Le départ des soldats de maintien de la paix de l’ONU complique les efforts pour assurer la sécurité et fournir de l’aide humanitaire
- Depuis janvier 2023, des groupes armés islamistes ont perpétré des meurtres à grande échelle, des viols et des pillages dans des villages du nord-est du Mali, forçant des milliers de personnes à fuir ces régions.
- La sécurité s’est fortement détériorée en raison d’affrontements entre deux groupes armés islamistes qui cherchent à contrôler les voies d’approvisionnement et à accroître leur influence. Le départ des forces de maintien de la paix de l’ONU n’a fait qu’aggraver la situation.
- Les autorités maliennes devraient redoubler d’efforts pour protéger les civils et travailler en étroite collaboration avec leurs partenaires internationaux, pour veiller à ce que les personnes déplacées aient accès à l’aide humanitaire et aux services de base.
(Nairobi) – Depuis janvier 2023, des groupes armés islamistes ont perpétré des meurtres à grande échelle, des viols et des pillages dans des villages du nord-est du Mali, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Des milliers de personnes ont été contraintes de fuir les régions de Ménaka et de Gao.
Alors que les abus se multiplient, le gouvernement militaire de transition au Mali a obtenu l’accord du Conseil de sécurité des Nations Unies pour le départ de la force de maintien de la paix des Nations Unies, connue sous le nom de MINUSMA, à compter du 1er juillet. Les autorités maliennes devront collaborer plus étroitement avec les organismes régionaux et les partenaires internationaux pour remédier au vide croissant en matière de sécurité et d’aide humanitaire.
« Des groupes armés islamistes attaquent brutalement les civils et contribuent à alimenter une urgence humanitaire de grande ampleur », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur le Sahel à Human Rights Watch. « Avec le départ des soldats de maintien de la paix de l’ONU, les autorités maliennes devraient redoubler d’efforts pour protéger les civils et travailler en étroite collaboration avec leurs partenaires internationaux pour s’assurer que les personnes déplacées aient accès à l’aide humanitaire et aux services de base. »
Entre le 1er mars et le 11 juillet, Human Rights Watch a mené des entretiens téléphoniques avec 52 personnes qui ont eu connaissance d’attaques de groupes armés islamistes contre des villages. Il s’agissait de 39 témoins d’abus, de 7 membres d’organisations de la société civile malienne et de 6 représentants d’organisations internationales.
La sécurité dans les régions de Ménaka et de Gao s’est fortement déteriorée en raison des affrontements entre l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) et le Groupe pour le soutien de l’islam et des musulmans (GSIM), lié à Al-Qaïda, qui l’un comme l’autre cherchent à asseoir leur contrôle sur les voies d’approvisionnement et à étendre leurs zones d’influence. Selon les Nations Unies, les combats au Mali ont forcé 375 539 personnes à quitter leur foyer, dont 40 % dans les seules régions de Gao, Kidal, Ménaka et Tombouctou, provoquant l’une des pires crises humanitaires de ces dernières années. Les deux groupes ont utilisé une stratégie de déplacement de populations pour asseoir leur pouvoir et imposer leur autorité au Mali et au Burkina Faso voisin.
Human Rights Watch a documenté huit attaques entre les mois de janvier et juin, six dans la région de Gao et deux dans la région de Ménaka. Plusieurs témoins ont fourni des récits cohérents sur les méthodes utilisées lors de ces attaques, ainsi que des descriptions concordantes des assaillants. Les combattants de l’EIGS étaient armés de fusils d’assaut de type kalachnikov et parfois de lance-grenades propulsés par des roquettes, conduisaient des motos et des pick-ups, et étaient habillés en tenues civiles ou en treillis militaire avec des turbans identifiables. Human Rights Watch a aussi reçu des informations sur cinq autres attaques dans ces deux régions qui, si elles n’ont pas pu être corroborées, correspondaient à des récits d’autres attaques commises par des groupes armés islamistes.
Des témoins ont déclaré que les combattants parlaient plusieurs langues locales (le tamashek, le fulfulde, le songhaï et l’haoussa), ainsi que l’arabe, et qu’ils arboraient parfois le drapeau de l’État islamique, généralement composé d’un fond noir avec le texte du credo islamique inscrit en blanc. Les habitants ont déclaré que les combattants avaient pris d’assaut leurs villages en tirant des coups de feu et en pillant, brûlant et détruisant leurs biens. Dans de nombreux cas, ils sommaient les habitants de quitter la région.
