Ancien cadre du groupe jihadiste Ansar Dine d’Iyad Ag Ghaly, Ahmada ag Bibi a ensuite rejoint le HCUA (Haut conseil pour l’unité de l’Azawad), groupe armé signataire de l’accord de paix de 2015. Ahmada Ag Bibi a également été député malien. Ses services d’intermédiaire avec les groupes terroristes qui sévissent dans le nord du Mali avaient déjà été utilisés à plusieurs reprises par le passé. Rançon, prisonniers libérés, en exclusivité pour RFI, Ahmada Ag Bibi revient également sur les coulisses de la libération de Soumaïla Cissé et de Sophie Pétronin. Il est au micro de notre envoyé spécial à Bamako, David Baché.
RFI : C’est vous qui avez négocié pour l’État malien la libération de Soumaïla Cissé et de trois autres otages occidentaux, en octobre 2020. Depuis les autorités maliennes ont affiché leur volonté de négocier avec Aqmi, avec le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM). Est-ce que vous êtes à nouveau mis à contribution ?
Ahmada Ag Bibi : Non, depuis, on ne m’a pas demandé de rentrer dans ce genre de négociations.
Est-ce que vous y êtes prêt ?
Si l’État malien me le demande, moi je suis un Malien. Si le gouvernement me le demande, je suis prêt à rendre ce service, il n’y a pas de problème.
À ce jour, vous dites que vous n’avez pas été approché. Est-ce que vous savez si des démarches ont été entamées par les autorités maliennes pour ouvrir ces négociations ?
Je ne suis pas au courant, ça doit être possible ou non, ça je ne sais pas. Je ne suis pas approché par personne.
Est-ce que vous pensez que ça fait partie de la solution pour trouver la paix au Mali ?
Il faut trouver la paix, il faut que les Maliens se parlent entre eux, que ce soit les jihadistes ou de l’autre côté, il faut trouver la solution parce que la guerre, ça n’arrange personne. Combien d’années ? Beaucoup de victimes. Donc, on finit toujours par négocier. Il est temps de trouver la solution.
Cette solution, avec qui elle peut être envisagée ? Avec Iyad Ag Ghali, avec Amadou Koufa, les chefs du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans ?
Pourquoi pas, Iyad Ag Ghali et Amadou Koufa sont des Maliens bien connus. Iyad a été un leader touareg dans le passé. Et le dialogue national l’a mentionné…
Le dialogue national inclusif qui était une initiative des autorités maliennes…
Ce dialogue a demandé de négocier avec Iyad Ag Ghali et Amadou Koufa. Donc, moi, je ne suis pas contre.
Au cours des négociations que vous avez eu à mener au mois d’octobre dernier, vous avez rencontré Seidane Ag Hitta qu’on présente comme un bras droit de Iyad Ag Ghali, est-ce que lui, c’est un interlocuteur potentiel ?
Oui, pourquoi pas ? C’est quelqu’un qui peut parler dans le cadre jihadiste.
Durant ces négociations, est-ce que vous avez eu à rencontrer ces chefs Iyad Ag Ghali et Amadou Koufa ?
Non, je ne les ai pas rencontrés.
Est-ce que vous êtes en mesure de les contacter ?
S’il s’agit de les contacter, ça dépend de la situation, de la mission.
Il y a eu lors de la libération des otages en octobre 2020, une polémique sur le nombre de prisonniers qui avaient servi de monnaie d’échanges. On a parlé de plus de 200 prisonniers, 204, 206. Quel est le bon chiffre ?
On peut dire il y a 190 personnes libérées.
C’est le dernier chiffre, c’est la dernière liste ?
Oui. Au début, il y en avait le double, 300 et quelques. Ça n’a pas marché. C’est une négociation. Tu ne peux pas avoir tout ce que tu veux, donc il y a des concessions, et voilà.
Les concessions, ce sont les grands noms, ce sont les grands cadres que Aqmi voulaient voir libérés et qui ne l’ont pas été ?
Ce n’est pas une question d’Aqmi, c’est le Jnim (acronyme arabe du GSIM). C’est vrai, l’État malien, il y a des personnes qu’il ne peut pas libérer, ils me l’ont dit. Donc, elles ne sont pas libérées.
On a notamment parlé de Fawaz Ould Ahmed, alias Ibrahim numéro 10 qu’on avait dit libéré, mais en fait qui a été jugé depuis ici à Bamako. Qu’en est-il de Mimi Ould Baba Ould Cheick qui lui aussi était accusé d’avoir participé aux grandes attaques de Grand Bassam et Ouagadougou ?
Il y a ces noms-là. Il y en a d’autres. Des gens que le Jnim m’ont demandé et nous n’avons pas libérés.
Plusieurs sources évoquent également une rançon de 10 à 30 millions d’euros ?
Non, non. Ce n’est pas vrai. Ce ne sont pas ces chiffres. Je sais que les autorités de transition ont payé deux millions d’euros pour libérer Soumaïla.
Deux millions d’euros pour libérer Soumaïla Cissé. Et pour les trois otages occidentaux ?
Ce ne sont pas des rançons. L’État malien n’a pas d’argent pour payer des millions d’euros.
Et l’État français ?
Moi, je ne suis pas au courant de rien du tout pour l’État français. Moi ce sont les Maliens qui m’ont mandaté, c’est avec eux que j’ai négocié.
Les autorités maliennes n’ont débloqué que deux millions d’euros pour libérer Soumaïla Cissé et vous, vous n’avez pas vu circuler d’autres billets ?
Non, l’État malien a payé la rançon, l’État malien a mobilisé son avion et ses hommes et les prisonniers, ce sont des prisonniers dans des prisons maliennes. Donc c’est l’État malien qui a tout fait.
Il y avait et il y a toujours aussi entre les mains de ces groupes radicaux, de nombreux otages maliens. Est-ce qu’il a été question de leur libération ?
Quand j’étais en négociation, on ne m’a pas parlé d’eux. Et jusqu’à présent personne ne m’a approché sur leur sujet, mais je sais que leurs parents, leurs familles et même les Maliens souhaitent leur retour à la maison.
Est-ce qu’à un moment vous avez entendu les noms de Gloria Cecilia Argoti, l’otage colombienne, ou de Béatrice Stockly, l’otage suisse qui a été exécutée ?
Bon, je sais qu’ils ont d’autres otages, mais ça n’est pas ma mission. Donc je ne suis pas rentré dans ce genre de noms.
Vous n’avez pas été approché par l’État malien pour des négociations en ce moment. Est-ce que d’autres États de la sous-région vous ont approché ?
Non, non, personne ne m’a approché.
PAR David Baché
Source : RFI
Source: Journal le Pays- Mali