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Les enjeux de la tournée africaine du secrétaire général de l’ONU António Guterres

Après le Sénégal ce dimanche 1er mai, où il s’est entretenu avec le président Macky Sall, par ailleurs président en exercice de l’Union africaine, le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, s’est rendu au Niger ce mardi, avant le Nigeria, dernière étape de sa tournée africaine. Au cours des rencontres avec les autorités de chacun de ces pays, Antonio Guterres devrait aborder non seulement la question des transitions au Mali, en Guinée et au Burkina Faso, mais aussi les crises sécuritaire, alimentaire, énergétique, financière ou encore climatique. Seidik Abba, écrivain et consultant international, décrypte pour nous les enjeux de cette tournée.

TV5MONDE : Le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a entamé une tournée africaine qui a commencé par le Sénégal, et se poursuit avec le Niger, avant de se terminer par le Nigeria dans quelques jours. Au cours des échanges avec le président sénégalais Macky Sall, par ailleurs président en exercice de l’Union africaine, il a notamment été question de la recrudescence des coups d’État dans la région. Quelle pourrait être l’influence de l’ONU sur les transitions en cours au Mali, en Guinée et au Burkina Faso ?

Seidik Abba, écrivain, journaliste et consultant : L’ONU s’intéresse à cette question parce que pour l’instant, la CEDEAO et l’Union africaine n’ont pas pu influencer l’évolution de ces transitions. On sait que, à la suite des différents coups d’Etat, l’habitude a été d’exiger qu’il y ait des transitions civiles, ou militaro-civiles, avec un président civil et un vice-président militaire. Mais depuis quelques temps, du fait de l’impuissance de la CEDEAO et de l’Union africaine, on assiste à des transitions militaires.

 

Au Mali, la première transition, qui a suivi le renversement de feu le président Ibrahim Boubacar Keïta, en août 2020, le coup d’Etat dans le coup d’Etat, du 21 août 2021, a conduit à une transition purement militaire. On est aujourd’hui dans le même schéma en Guinée et au Burkina Faso. Et ça traduit l’impuissance des organisations sous-régionales à exiger des transitions civiles. Et le fait que l’ONU s’y implique, avec tout son poids, et les risques de sanctions au conseil de sécurité, cela peut aider à obtenir des transitions civiles et un retour rapide à l’ordre constitutionnel. Il est important de souligner que la préoccupation de l’ONU concerne l’Afrique de l’Ouest où il y a déjà une crise sécuritaire.

Si une instabilité politique s’y ajoute, cela crée les conditions d’une déstabilisation de l’Afrique de l’Ouest, et donc d’une grande partie du continent.

On sait déjà qu’à côté de la série de putschs, il y a une instabilité sécuritaire qui menace de s’étendre à toute l’Afrique de l’Ouest. Après le Sahel, la menace terroriste est aujourd’hui aux portes du Golfe de Guinée. Un pays comme le Bénin a déjà été frappé quatre fois par les terroristes, idem pour la Côte d’Ivoire. Le Togo a annoncé avoir repoussé deux attaques terroristes. Il y a donc une situation qui rend légitimes les inquiétudes du secrétaire général des Nations unies concernant cette partie du continent, où les crises politique, sécuritaire et alimentaire s’additionnent.

TV5MONDE : Antonio Guterres a rappelé l’attachement de l’ONU aux opérations de maintien de la paix, mais aussi de lutte contre le terrorisme. La MINUSMA, la mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali, a été créée en 2013. A ce jour, son bilan reste très mitigé. Peut-on parler d’inefficacité des forces onusiennes dans la lutte contre le terrorisme au Mali ?

Seidik Abba : Absolument ! La nature du mandat de la MINUSMA n’est pas adaptée. Les missions classiques de maintien de la paix ne sont pas adaptées à la situation en Afrique de l’Ouest, notamment à la situation du Sahel. Le moment où les forces des Nations unies sont chargées d’accompagner les processus de retour à la paix, ce contexte n’est plus adapté aujourd’hui. La nature du mandat a changé.