« Ils ont rassemblé tous les gens du village et nous ont donné trois jours pour partir », a déclaré un homme de 50 ans du village d’Essaylal, dans la région de Ménaka. « Ils nous ont avertis : “Si dans trois jours il reste qui que ce soit, nous tuerons tout le monde.” C’est pourquoi j’ai décidé de fuir. »
Un homme originaire de Bourra, dans la région de Gao, a déclaré qu’en février, des combattants liés à l’État islamique l’avaient menacé de mort s’il ne leur donnait pas sa fille de 15 ans en mariage : « Deux combattants sont venus chez moi. Ils voulaient ma fille. J’ai refusé et ils m’ont dit que je pourrais être exécuté pour avoir refusé d’autoriser le mariage. »
Human Rights Watch n’a pas été en mesure de confirmer le nombre total de victimes des attaques dans les régions de Ménaka et de Gao depuis le mois de janvier. Les récits de témoins d’abus et de travailleurs humanitaires suggèrent cependant que des centaines de civils ont été tués depuis cette date et que des dizaines de milliers d’autres ont été forcés de fuir après avoir perdu leur bétail, leurs moyens de subsistance et leurs objets de valeur au cours des attaques. « Depuis janvier, nous avons recensé plus de 100 civils tués [par l’EIGS] dans plusieurs villages autour d’Ansongo [région de Gao], ainsi que des dizaines de disparus », a déclaré un travailleur humanitaire basé dans la région de Ménaka. « Entre les pillages, les meurtres ciblés, [et] les enlèvements parfois suivis de demandes de rançon […], les combattants de l’État islamique n’ont aucune pitié pour la population. »
Au début de l’année 2022, Human Rights Watch a documenté des abus similaires dans les mêmes régions ; des combattants liés à chacun des deux groupes ont alors exécuté des centaines de civils, et forcé des dizaines de milliers d’autres à fuir dans le cadre d’attaques en apparence systématiques et coordonnées.
L’armée malienne et la MINUSMA disposaient de forces dans les villes de Gao, de Ménaka et d’Ansongo. Contrairement à ce qui s’est passé dans le centre du Mali, les patrouilles de ces soldats sont restées limitées, tout comme leur capacité à protéger les civils en dehors des centres urbains. La présence des autorités est aussi très réduite dans les zones rurales du nord-est du Mali.
Dans un entretien qu’il a accordé le 26 juin au média russe RT, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a confirmé que des membres du groupe Wagner, une société de sécurité privée russe dirigée par Evgueni Prigojine, se trouvaient au Mali et y « travaillent en tant qu’instructeurs ». Le groupe Wagner a été impliqué dans des atrocités commises dans plusieurs pays africains, dont le Mali, ainsi qu’en Ukraine.
Human Rights Watch a également documenté de graves abus commis par les forces de sécurité maliennes et par des forces présumées du groupe Wagner au cours d’opérations de contre-insurrection dans le centre du Mali.
Outre l’impact sur la sécurité au Mali, le retrait de la MINUSMA risque de nuire aux efforts visant l’obligation de rendre des comptes pour les abus liés au conflit, a déclaré Human Rights Watch. Le suivi et la communication d’informations sur les violations des droits humains au Mali faisaient en effet partie du mandat de la mission onusienne. Les autorités maliennes devraient continuer à travailler avec le Bureau des droits de l’homme des Nations Unies et avec l’expert indépendant des Nations Unies sur les droits de l’homme au Mali, Alioune Tine.
En février, le gouvernement malien et des groupes chargés de l’aide humanitaire au Mali ont publié un plan d’action humanitaire pour 2023 comprenant un appel à une contribution à hauteur de 751 millions de dollars US, pour répondre aux besoins urgents de 5,7 millions de personnes. En juin pourtant, ce plan restait largement sous-financé, « avec plus de 80 % des besoins en sécurité alimentaire non satisfaits », malgré la « détérioration de la situation humanitaire ». Le départ de la MINUSMA pourrait également aggraver cette situation humanitaire précaire, car la mission facilitait l’accès des groupes chargés de délivrer l’aide humanitaire aux zones touchées par le conflit, y compris la ville de Ménaka.
