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Les accords se multiplient entre les Djihadistes peuls et les autres ethnies

Boubacar Ba, chercheur au Centre d’analyse sur la gouvernance et la sécurité au Sahel, explique à Mondafrique comment les éleveurs peuls, la communauté la plus nombreuse du centre du Mali mais aussi la plus marginalisée, sont entrés en dissidence à partir de 2015, en déplaçant le centre de gravité des conflits communautaires du Nord au reste du pays.

Depuis un an, la conclusion d’accords de paix locaux dans la zone du Delta central représentent l’espoir d’une reprise des activités dans ces zones livrées aux conflits communautaires. Dans le même mouvement, on assiste à la suprématie de la Katiba Macina de Hamadoun Koufa (voir photo ci dessus), affiliée à Al Qaida au Maghreb islamique, qui est maitre d’oeuvre de cette politique de pacification.

Boubacar Ba, chercheur au Centre d’analyse sur la gouvernance et la sécurité au Sahel,
Mondafrique : Quelles sont les racines de la guerre au centre du Mali ? S’agit-il de revendications territoriales, historiques ou d’accès aux ressources naturelles ?

Boubacar Ba : Dans la zone du delta central, la dynamique de conflits trouve ses racines dans un éventail de causes structurelles interconnectées. D’abord, les conflits autour de l’accès aux ressources naturelles, dans lesquels les Peuls estiment avoir été systématiquement désavantagés par la mauvaise justice, la corruption ou le refus de reconnaître les droits des pasteurs dans certaines zones. Ensuite, les conflits fonciers, dont les textes n’ont pas permis la résolution définitive. Il faut aussi noter une idéologie développée par l’Etat depuis l’indépendance, qui s’est traduite, au fil du temps, par l’occupation anarchique des couloirs de transhumance et une faible prise en compte du système pastoral dans le développement socioéconomique du pays.

La situation s’est détériorée à cause de la rébellion des années 90, dont les Peuls ont été les victimes collatérales, à travers de multiples razzias contre les éleveurs peuls du Macina qui pratiquaient la transhumance dans les zones exondées d’attache en saison sèche. Vivant dans les zones inondées ou exondées de la région, ces derniers ont perdu des milliers de têtes de bovins, d’ovins et de caprins et subi une restriction d’accès aux sites d’abreuvement par certains mouvements armés du nord, ce qui a exacerbé les frustrations des Peuls et ravivé les tensions communautaires.

En janvier 2013, l’intervention de l’armée française avec l’opération Serval a dispersé les groupes armés qui se dirigeaient vers le sud du Mali, y compris Hamadoun Koufa et ses partisans, qui se sont alors réorganisés. Enfin, lors de la tentative de reprise de Kidal par l’armée malienne en 2014, les groupes armés du nord et du sud ont fait jonction. Certains combattants peuls du centre participant à la bataille.

Mondafrique : Le conflit au centre du Mali est-il l’expression de la colère des Peuls et de leur marginalisation?

B.B. Les Peuls se sont eux-mêmes marginalisés en refusant d’aller à l’école des Blancs et de s’insérer dans le tissu socio institutionnel de la démocratie, de la décentralisation et de l’Etat de droit. De ce fait, ils se sont retrouvés en porte-à-faux avec la gouvernance locale, où ils étaient faiblement représentés, que ce soit dans les instances élues ou les structures techniques de développement. Recroquevillés dans leur approche traditionnaliste de gestion des ressources naturelles, ils ont été de plus en plus gagnés par la frustration, surtout par la mauvaise distribution et la corruption à ciel ouvert de la justice lorsque survenaient des conflits entre les pasteurs eux-mêmes, entre pasteurs et agriculteurs et, de façon générale, entre les pasteurs et les autres acteurs sociaux.

De nombreuses décisions administratives et judiciaires contestées ou non appliquées ont été rapportées par les « parajuristes », ces relais villageois formés aux notions de droit, dans plusieurs localités de la région de Mopti. Cette situation a provoqué de nombreuses frustrations parmi les éleveurs aussi bien que les agriculteurs de la région.

Les éleveurs divergent des autres acteurs de la société sur la notion de territorialité. Ils conçoivent la gestion des ressources naturelles en termes d’espace discontinu, à cause de la transhumance. Ils bougent beaucoup dans l’espace et n’acceptent pas la limite des terroirs agricoles tels que définis par les textes sur le foncier au Mali. De l’autre côté, l’Etat n’a jamais voulu s’adapter à leur système de production. Avec le temps, ils ont ressenti une sorte de colonisation agricole les repoussant toujours plus loin dans leur espace de développement. Leurs revendications n’étaient pas des revendications territoriales politiques mais socioéconomiques : ils réclamaient leur meilleure intégration aux schémas d’aménagement et de développement du pays.

