Le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian a affirmé que les forces militaires européennes engagées contre les djihadistes au Mali allaient être maintenues. Mais des sanctions sont prévues contre la junte au pouvoir, qui fait obstruction à la transition en s’appuyant sur la population
La France et les Européens, engagés militairement dans la lutte anti-djihadiste au Mali, veulent rester «mais pas à n’importe quel prix», a déclaré vendredi le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian à l’issue d’une réunion informelle des ministres des Affaires étrangères de l’UE à Brest (ouest de la France).
«Si nous sommes au Mali, nous y restons, mais pas dans n’importe quelles conditions», a-t-il répété, alors que la tension est à son comble entre la junte malienne et l’Union européenne, qui prépare, dans le sillage des pays ouest-africains, des sanctions contre les militaires maliens ayant repoussé les élections et la transition de plusieurs années.
«Nous préparons des sanctions à l’encontre de ceux qui font obstruction» à la transition, avait auparavant déclaré le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell lors de la conférence de presse finale.
Réductions d’effectifs
Le Mali est plongé dans une grave crise sécuritaire et politique depuis le déclenchement d’insurrections indépendantiste et djihadiste en 2012, et a connu deux coups d’Etat en août 2020 et mai 2021.
La France, militairement présente au Mali depuis neuf ans pour lutter contre les djihadistes, est en train d’y réduire ses effectifs tout en maintenant des troupes dans le nord du Mali à Gao, Ménaka et Gossi. Les Européens eux sont présents dans la force Takuba, composée de forces spéciales et fort de près de 900 militaires, mais le déploiement d’instructeurs russes ces dernières semaines suscite inquiétude et colère.
Pour l’UE et la France, il s’agit de mercenaires du groupe paramilitaire russe Wagner. Jean-Yves Le Drian a accusé mardi ce groupe de «soutenir» la junte au pouvoir au Mali sous couvert de lutte anti-djihadiste.
Manifestations massives contre les sanctions
Les Maliens ont répondu massivement vendredi à l’appel de la junte au pouvoir à Bamako à manifester contre les sanctions ouest-africaines. «Si on est en sécurité pour manifester, on doit sûrement être en sécurité pour voter», a à ce propos ironisé Jean-Yves Le Drian alors que la junte dirigée par le colonel Assimi Goïta a argué de l’insécurité persistante dans le pays pour repousser jusqu’à cinq ans les élections initialement prévues en février 2022.
Grosse affluence aussi à Tombouctou, sur la place Sankoré, devant la mosquée, ont indiqué plusieurs Tombouctiens à l’AFP. Des images diffusées sur les réseaux sociaux montrent une foule dense marchant derrière le drapeau national dans les rues de Kadiolo, frontalière de la Côte d’Ivoire. Scène analogue à Bougouni, également dans le sud. Des Maliens interrogés par un correspondant de l’AFP ont dit descendre dans la rue, non pour soutenir la junte, mais pour défendre le pays.
«Plan de risposte» gouvernemental
Au même moment, le chef de la junte et président de transition, le colonel Assimi Goïta, a validé un «plan de risposte» gouvernemental aux sanctions ouest-africaines, ont indiqué ses services sur Facebook. Le plan a plusieurs composantes, diplomatiques ou économiques, disent-ils sans plus de précisions.
«L’objectif de ce plan n’est pas d’être dans une posture de bras de fer» avec les organisations ouest-africaines, et le Mali reste «ouvert au dialogue», disent-ils. Le gouvernement malien a lancé lundi, au lendemain des mesures de rétorsion «extrêmes» selon lui prises par l’organisation des Etats ouest-africains Cédéao, un appel «à une mobilisation générale sur toute l’étendue du territoire national».
Le colonel Goïta, porté à la tête du Mali par un premier coup d’Etat en août 2020 et intronisé président «de la transition» à la suite d’un second en mai 2021, a exhorté les Maliens à «défendre (leur) patrie».
Economie du pays dangereusement menacée
Le Mali fait face depuis dimanche à de lourdes sanctions de la Cédéao. Celles-ci punissent le projet des militaires de continuer à gouverner pendant plusieurs années, et l’engagement révoqué d’organiser en février 2022 des élections qui auraient ramené les civils à la tête du pays.
La fermeture des frontières de la Cédéao, l’embargo sur les échanges commerciaux (hors produits de première nécessité) et sur les transactions financières ainsi que le gel des avoirs maliens dans les banques ouest-africaines menacent dangereusement l’économie d’un pays parmi les plus pauvres du monde, éprouvé par les violences et la pandémie, enclavé et fortement tributaire des ports ouest-africains du Sénégal et de Côte d’Ivoire.
Des compagnies ouest-africaines ainsi qu’Air France ont suspendu leurs vols vers Bamako. Le pays risque l’asphyxie faute de liquidités. Le Mali n’a pas pu réaliser une opération sur le marché financier régional mercredi. Il est «coupé du reste du monde», dit Kako Nubukpo, commissaire pour l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uémoa).
La junte demande cinq ans
Les sanctions ont suscité un concert de réprobations au Mali. La Cédéao est accusée d’être l’instrument de puissances étrangères et un club dépassé de dirigeants coupés des populations.
La junte se drape dans la souveraineté nationale. Elle a demandé jusqu’à cinq années supplémentaires. Elle s’est dite incapable actuellement d’appeler les Maliens aux urnes en invoquant l’insécurité persistante sur un territoire dont les deux tiers échappent au contrôle des autorités. Elle réclame le temps de mener à bien des réformes essentielles selon elle et d’organiser des élections incontestables.
Aucune voix significative ne s’est élevée au Mali pour approuver la Cédéao. En revanche, un certain nombre pressent pour une reprise des discussions avec la Cédéao, s’inquiétant de l’isolement international du Mali. Le colonel Goïta a assuré rester «ouvert au dialogue avec la Cédéao».
Pas de sortie de crise en vue
Le chef de l’ONU Antonio Guterres a réclamé jeudi du gouvernement malien un calendrier électoral «acceptable», rappelant que la Cédéao pourrait alors lever graduellement les sanctions.
Des partenaires du Mali aussi importants que la France et les Etats-Unis ont apporté leur soutien aux sanctions ouest-africaines. Le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell a indiqué jeudi que l’UE allait prendre des dispositions «dans la même ligne» que la Cédéao.
Aucune sortie de crise n’est discernable pour le moment. Le secrétaire général de l’ONU a dit travailler avec la Cédéao et l’Union africaine pour créer les conditions d’un retour de la junte à une position «raisonnable et acceptable».
Source: letemps