Les experts de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) et de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) devraient insister davantage sur la situation des droits humains au Mali, et faire pression sur les autorités maliennes pour qu’elles leur permettent de travailler avec la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) du Mali afin de surveiller et de documenter les violations des droits humains, a déclaré Human Rights Watch.
« Les partenaires internationaux du Mali devraient intensifier leurs efforts pour soutenir le plan d’action humanitaire et travailler avec les autorités maliennes pour s’assurer qu’une aide humanitaire accrue puisse être délivrée à toutes les personnes qui en ont besoin », a déclaré Ilaria Allegrozzi.
Informations plus détaillées sur les abus
Les noms des personnes interrogées n’ont pas été divulgués pour leur protection.
Abus commis par des groupes armés islamistes dans le nord-est du Mali depuis janvier 2023
Le 16 juin, le gouvernement militaire de transition au Mali a demandé au Conseil de sécurité des Nations Unies de retirer sans délai la Mission multidimensionnelle intégrée pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), alléguant d’une « crise de confiance » entre les autorités maliennes et cette mission de maintien de la paix. Le 28 juin, le Conseil de sécurité a voté la fin du mandat de la MINUSMA et le début du retrait des 15 000 membres du personnel civil et armé de la mission, qui doit s’achever le 31 décembre.
Cette décision fait suite à l’annonce faite par la France en février 2022 de mettre fin à son opération militaire de neuf ans au Mali, qui comptait plus de 5 000 soldats à son apogée. Le retrait des soldats français s’est achevé en août 2022.
Meurtres, mariages forcés, passages à tabac, pillages à Gao
Konga
En février, des hommes armés de fusils d’assaut de type kalachnikov circulant à moto, que deux témoins ont identifiés comme des combattants de l’EIGS, se sont rendus à Konga, un hameau du village de Kounsoum, à la recherche d’un homme qu’ils accusaient de collaborer avec l’armée malienne. « Ils ne l’ont pas trouvé et en représailles, ils ont tué ses deux femmes », a déclaré un homme de 63 ans.
Un homme de 49 ans a déclaré :
Depuis ma cachette, j’ai vu deux combattants entrer dans la cour [où se trouvaient les deux femmes]. Je les ai entendus parler en fulfulde et en tamashek et demander aux femmes : « Où est votre mari ? » Les femmes ont répondu qu’elles ne savaient pas… puis j’ai entendu des coups de feu et j’ai vu les femmes s’effondrer.
L’homme a ajouté qu’en sortant de sa cachette, il avait constaté que les femmes avaient été « toutes les deux tuées d’une balle dans la tête ».
Les témoins, qui ont tous deux fui à Ansongo après l’attaque, ont déclaré que les combattants avaient également lancé un ultimatum aux villageois, leur ordonnant de quitter la zone. « Ils nous ont donné 24 heures pour partir », a déclaré l’un d’eux. « Ils nous ont dit qu’après ça, s’ils trouvaient encore des personnes dans les parages, ils extermineraient tout le monde ».
Bourra
Deux hommes ont déclaré avoir fui Bourra pour se rendre à Ansongo avec leurs familles, l’un en février et l’autre en mai, suite à des menaces répétées, des pillages et du harcèlement de la part des combattants de l’EIGS. Ils ont déclaré que depuis 2022, les combattants du groupe avaient « violé nos femmes » et imposé la charia (loi islamique) à leur village, les obligeant à payer la zakat [impôt religieux] et à adhérer à des codes moraux et vestimentaires stricts.
Un homme de 70 ans a déclaré que les combattants de l’EIGS « m’ont pris 47 vaches […], ma moto et celle de mon fils ». Il a ajouté que les combattants violaient les femmes :
Nous appelons cela du viol, car si une femme du village leur plaît, ils l’enlèvent et la forcent à coucher avec eux. Pour justifier ce viol, ils prétendent qu’il s’agit d’un mariage… S’ils ne veulent plus de la femme, ils la relâchent et disent qu’elle a divorcé… Mais où est le mariage sans consentement ? L’autre système qu’ils utilisent, c’est de vous demander votre fille en mariage, vous devez leur donner contre votre gré, sous la menace, et ensuite si le combattant ne veut plus d’elle, il la passe à un autre combattant… c’est un système de viol collectif déguisé en mariage. Cette honte, nous en avons souffert… Personne n’en parle, le sujet est tabou. Si vous en parlez, les djihadistes vous retrouveront, où que vous soyez, et même ils vous tueront.
