militaire française qui explique aussi peut-être la facilité avec laquelle l’alliance avec la Russie s’est opérée», explique un officier de la Garde nationale. Ni les militaires maliens ni l’opinion publique malienne ne comprennent qu’avec tous les moyens dont dispose la France depuis dix ans au Sahel la menace djihadiste ne soit pas réduite, ni même contenue. L’heure est à la recherche d’une efficacité de court terme dans la lutte «antiterroriste».
Ces éléments, mis bout à bout, ont pesé dans le choix des autorités militaires maliennes de se tourner vers la Russie, laquelle était aussi demandeuse. Un observateur proche des Russes au Mali prophétise : «Le Mali est un nouveau client pour la Russie. Ce n’est pas gratuit. Le Burkina a refusé pour l’instant; mais les Russes finiront par prendre tout le Sahel, y compris le Niger. Les Maliens ont surtout joué aux opportunistes.» La Russie s’installe au Mali par le biais des mercenaires du groupe Wagner, lesquels ne se contentent pas de mener des actions militaires sur le terrain, mais sont des prestataires de services multicartes, notamment dans le champ informationnel4. S’ils ne dictent pas aux décideurs maliens leur conduite, la manière de gouverner des autorités de la transition depuis qu’ils sont présents au Mali porte leur empreinte.
LE «DEAL» DE CHOGUEL AVEC LES COLONELS
Le rémora est ce poisson qui se fixe sur le dos des requins grâce à sa ventouse, les débarrasse des parasites dont il se nourrit, et voyage grâce à eux dans le cadre d’une relation mutuellement avantageuse. Son image vient naturellement à l’esprit lorsqu’on se penche sur le cheminement de Choguel K. Maïga, Premier ministre à partir de juin 2021 et grand animateur de la «rectification», civil esseulé mais actif parmi les colonels dont il avait réprouvé la prise du pouvoir en août 2020. Vieux routier de la politique malienne, il a été ministre sous la présidence d’Amadou Toumani Touré (2002-2012), et était porte-parole du gouvernement sous IBK en 2015. Formé en ex-URSS, il ne fait pas mystère de son admiration pour la dictature militaire de Moussa Traoré (1968-1991), dont il revendique l’héritage sans complexe.
Il accède à la primature en juin 2021 non pas tant du fait d’affinités fondamentales avec les colonels que du fait de sa capacité à neutraliser les jeux politiques bamakois et parce qu’il dispose du capital politique accumulé par le M5-RFP lors de la contestation sanglante contre IBK. Choguel K. Maïga, qui se plaçait originellement dans l’opposition à la transition, apporte au régime la légitimité militante du M5-RFP et présente désormais le pouvoir des colonels comme un «parachèvement» de la lutte du mouvement populaire. L’intérêt de cette nomination pour les militaires est d’affaiblir le M5-RFP, qui restait la seule force d’opposition encore capable de mobiliser la rue. «Il avait un deal avec la junte. Donne-moi la primature et je neutralise le M5-RFP et la classe politique», résume un syndicaliste et acteur du M5-RFP.
La relation qu’entretient Choguel K. Maïga avec les militaires est une alliance circonstancielle mutuellement instrumentalisée. Choguel K. Maïga ne l’entame pas en position de force. Des rumeurs le présentent régulièrement comme fusible, à la merci d’un limogeage – maintes fois annoncé au cours des derniers mois mais jamais effectif. Un syndicaliste et fin connaisseur de la vie politique bamakoise détaille ainsi sa relation «exécrable» avec Sadio Camara : «Sadio Camara méprise Maïga. Il n’a pas de compte à lui rendre. Ce n’est pas qu’il ne soit pas respectueux envers Choguel Maïga, mais ils n’ont rien à se dire. Maïga est venu à une période où les colonels avaient besoin de lui, et il voulait le poste. Donc chacun y trouvait son compte. Après le deuxième coup d’État, il fallait quand même essayer de sauver les meubles, et la meilleure façon c’était d’appeler ceux qui pouvaient faire descendre les gens dans la rue, appeler l’un d’eux pour être le Premier ministre.»
PORTE-ÉTENDARD DU MOUVEMENT SOUVERAINISTE
Sa promotion dans la hiérarchie du pouvoir permet à Choguel K. Maïga de régler ses comptes avec la classe politique issue du mouvement du 26 mars 1991, qui a renversé Moussa Traoré et a dominé le jeu politique durant trois décennies, tandis qu’il peinait à se faire une place, notamment dans les urnes5. Son talent de tribun et son exposition médiatique lui ont permis de consolider son influence. Son discours à l’ONU contre la politique française au Mali et, au-delà, son habile rhétorique ont fait de lui un porte-étendard du mouvement souverainiste malien rangé derrière les colonels dans leur combat contre l’impérialisme. En tirant à vue dans ses discours sur la France, la Cédéao ou la Minusma, Choguel K. Maïga est graduellement parvenu à circonscrire pour lui-même un espace politique d’où il est désormais difficile de le déloger. Les militaires cherchent à rogner cet espace. Ils lui ont par exemple retiré le rôle de porte-parole du gouvernement pour le confier au colonel Abdoulaye Maïga.
Le président Assimi Goïta préserve néanmoins Choguel Maïga pour service rendu. «La primature, c’est la seule planque sûre pour lui. S’il démissionne, il se fera jeter du M5-RFP. S’il quitte la primature, bonjour la dépression car il est honni par tout le monde sauf les vidéo mans6. Assimi a de la peine pour lui car il a trahi tout le monde pour lui», résume le même syndicaliste. Dans l’entourage du président, on estime qu’il aurait dû démissionner de lui-même après le «toilettage» de la loi électorale par le CNT, qui lui était favorable.
La spécificité de la «rectification» malienne est que la conduite du pays repose dorénavant sur des choix faits de ruptures et de clivages radicaux. Ces choix placent les autorités du pays sur une partie du spectre des alliances internationales et nationales qui rend tout retour en arrière difficile. La Russie est désormais le partenaire privilégié du Mali en pleine invasion de l’Ukraine, tandis qu’un populisme enflammé et manichéen domine le débat national. Ces choix s’auto-entretiennent et produisent un climat de crise permanent par nature difficile à contrôler et susceptible de fracturer à terme la façade unitaire du régime. Si un calendrier électoral est désormais formalisé – le scrutin du référendum est prévu pour mars 2023, les élections législatives pour octobre 2023 et la campagne électorale pour la présidentielle est fixée pour février 2024 –, le chemin qui conduit au transfert du pouvoir par les urnes s’annonce tortueux.
Source: afriquexxi.info