Aujourd’hui, le mandat onusien n’est plus adapté à la situation du Sahel. Au Sahel, il ne s’agit pas de maintenir la paix ou de la rétablir. Il s’agit de lutter contre le terrorisme. Et malheureusement, les missions classiques des Nations unies, telles qu’elles ont été conçues par le passé, et telles qu’on continue de les appliquer, ne sont pas adaptées à ce type de situation.

Des soldats français de l’opération Barkhane, la plus grande opération militaire française à l’étranger, se préparent avant la visite du président français Emmanuel Macron, à Gao, dans le nord du Mali, le vendredi 19 mai 2017.

On ne peut pas dire qu’il faut attendre d’être attaqué pour se défendre : non. Ici, il s’agit de monter des opérations anti-terroristes. Vous savez, dans les missions de maintien de la paix des Nations unies, on privilégie le risque zéro, on ne veut pas exposer la vie des soldats, et souvent ces derniers dépendent davantage des forces de leurs pays que des commandants onusiens. Toutes ces incohérences des missions des Nations unies font qu’elles ne sont pas efficaces dans le contexte du Sahel. Lorsqu’on dit aux gens qu’il y a plus de dix mille soldats de maintien de la paix au Mali, les gens s’en étonnent. Car ils ne voient pas les efforts qu’ils font pour protéger les populations. Ils ne voient pas leur efficacité.

J’ose espérer qu’à partir du discours que le secrétaire général a tenu pendant cette tournée, il va obtenir du Conseil de sécurité une évolution du mandat de la MINUSMA, une évolution aussi des forces des Nations unies pour qu’elles soient plus efficaces. On parle du Sahel, mais on pourrait dire autant pour le Congo Kinshasa, où la mission des Nations unies n’a pas l’efficacité qu’il faut. Ces missions sont trop coûteuses. Il faut peut-être les repenser ou transférer l’argent qu’on investit dans ces missions à d’autres types de forces.

Je suis sûr qu’aujourd’hui, si les pays du G5 Sahel recevaient autant d’argent que les missions des Nations unies, ils seraient plus efficaces, parce qu’ils prendraient le risque d’exposer la vie de leurs soldats. Ils obtiendraient des résultats, à la place de la situation actuelle où on se retrouve avec un mandat inadapté, des pays qui se soucient de la survie de leurs contingents, et tout ça fait que la mission des Nations unies n’est pas populaire au Sahel. Elle est autant décriée que la présence internationale bilatérale, qui est faite par Barkhane ou par les pays européens dans le cadre de la force Takuba.

TV5MONDE : En plus du Sahel, António Guterres devrait sans doute évoquer les questions liées à Boko Haram dans la zone du bassin du lac Tchad. Pourquoi les forces onusiennes ne sont-elles pas en soutien de la force multinationale qui combat contre Boko Haram dans le bassin du lac Tchad ?

Seidik Abba : Pour l’instant, les pays du bassin du lac Tchad ont estimé qu’ils peuvent faire face à cette situation, et que l’intervention des forces onusiennes n’est peut-être pas une bonne chose. Par ailleurs, ces pays pensent sans doute que le soutien onusien ne présente pas suffisamment de valeur ajoutée. Dans le cadre de la Force mixte multinationale qui combat Boko haram dans le bassin du lac Tchad, et qui est composée du Niger, du Nigeria, du Cameroun, du Tchad, et du Benin, qui n’est pas membre du bassin du lac Tchad, mais qui, par solidarité, a envoyé une unité non-combattante, on voit qu’ils obtiennent quand même quelques résultats. Je ne suis pas sûr que si on envoyait une force des Nations unies, elle apporterait la même valeur ajoutée.

Le soutien politique des Nations unies peut donc être nécessaire. Le fait que le secrétaire général des Nations unies vienne au Niger, puis au Nigeria, et peut-être dans le nord-ouest du pays, à Maïduguri, fait que en termes d’accompagnement des populations, en termes de stratégies de stabilisation, cela aura sans doute des effets positifs. On sait que le PNUD est engagé dans l’accompagnement des populations pour qu’elles retournent chez elles ; et le fait que les populations retournent chez elles, même si la situation s’est améliorée, a besoin d’un préalable, notamment la reconstruction des infrastructures, la reconstructions des maisons de ces populations déplacées. Mais le PNUD a des programmes de stabilisation au Niger, au Nigeria et au Tchad.