L’homme a déclaré qu’il avait été contraint de fuir à Ansongo en mai, « pour échapper à ce harcèlement constant et retrouver un peu de sécurité ».
Un éleveur de 67 ans a déclaré avoir fui Bourra après que deux combattants de l’EIGS ont cherché à enlever sa fille de 15 ans en février :
Une nuit, deux combattants sont venus chez moi avec des armes et m’ont dit que je devais leur donner ma fille en mariage. Je leur ai dit qu’elle épouserait un homme qu’elle aimerait. Ils m’ont répondu qu’une fille ne pouvait pas choisir avec qui se marier. Ils m’ont dit que j’étais têtu et que si je continuais sur ce ton belliqueux, je pourrais être exécuté pour avoir refusé un mariage. Profitant de notre conversation, ma femme a pris ma fille et s’est enfuie avec elle. Ils [les combattants] ont cherché partout, ils ne l’ont pas trouvée et sont revenus me dire que si je ne leur donnais pas la fille, je serais exécuté. C’est pour cela que j’ai fui. De nombreux parents ont vu leurs filles mariées sans leur consentement.
Tannal Koyratadji
Dans la soirée du 23 avril, des hommes armés de fusils d’assaut de type kalachnikov et de lance-grenades propulsés par roquettes, que deux témoins ont identifié comme des combattants de l’EIGS en raison du drapeau noir qu’ils arboraient et des bandeaux rouges autour de leurs têtes, sont entrés dans le village de Tannal Koyratadji. Ils ont tué deux hommes âgés, blessé au moins sept autres hommes et pillé de la nourriture et du bétail, selon des témoins.
Un agriculteur de 54 ans a déclaré :
Avant l’attaque, nous avons reçu un message sur WhatsApp d’une personne qui prétendait être un djihadiste et disait que nous [les villageois] étions du côté de l’armée malienne et de Wagner et que si nous ne quittions pas le village, nous serions considérés comme des informateurs et exécutés. Beaucoup ont donc pris la fuite… Le jour de l’attaque, j’ai vu des combattants arriver sur 10 motos, lourdement armés, deux sur chaque moto… Je me suis caché, j’ai entendu des tirs et j’ai vu beaucoup de poussière, parce qu’ils ont fait fuir nos animaux.
Un homme de 41 ans a déclaré :
Ils ont tué deux hommes âgés et en ont blessé d’autres à cause des tirs au hasard… Ils ont pillé tout le village. Ils ont pris nos vaches, nos ânes, nos chèvres, notre mil et notre riz. Après l’enterrement, j’ai fui le village avec ma famille.
Les deux témoins ont fourni des détails permettant d’identifier les deux victimes, toutes deux âgées de plus de 60 ans. Tous deux ont déclaré avoir quitté le village après l’attaque et s’être réfugiés à Ansongo.
Labezzanga
Début mai, selon trois témoins, des combattants de l’EIGS armés de fusils d’assaut de type kalachnikov ont mené deux attaques consécutives contre le village de Labezzanga, une île sur le fleuve Niger. Ces témoins ont déclaré que certains des combattants portaient des tenues civiles et d’autres des treillis militaires avec des gilets pare-balles, et qu’ils arboraient le drapeau de l’État islamique.
Un homme de 60 ans a déclaré :
La première fois, ils [les combattants] ont pris nos vaches et sont partis en criant « Allahu Akbar » [Dieu est grand]. La deuxième fois, ils ont tué quatre villageois qui refusaient de les laisser emmener leurs animaux. Pour nous, la vache c’est comme notre vie, nous la prendre, c’est comme nous ôter la vie… Trois villageois ont été tués alors qu’ils poursuivaient les assaillants en les suppliant de leur rendre les animaux. Le quatrième homme a été tué [par les combattants] dans sa maison, et son fils a été blessé par une balle pour avoir encouragé les autres villageois à ne pas accepter le pillage de leurs animaux.
