Un discours est généralement un moment de grande communication entre un leader et son opinion communautaire, régionale ou nationale. C’est aussi le moment où s’établit et se renforce la communion autour des préoccupations nationales et des solutions proposées par le premier à la seconde.
Le dirigeant, qui prend la responsabilité de traiter des problèmes cruciaux de la communauté locale, régionale ou nationale et, surtout, de proposer aux populations ses solutions, doit allier force de conviction et sens de la forme.
Nous avons déjà relevé dans ces colonnes la pauvreté du discours politique de nos dirigeants de ces trente dernières années, c’est-à-dire, depuis l’instauration du système démocratique au Mali.
Ce qui aurait dû marquer les débuts d’une certaine ouverture d’esprit pour une distribution intelligente de la philosophie et des principes démocratiques s’est insidieusement transformé en des exercices de démagogie, servis par une phraséologie éculée.
Au fil des années et des régimes, l’écoute d’un discours, notamment, lors des célébrations d’anniversaires de l’Indépendance de notre pays, s’est muée en un moment de grand ennui, où l’auditeur et le téléspectateur sont tiraillés entre la forte envie de zapper pour suivre un autre programme et cette obligation diffuse de rester attentif à une adresse qui pourrait tout de même réserver une agréable surprise.
En fait, depuis Modibo Keïta, la qualité du discours présidentiel n’a cessé de se dégrader.
Le premier président de la République avait une aura et un timbre vocal qui captivaient ses auditeurs. Ces derniers accordaient à ses déclarations une attention toute religieuse, d’autant qu’elles étaient déclinées avec une rare qualité d’écriture.
Au double plan national et international, le Mali était porté par une voix qui imposait la considération et suscitait un intérêt évident. L’image de Modibo Keïta projetait celle de la grandeur et de la dignité du Mali.
Moussa Traoré, qui s’est aliéné le respect et la sympathie des Maliens par son refus obstiné de l’ouverture démocratique, avait eu le flair et le bon sens de s’octroyer les services d’un collaborateur qui avait la rigueur de l’écriture et l’exigence de la qualité du phrasé présidentiel.
Jeune journaliste au quotidien national » L’ESSOR ‘‘, je suivis avec beaucoup d’intérêt (non sans un certain amusement d’ailleurs) l’enregistrement, dans le bureau présidentiel, d’une adresse à la nation de GMT. En dépit des agacements visibles du maitre du pays, Ismaël Kanouté (alors Directeur de cabinet du président de la République) ne démordit jamais de faire revenir le Chef de l’Etat sur les mots et phrases mal rendus et les ponctuations non respectées.
La copie diffusée par la RTM n’atteignit pas la qualité recherchée par le Directeur de cabinet, en raison même des lacunes rédhibitoires du »Père de la Nation » mais celle publiée par le quotidien national avait la marque d’une élévation d’esprit et d’un enchainement cohérent.
La détérioration de la qualité affichée des allocutions présidentielles vint ensuite, surtout, de la monotonie de leur ton (utilisation quasi identique des mêmes vocables, évocation interminable des réalisations du régime en place…), de cette absence de conviction, comme pour se dépêtrer d’une corvée, alors que les populations étaient en attente d’une communication sur les sujets cruciaux de développement de leur pays.
Il est très peu envisageable de voir ces lacunes comblées par les pratiques et les dirigeants de la Transition.
Colonel Assimi Goïta, président de la Transition, n’est pas un démocrate et n’en a pas la vocation. En s’emparant deux fois successivement des rênes du pays, il ne visait que la satisfaction de ses propres ambitions. Même s’il soutient toujours mordicus que le Mali courait à sa perte avec Bah N’Daw et Moctar Ouane, il reste évident que le colonel putschiste est à la quête de son propre destin, qui ne s’accommode d’aucun partage ni de concession.
Alors que le premier attelage de la Transition a payé le prix de son attachement au respect de l’engagement de ne pas aller au-delà des 18 mois fixés de commun accord avec la CEDEAO, l’actuel duo n’a cessé de manœuvrer pour que ce délai ne soit pas tenable.
La déclinaison d’un Programme d’Action du Gouvernement sans chronogramme, l’absence d’actes concrets posés par l’actuelle équipe gouvernementale depuis les débuts de cette seconde phase de transition, visant une quelconque réalisation du PAG, l’alimentation de polémiques autour de la mise en place d’un organe unique de gestion des élections, de la tenue des Assises Nationales de la Refondation et de l’imminence d’un accord de défense avec une armée privée de mercenaires Russes, l’alignement suspect et spontané de leaders religieux et de certaines organisations de la Société sur la tenue d’activités controversées et repoussées par la quasi-totalité de la classe politique sont les signes évidents de manœuvres dont le seul objectif est le prolongement de la Transition.
En faisant valider ces activités-chronophages, intenables dans les six mois restants de la Transition par des hommes et des organisations, qui ne voient en la Transition qu’une occasion bénie de s’empiffrer avec les deniers de l’Etat, les maîtres actuels du Mali veulent rendre inéluctable la prorogation d’un système transitoire qui, à l’évidence, va vers une impasse et pourrait impulser des manifestations populaires, dont Choguel Maïga, ironie de l’histoire, devrait être le »Casseur ».
Le discours de célébration du 61è Anniversaire de l’Indépendance du Mali par le président de la Transition restera donc un grand moment de frustration pour les Maliens, alliés et contestataires, qui ont escompté que Colonel Assimi Goïta ferait violence sur sa nature pour leur fournir des réponses qui devraient l’amener à dévoiler des desseins, qui ne sont, en fait, que des secrets de polichinelle.
Il suffit d’attendre l’acte de prorogation de la transition. A moins d’un sursaut national pour faire avorter la marche d’une histoire écrite depuis mai dernier…
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Source: l’Indépendant