Tout ça fait que le passage du secrétaire général des Nations unies dans cette région, va être l’occasion pour les pays et leurs présidents, de faire le point sur la situation de Boko Haram dans cette région. Il faut dire que Boko Haram s’est beaucoup affaibli. L’organisation n’a plus les moyens de faire de grandes opérations d’envergure, comme elle a pu le faire par le passé. Et je pense que dans cette phase là, il faut commencer à réfléchir à la stabilisation et à la reconstruction de ce qui a été détruit, à l’accompagnement des populations, mais aussi à la réinsertion. Sur tous ces points, les Nations unies peuvent aider. Mais sur le plan strictement militaire et sécuritaire, je ne suis pas sûr que les Nations unies peuvent apporter une valeur ajoutée, parce que leur façon de procéder ne convient pas vraiment au contexte de lutte anti-terroriste qu’est devenu le bassin du lac Tchad.

TV5MONDE : Autre sujet abordé par Macky Sall et Antonio Guterres, c’est l’aggravation dans la sous-région des crises alimentaire, énergétique et financière. Quel est l’état réel de la situation sur le terrain et comment l’ONU peut-elle aider les pays de la région à faire face à cette triple crise ?

Seidik Abba : J’ai pu me rendre récemment dans le nord-est du Nigeria, dans le sud-est du Niger, ainsi qu’au Burkina Faso. Et je vois que la crise russo-ukrainienne a un impact important en Afrique de l’Ouest. Les prix des denrées alimentaires ont considérablement augmenté, alors que le pouvoir d’achat des populations ne s’est pas amélioré. Les gens avaient déjà des difficultés à se nourrir, aujourd’hui ils se nourrissent encore moins bien qu’avant le début de la crise. Et dans certains pays, le manque de farine oblige à des solutions de substitution. On fait du pain avec de la farine d’igname par exemple.

A côté de ça, certains pays se fournissaient déjà auprès de pays qui sont en guerre aujourd’hui, mais il y a aussi les difficultés d’approvisionnement. Dans le nord-est du Nigeria quelqu’un me racontait que les bateaux qui étaient prévus pour apporter le matériel nécessaire à la résolution de la crise énergétique dans le nord-est du Nigeria, ces bateaux ne peuvent plus venir, car ils sont affectés à d’autres missions. Il y a tous ces aspects qui aggravent la crise. Sans compter qu’aujourd’hui, on arrive à une situation dans laquelle les financements qui étaient prévus pour les pays africains en crise, notamment au Sahel, sont en train d’être réorientés par certains bailleurs de fonds, vers l’Ukraine.

Et beaucoup d’humanitaires ici sur place, se plaignent que des crédits qui leur avaient été promis, ont été amputés pour être réorientés à la prise en charge des réfugiés de la crise ukrainienne. Tous ces facteurs font qu’on risque d’arriver à une aggravation d’une situation déjà très grave dans le Sahel ou le bassin du lac Tchad. Et l’ONU peut avoir une force de plaidoyer, pour éviter qu’il y ait deux poids deux mesures. Qu’on s’intéresse davantage à l’Ukraine, parce que c’est proche de l’Europe, et qu’on oublie l’Afrique de l’ouest ou le bassin du lac Tchad, parce que ce n’est pas proche de l’Europe, ou parce que il faut privilégier telle catégorie de réfugiés, plutôt que telle autre. Sur le plan moral et éthique, chaque réfugié a la même valeur.

Toutes ces personnes qui fuient la guerre doivent bénéficier de la même protection. L’ONU peut aussi alerter sur le fait que les projecteurs soient braqués sur l’Ukraine, et qu’on oublie cette partie du continent. Et puis, on sait aussi que l’ONU c’est la FAO ou le Fonds international pour le dévelioppement agricole, qui peuvent aider les pays africains dans leurs stratégies d’atteinte de l’autosuffisance alimentaire. C’est quelque chose qu’on peut faire dans le moyen et le long terme. Mais il faut déjà y penser.