Un homme de 39 ans a déclaré que le lendemain de la deuxième attaque, « nous avons trouvé les corps des trois villageois qui avaient courageusement poursuivi les assaillants jusqu’à environ deux kilomètres du village ». L’homme a déclaré que les corps étaient criblés de balles. Deux gisaient sur le dos et un autre sur le flanc :
Nous avons recouvert les corps d’une toile et nous les avons emmenés au centre de santé du village, où un médecin a déclaré qu’ils avaient reçu une balle dans la poitrine, dans l’estomac et dans la tête. Nous les avons ensuite enterrés dans le cimetière, à côté du corps d’un autre homme qui avait été tué au cours de l’attaque.
Les témoins ont fourni des détails sur l’identité des quatre victimes masculines, âgées de 32, 40, 50 et 70 ans.
Seyna Gourma
Les 20 et 23 mai, des hommes armés de fusils d’assaut de type kalachnikov, que deux témoins ont identifiés comme des combattants de l’EIGS en raison des bandeaux rouges qui ceignaient leurs turbans, ont attaqué le village de Seyna Gourna. Le 20 mai, ils ont pillé du bétail et trois jours plus tard, ils ont fait du porte-à-porte, fouillé les maisons, battu les villageois et à nouveau pillé du bétail.
« Quand ils [les combattants] sont venus la première fois, je me suis enfuie dans la brousse et je ne suis revenue que le lendemain », a déclaré une femme de 44 ans. « Quand ils sont revenus [le 23 mai], j’étais dans ma maison et ils m’ont battue devant mes enfants, qui sont maintenant traumatisés. Ils se sont introduits dans de nombreuses maisons et ont sauvagement battu ceux qui s’y trouvaient, hommes et femmes. »
Cette femme, une veuve, a déclaré qu’elle était trop effrayée pour rester et qu’elle n’avait « pas d’autre choix » que de fuir vers la ville d’Ansongo, où elle s’efforce de survivre : « Je suis très angoissée. J’ai perdu mon mari et je n’ai aucun bien qui pourrait les intéresser [les combattants] […]. Alors pourquoi m’attaquer ? Je pratiquais le maraichage et maintenant que je suis déplacée, je ne peux plus récolter les fruits de mon travail. »
Un homme de 45 ans, qui s’est également réfugié à Ansongo après la seconde attaque, a déclaré :
Lors de la première attaque, je n’étais pas là, mais ils [les combattants] ont pris cinq de mes taureaux, que j’étais censé vendre… Lors de la deuxième attaque, j’ai été passé à tabac par deux djihadistes [combattants islamistes] qui parlaient le fulfulde. Ils m’ont frappé avec la crosse de leurs fusils. Ils m’ont frappé deux fois dans les côtes et ailleurs, et je me suis évanoui. Je ne suis pas le seul à avoir été passé à tabac ce jour-là, tout le monde a reçu des coups. J’ai été blessé au bras et aux côtes.
L’homme a déclaré avoir été soigné dans un centre de santé à Ansongo. Il a expliqué qu’il vivait sous le régime de l’État islamique :
Ils ont voilé nos femmes et les ont empêchées de vaquer à leurs occupations. Ils nous ont demandé de payer la zakat. Ils nous ont battus et menacés. Ces attaques n’ont aucune raison d’être. C’est pour nous terroriser, nous imposer leur loi et nous empêcher de réagir pendant qu’ils pillent nos animaux et volent nos biens.
Dangabari et Gaina
Le 27 juin, des dizaines de combattants de l’EIGS ont attaqué Dangabari, Gaina et d’autres villages de la municipalité de Gabero. Ils ont tué au moins neuf hommes et deux garçons à Dangabari et quatre hommes à Gaina, et pillé du bétail, selon sept témoins. Les habitants ont également dressé trois listes de personnes tuées ce jour-là, dont l’âge variait entre 15 et 50 ans.
Des témoins pensent que cette attaque a été menée en représailles à un incident lors duquel un combattant de l’EIGS blessé a été battu à mort par des habitants de Boya, un village voisin de Dangabari, le 21 juin.
Plusieurs témoins ont déclaré que des combattants, dont certains portaient des tenues civiles et d’autres des treillis militaires avec des gilets pare-balles, ont encerclé Dangabari et Gaina en tirant de manière indiscriminée, et en pénétrant dans les maisons pour exécuter sommairement des personnes et les abattre quand elles couraient se mettre à l’abri.
