Communications coupées et journalistes chassés, la ville de l’est libyen meurtrie se retrouve isolée alors que les habitants commencent à demander des comptes aux autorités. Un nouveau bilan fait état de 3 351 morts.
Les communications sont coupées à Derna et des journalistes ont été priés de quitter la ville dévastée, au lendemain d’une manifestation d’habitants réclamant des comptes aux autorités. Le réseau d’internet et de téléphone des deux opérateurs libyens est hors service depuis le 18 septembre et la plupart des journalistes ont été appelés à sortir de Derna et de remettre les autorisations de couverture qui leur avaient été fournies.
Ces restrictions surviennent au lendemain d’une manifestation d’habitants de Derna réclamant des comptes aux autorités de l’est du pays, responsables selon eux de la catastrophe qui a fait des milliers de morts et de disparus après le passage de la tempête Daniel le 10 septembre et la rupture de deux barrages en amont de la ville.
Rassemblés devant la grande mosquée de la ville, des centaines d’habitants ont scandé des slogans contre les autorités de l’Est incarnées par le Parlement et son chef, Aguila Saleh. « Le peuple veut la chute du Parlement », « Aguila (Saleh) est l’ennemi de Dieu », ou encore « ceux qui ont volé ou trahi doivent être pendus », ont-ils scandé. Plusieurs manifestants ont brûlé la maison du maire honni de la ville, Abdulmonem al-Ghaithi, selon des images largement partagées sur les réseaux sociaux et par des médias libyens.
Zones « isolées »
Quelques heures après la manifestation, le chef de l’exécutif dans l’est de la Libye, Oussama Hamad, a dissous le conseil municipal de Derna, contre lequel il a ordonné l’ouverture d’une enquête.
Selon des politiciens et des analystes, le chaos en Libye a relégué au second plan l’entretien d’infrastructures vitales comme les barrages de Derna dont l’effondrement a provoqué des inondations qui ont fait 3 351 morts, selon le dernier bilan officiel provisoire communiqué le 19 septembre soir par le ministre de la Santé de l’Est, Othman Abdeljalil.
Mohamed Eljarh, porte-parole d’un comité chapeautant les secours formé par le gouvernement de l’est du pays, a affirmé que 14 équipes de secours étaient toujours à l’oeuvre à Derna, dont dix étrangères. Il a démenti des rumeurs sur une évacuation imminente de la ville, affirmant que seulement les zones les plus sinistrées avaient été « isolées ».
« Triste instantané »
Alors que des secouristes s’activent toujours pour retrouver les corps de milliers de disparus, le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a estimé que le drame représentait un « triste instantané » d’un monde « emporté par le torrent des inégalités et des injustices », évoquant l’impact d’une « compilation » de « fléaux », du changement climatique aux années de conflit.
« Il y a deux ans, il y avait déjà eu des fuites sur le grand barrage alors qu’il n’était rempli qu’à moitié. On avait prévenu la municipalité et réclamé des réparations », a raconté un rescapé depuis son lit d’hôpital. Les responsables coupables de négligence « ont nos morts sur la conscience », a-t-il poursuivi.
« Blocage médiatique sur #Derna (…) les communications coupées depuis l’aube. N’en doutez pas, il ne s’agit pas de santé ou de sécurité, mais de punir les manifestants de Derna », a affirmé sur X (ex-Twitter) Emadeddin Badi, spécialiste de la Libye à l’Atlantic Council.
« Les habitants sont désormais terrifiés par une répression militaire imminente, considérée comme une punition collective pour la manifestation et les demandes d’hier », a affirmé Tarek Megrisi, expert Maghreb au Conseil européen pour les relations internationales (ECFR), également sur X.
jeuneafrique (Avec AFP)