Un brillant documentaire raconte l’impuissance d’un jeune Etat failli à lutter contre les groupes djihadistes, grâce au témoignage d’acteurs majeurs de cette crise.
Bamako, Mopti, Gao, Tombouctou, Gossi, Télataye et Kidal. Chacune de ces villes témoigne d’un pan de la guerre lancée par des groupes djihadistes dans le nord du Mali en 2012, qui ne cessent, depuis, de déstabiliser tout le pays. Une décennie plus tard, filmer dans la plupart de ces localités est une opération à haut risque, tant la menace djihadiste s’y est ancrée.
Encore plus pour des journalistes français qui, depuis l’arrivée au pouvoir de la junte en 2020, sont devenus les bêtes noires d’un régime militaire qui a fait de la contestation antipolitique française l’instrument principal de sa propagande.
Parce qu’il parvient à raconter tout cela, le documentaire Mali, la guerre perdue contre le terrorisme est une performance. Tout au long de l’année 2022, les Français Nathalie Prévost et Olivier Jobard, journaliste et photographe documentariste, ont sillonné le Mali pour aller à la rencontre des acteurs majeurs de cette crise politico-sécuritaire enracinée dans leur ville, leur fief ou leur bastion.
Echec collectif
Mis bout à bout, les témoignages, face caméra, d’acteurs politiques et religieux de premier plan, de chefs de groupes armés, de combattants djihadistes, de commerçants, d’éleveurs et de jeunes racontent un échec collectif. L’impuissance d’un jeune Etat failli face à la guerre et sa bascule de la démocratie vers la dictature, avec, en toile de fond, l’incapacité de la France à y vaincre les groupes terroristes, au bout de neuf ans d’opération militaire « Barkhane », au point d’avoir été sommée par la junte de définitivement plier bagage en 2022.
Dans le Nord, sur les bases françaises de Gao et de Gossi, les militaires rencontrés par les auteurs défendent pourtant mordicus le discours officiel français tendant à faire passer « Barkhane » pour une victoire tactique. « On a fait le job », croit l’un d’eux. Mais, quelques minutes plus tard, les visages poussiéreux d’enfants déscolarisés dans une école littéralement fissurée par la guerre, dans une zone abandonnée tant par l’Etat malien que par les ONG et par Paris, racontent une autre histoire. Celle d’une guerre que les armes n’auront pas su arrêter, au point que, au Mali, « Al-Qaida s’étend désormais sur un espace plus grand que la France », et dont les conséquences vont se répercuter sur les générations futures.
Avec des images toujours léchées, qui rendent hommage à la beauté de ce pays semi-désertique, le documentaire du duo français illustre la bascule du Mali vers des lendemains encore plus incertains. Le rare témoignage d’un combattant et d’un repenti d’Al-Qaida, enrôlés pour se venger d’un Etat prédateur, et la patrouille des auteurs, embarqués au côté des anciens groupes armés rebelles touareg, récemment réunifiés pour faire face à un Etat, là encore, de plus en plus hostile, le montrent avec brio.
Mali, la guerre perdue contre le terrorisme, documentaire de Nathalie Prévost et Olivier Jobard (Fr., 2023, 70 min). En replay sur France.tv