Une femme de 50 ans originaire de Dangabari, dont les deux fils, âgés de 20 et 23 ans, ont été exécutés au cours de l’attaque, a déclaré :
J’ai entendu les premiers coups de feu vers 15 heures. Ensuite, le village a été envahi par des hommes armés qui tiraient partout en criant « Allahu Akbhar ! ». Je n’ai pas bougé. Je suis restée assise devant ma porte. Deux combattants sont arrivés et l’un d’eux a pointé son arme sur ma poitrine, il était si près de moi qu’il m’a touché. Il m’a dit en songhaï : « Dis-moi où sont les hommes, ou je te tue. » Mais l’autre combattant a dit en fulfulde « warga, warga », qui veut dire « laisse-la et partons ». C’est comme ça que j’ai été épargnée… Lorsque les combattants sont partis, les villageois m’ont informée que mes deux fils et un autre homme avaient été exécutés juste à l’entrée du village, d’une balle dans la tête. Nos coutumes interdisent aux femmes de voir les corps, donc mes proches sont allés chercher les corps et les ont enterrés.
Un homme de 46 ans originaire de Dangabari qui a participé à l’enterrement de cinq corps, dont ceux des deux frères, a déclaré :
Nous avons trouvé les corps de trois hommes, dont deux frères, à environ un kilomètre du village. Ils étaient allongés face contre sol, côte à côte. Ils avaient reçu des balles dans la tête, dans le dos et dans le bas du corps. Nous les avons enveloppés dans des vêtements et nous les avons enterrés dans le village voisin de Monia. Nous y avons enterré deux autres corps, deux hommes qui avaient été tués chez eux dans le village [de Dangabari]. Ces deux hommes avaient également reçu une balle dans la tête. La tête de l’un d’entre eux avait explosé. Nous avons creusé un grand trou à l’intérieur duquel nous avons fait cinq tombes individuelles.
Un homme de 45 ans, originaire de Dangabari, a déclaré :
Vers 16 heures, une horde de terroristes à moto a encerclé nos villages [Dangabari et Gaina] et a bloqué toutes les entrées et sorties. Ils ont tiré sur tout ce qui bougeait […] Je me suis caché sous mon lit […] Deux combattants sont venus chez moi et l’un d’eux a demandé à ma femme en songhaï : « Où est ton homme ? » Elle a répondu : « Mon homme est dans la brousse. » Alors il a dit : « Nous allons fouiller ta maison, et si nous le trouvons nous te tuerons d’abord, et ensuite nous tuerons ton homme. » Mais l’autre combattant, qui parlait fulfulde, a dû lui dire quelque chose comme : « Laisse-la, n’entre pas. » Quand ils sont partis, ils ont volé mes deux moutons.
Un homme de Gaina, dont le frère de 30 ans a été tué dans l’attaque, a déclaré :
Ils [les combattants] sont arrivés en moto, à deux par moto. Ils roulaient très vite et tiraient partout, ils tiraient sur ceux qui cherchaient à s’enfuir. […] Je me suis caché derrière une maison, mais mon frère n’a pas voulu venir avec moi, pensant que l’endroit n’était pas sûr […] De ma cachette, j’ai vu deux combattants à moto qui poursuivaient mon frère qui prenait la fuite. Le [combattant] assis à l’arrière a ouvert le feu sur mon frère et il est tombé sur le sol, mort.
Un homme de 34 ans qui a participé à l’enterrement des corps des hommes qui ont été tués à Gaina a déclaré :
Nous avons retrouvé quatre corps. Le corps de l’un d’entre eux avait été criblé de balles, en particulier dans le dos, alors qu’il tentait de s’enfuir. Un autre corps, celui d’un homme de 41 ans, gisait également dans la rue ; il avait reçu une balle dans le dos et dans le bas du corps. Le troisième avait reçu une balle dans la tête, le quatrième avait les bras cassés, la poitrine enflée et la marque d’un tir dans la nuque. Nous avons enterré trois d’entre eux dans le cimetière du village voisin de Soungai. Le quatrième a été enterré par ses parents dans le village de Fétéyoro.