Il y a des pays comme le Nigeria, qui avaient décidé il y a quelques années, qu’il n’importerait plus du riz. Il avait alors mis en place une stratégie d’interdiction d’importation du riz, avec en parallèle la mise sur pied de crédits agricoles, avec la banque centrale pour aider ceux qui veulent faire la production de riz. Et aujourd’hui, le pays est quasiment autosuffisant en matière de production de riz. Il y a des stratégies comme celles-ci que les Nations unies peuvent accompagner, afin d’éviter que la dépendance se poursuive sur le continent africain. On a eu des émeutes de la faim il y a quelques années sur le continent, parce qu’on arrivait plus à importer du riz d’Asie… Il faut donc réfléchir à sortir de la situation de dépendance du continent.

TV5MONDE : Le changement climatique frappe l’ensemble du continent, et tout particulièrement certaines zones telles que le bassin du lac Tchad. Quel est l’état de la situation sur place aujourd’hui ?

Seidik Abba : Le plus intéressant et le plus dramatique c’est que la crise climatique dans le bassin du lac Tchad est multiforme. La crise climatique ici a alimenté la crise sécuritaire, parce que le lac était auparavant le poumon économique de la région. Les gens vivaient du lac Tchad, car ils produisaient du poisson, et chaque année, cette économie générait des millions d’euros. Le commerce du poivron également, car les gens faisaient de la production agricole dans le bassin du lac Tchad. Parfois, les agriculteurs cumulaient trois ou quatre saisons dans la région, car ils produisaient du riz, du mil, du blé… Tout ceci n’est plus possible, car il y a eu un assèchement important du lac Tchad, alors que la démographie a augmenté.

Des bergers et leurs familles traversent un affluent du lac Tchad jusqu’au village de N’Gouboua, au Tchad, le jeudi 5 mars 2015, en empruntant le même itinéraire que les réfugiés nigérians ont emprunté pour fuir Boko Haram.

Il y a une pression sur les ressources. Et tout ça fait que les gens sont devenus pauvres. Et la pauvreté a créé un terreau favorable au recrutement. Les gens qui ont été recrutés par Boko Haram, pour la plupart, ne sont pas des gens qui adhèrent à l’idéologie religieuse, non. C’est parce qu’ils sont devenus pauvres,  parce qu’ils sont devenus fragiles, que Boko Haram a pu les recruter. Si on ne réfléchit pas à la résolution de la crise climatique, la crise sécuritaire ne pourra pas se résoudre. C’est pour cela que les difficultés qu’il y a autour du lac Tchad aujourd’hui, doivent mobiliser plus de personnes.

Il y a quelques années, il y a eu de grandes rencontres internationales sur le lac Tchad en Europe notamment. Mais depuis peu, cet engouement s’est un peu estompé. Il y a donc urgence aujourd’hui à reprendre toute la stratégie d’accompagne des pays pour les aider à faire face à la situation. Il y a quelques temps, il avait été question d’un projet avec la Banque mondiale, pour amener l’eau des fleuves Logone et Chari dans le lac, afin de l’aider à retrouver son niveau d’antan. Tout cela doit inciter à la nécessité de trouver une solution à la situation climatique dans le bassin du lac Tchad, parce que la situation climatique fait partie de la situation sécuritaire.

Si on prend des dispositions pour accompagner les pays sur le plan climatique, cela veut dire qu’on améliore la production dans la région, et qu’on rend les gens moins pauvres et donc moins vulnérables. Il faut donc accompagner cette résilience des populations. Pour l’instant, il n’y a pas cette mobilisation pour le lac Tchad. On a pu voir que la communauté internationale a mis des milliards sur la table afin d’aider l’Ukraine à s’armer et à résister. Puisque la communauté internationale est capable de tels élans de solidarité et de générosité, il faut qu’elle le fasse pour toutes les parties du monde. Et le lac Tchad demande beaucoup moins que ça, et si on le faisait, on créerait les conditions d’un retour à la paix et au développement dans cette partie du continent africain.

 

Source: TV5

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