Menaces, déplacements forcés, destruction de biens à Ménaka
Les attaques documentées dans la région de Ménaka ont largement ciblé les Daoussahak, membres d’un groupe ethnique touareg, que les combattants de l’État islamique accusent de collaborer avec le GSIM. La milice Daoussahak, connue sous le nom de Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA-D), alliée au gouvernement malien depuis un accord de paix de 2015, a mené des attaques contre l’EIGS dans le nord-est du Mali, se rangeant parfois aux côtés du GSIM.
« J’ai fui en mars [vers la ville de Ménaka] avant l’arrivée des combattants de l’État islamique », a déclaré un homme de 48 ans originaire du village d’Ikadewen, dans la région de Ménaka. « S’ils nous avaient trouvés au village, ils nous auraient exterminés car nous étions contrôlés par le GSIM avant leur prise du pouvoir et ils considèrent tous les Daoussahak comme des collaborateurs du GSIM ou des membres de la [milice Daoussahak]. »
Selon un rapport de l’ONU, 78 500 personnes ont été déplacées dans le centre de Ménaka entre mars 2022 et le premier trimestre 2023, et plus de 10 700 autres entre avril et mai.
Teguerert
En janvier, un affrontement armé entre l’EIGS et les combattants du GSIM pour le contrôle du territoire près du village de Teguerert, largement peuplé par l’ethnie Daoussahak, a conduit à l’incendie de certaines maisons du village et au déplacement massif de la population locale, selon deux témoins.
Le propriétaire d’un magasin âgé de 25 ans a déclaré :
L’affrontement a commencé tôt le matin, dans la brousse. Nous avons entendu des coups de feu et des détonations. Vers 11 heures, les tirs se sont rapprochés, comme si les combats venaient vers nous… Lorsque les combats se sont achevés par la victoire de l’État islamique, leurs combattants sont venus dans notre village, ont brûlé les maisons et ont tout pillé. Mon magasin a d’abord été saccagé, puis incendié. Tout le monde s’est enfui vers différents endroits, vers Gao, vers Kidal, vers la ville de Ménaka.
Un éleveur de 36 ans a déclaré :
Ici, nous sommes pour la plupart de l’ethnie Daoussahak et nous sommes pris pour cible depuis longtemps… Après ces violents combats, nous n’avons pas eu d’autre choix que de partir, pour ne pas subir d’abus… car à Ménaka [la région] les civils sont pris au piège : soit ils sont accusés par les combattants de l’État islamique de collaborer avec les milices Daoussahak et l’armée… et punis pour cela, soit ils sont pris en tenaille dans les affrontements entre les deux groupes terroristes rivaux.
Selon des témoins, l’affrontement a entraîné la mort de plus de 40 combattants des deux groupes, ainsi que des « dizaines de blessés civils ». Les deux groupes ont quitté Teguerert pour chercher refuge et protection à Ménaka.
Essaylal
En mars, des combattants de l’État islamique armés de fusils d’assaut de type kalachnikov et de lance-roquettes sont arrivés à bord de 10 motos dans le village d’Essaylal, majoritairement peuplé par l’ethnie Daoussahak, et ont lancé un ultimatum à la population pour qu’elle quitte la zone dans les trois jours, selon plusieurs témoins. Les combattants, qui portaient des tenues militaires ou civiles et des gilets pare-balles, sont arrivés après le passage d’une patrouille des forces armées maliennes dans le village.
Un homme de 39 ans a déclaré :
Ils [les combattants] nous ont accusés de collaborer avec les FAMA [Forces armées maliennes]… Ils ont rassemblé tout le village et ont dit que nous étions du côté des FAMA et du MSA. … Ils ont dit : « Ici, c’est nous qui fixons les règles, soit vous acceptez, soit vous êtes morts. » Ils ont dit que s’il restait quelqu’un dans le village à l’issue de l’ultimatum, ils l’exécuteraient.
L’homme a déclaré avoir fui avec toute sa famille le deuxième jour, vers la ville de Ménaka où « il manque de tout, où nous manquons d’aide humanitaire » et où « nous vivons avec 11 autres familles dans une même cour ».
Un autre homme, qui a également fui vers la ville de Ménaka à la suite de l’ultimatum, a déclaré : « Ils [les combattants] sont venus, ils ont menacé tout le village et nous ont ordonné de quitter les lieux. Je suis parti précipitamment avec ma femme et mes enfants, j’ai été obligé de tout laisser derrière moi. … À Ménaka, nous vivons dans des conditions misérables ».
Toutes les personnes interrogées ont déclaré avoir fui leur village après l’ultimatum et être actuellement déplacées dans la ville de Ménaka où elles « font face à de nombreux défis pour survivre », comme l’a dit l’une d’entre elles, et « ont désespérément besoin d’aide humanitaire ».
Attaques dans d’autres régions
Les combattants du GSIM et de l’EIGS ont également tué des civils dans d’autres régions du Mali en 2023, ainsi que des soldats maliens, des représentants du gouvernement et des soldats de maintien de la paix de la MINUSMA. Human Rights Watch a enquêté sur une attaque revendiquée par le GSIM, menée le 22 avril à Sévaré, dans la région de Mopti et qui a fait au moins 10 morts et 60 blessés parmi les civils, et détruit plus de 20 bâtiments. Le 21 avril, le GSIM a également revendiqué une attaque perpétrée le 18 avril, qui a tué le chef de cabinet du président intérimaire du Mali, Oumar Traoré, et trois autres personnes à Nara, dans la région de Koulikoro.
Sévaré, région de Mopti
Tôt dans la matinée du 22 avril, un attentat qui visait l’aéroport et un camp militaire de la ville de Sévaré a provoqué une forte explosion qui a tué au moins 10 civils, en a blessé 60 autres et a détruit plus de 20 bâtiments. Le GSIM a revendiqué cet attentat le 25 avril. Même si l’attaque visait une cible militaire légitime, elle semble avoir été menée de manière illégale car indiscriminée, et était très probablement disproportionnée, causant des dommages plus importants aux civils que tout gain militaire escompté.
Human Rights Watch a parlé à cinq témoins, dont deux ont été blessés.
Un mécanicien de 46 ans a déclaré :
Cette nuit-là, nous avons dormi dehors à cause de la chaleur. Vers 5h30, nous avons été réveillés par un grand bruit. Nous n’avons rien compris. Des morceaux de briques nous sont tombés dessus. J’ai été blessé à la tête, ma femme aux bras, mes enfants aux jambes. Notre maison s’est effondrée. Nous avons eu de la chance, mais cela n’a pas été le cas des familles qui vivaient de l’autre côté de la route. La famille Karambé, par exemple… leurs quatre enfants sont morts dans l’explosion… leur maison s’est effondrée sur eux.
Un charpentier a déclaré qu’il se trouvait à environ 900 mètres du lieu de l’explosion :
Je roulais à moto. Soudain, j’ai entendu un grand bruit, puis un « boum ». La terre a grondé et je suis tombé par terre, inconscient. Lorsque je me suis réveillé, il y avait de la fumée noire partout autour de moi et je toussais. Je suis rentré chez moi et je ne suis retourné dans la zone de l’explosion que vers midi. J’ai pu constater que toutes les maisons situées dans un rayon de 200 mètres avaient été détruites. Une famille entière a été écrasée par l’explosion, il n’y avait plus aucune trace de leur maison. Je suis allé à l’hôpital de Somino Dolo pour aller voir les blessés, et beaucoup d’entre eux souffraient de fractures parce que leurs maisons s’étaient effondrées [sur eux].
Dans un communiqué du 22 avril, le colonel Abdoulaye Maïga, porte-parole du gouvernement militaire malien de transition, a déclaré que les forces armées maliennes avaient tué des « terroristes » qui avaient mené une « attaque complexe » avec des « véhicules kamikazes » visant l’aéroport de Sévaré.
Dans sa déclaration du 25 avril, le GSIM a accusé l’armée malienne d’avoir tué des civils lors d’une attaque de drone visant l’un des véhicules piégés. Human Rights Watch n’a pas pu confirmer ces affirmations.
Un témoin âgé de 40 ans a déclaré :
C’est difficile de dire si l’armée a réagi rapidement ou non. Nous étions terrifiés par le bruit des explosions, et ce que je sais, c’est qu’il y a d’abord eu les détonations, puis les tirs ont commencé vers 6 heures du matin. Jusqu’à 7 heures du matin… on entendait des tirs partout autour de nous.
Source : hrw.org