La communauté peule s’est finalement rebellée du fait de sa marginalisation par rapport aux systèmes de production, à la gouvernance et à l’accès à la justice. La colère n’était pas dirigée seulement contre l’Etat, en termes de justice et de représentation politique. Elle s’exprimait aussi contre certaines familles aristocratiques peules qui, en connivence avec l’Etat, utilisaient leur position pour affaiblir les bergers, les réduire finalement à un statut de cadets sociaux.

Ces bergers ou éleveurs traditionnels peuls n’étaient pas non plus organisés. Lorsque les groupes armés ont occupé le nord du Mali, en 2012, ils ont saisi l’opportunité de se révolter en s’alliant avec le MUJAO (Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest) qui leur offrait une alternative en matière de justice et de sécurité. Rapidement, convaincus qu’ils étaient abandonnés, ils se sont armés et sont entrés dans la guerre.

Depuis la destruction du village de Sari (cercle de Koro) en 2012, un cycle de vengeance et de haine s’est installé, provoquant de nombreux morts et blessés parmi les pasteurs et les sédentaires dans la région de Mopti. Le village de Ogossagou, dans le cercle de Bankass, a été violemment attaqué en mars 2019 faisant 150 morts peuls. Un autre village, Sobane Da, dans le cercle de Bandiagara, a été à son tour attaqué en juin 2019, faisant 50 morts Dogons. Les attaques et les représailles se sont multipliées, avec des accusations de complicité, de part et d’autre, soit avec les moudjahidine[1] peuls, soit avec la milice locale dogon Dan Nan Ambassagou, dans un contexte d’abandon de l’Etat à partir de 2015, jusqu’en 2020. Tout le système de production et d’échange traditionnel, du lait et de la viande par exemple, en a été affecté.

Pour illustrer la situation un rapport de l’unité d’analyse et de cartographie des vulnérabilités du Programme alimentaire mondial (PAM) publié en octobre 2020, montre l’impact de l’insécurité sur l’agriculture dans la région de Mopti avec un impact négatif sur la sécurité alimentaire, une perte des moyens d’existence pour les populations déplacées et de grandes difficultés pour celles qui restent dans leurs villages à pouvoir cultiver leurs champs et accéder aux marchés.

Mondafrique : Pourquoi les Peuls se sont-ils ralliés à Hamadoun Koufa ? S’agit-il aussi de l’expression de la nostalgie de la Dina, l’empire musulman fondé par les Peuls dans le Delta central du Niger en 1818 sous l’impulsion de Sékou Amadou et qui a régné sur le Macina jusqu’en 1864 ?

B.B. Leur adhésion a été méthodique et progressive, selon les enquêtes que j’ai menées depuis quelques années avec le concours des parajuristes basés sur le terrain. Elle a obéi des raisons politiques, socioéconomiques et religieuses. On ne peut pas dire que les Peuls ont agi au nom de la nostalgie de la Dina mais plutôt de la nostalgie de l’hégémonie peule héritée de la Dina. Koufa n’est pas du tout considéré comme un partisan de la Dina. Adepte jusqu’en 2004 d’un islam tolérant, son engagement puis son ralliement à Yiad Ag Ghaly survient après son adhésion au mouvement Tabligh (Dawa). A partir de 2004, il s’est investi dans des prêches dans les villages du delta central du Niger, s’en prenant avec virulence aux élites maraboutiques, puis, profitant de la contestation du code de la famille en 2009, au gouvernement central. Très écouté à travers les radios locales de Mopti, il a en particulier sensibilisé des talibés (élèves coraniques) et des jeunes désœuvrés en faveur d’un islam plus rigoriste.

Beaucoup de gens ont aussi rejoint la katiba Macina pour se venger du massacre, en 2013, d’une vingtaine de forains peuls interceptés sur l’axe Dioura-Léré (zone du Farimaké, cercle de Youwarou) par des hommes enturbannés. La disparition de ces hommes, dépouillés, attachés les yeux bandés et jetés dans un puits, n’a jamais été clairement élucidée par une enquête judiciaire digne de ce nom. De nombreux responsables peuls considèrent ces événements comme les facteurs précurseurs de la crise sécuritaire actuelle.

Avec le temps, la katiba Macina s’est structurée dans la zone inondée et exondée et a développé le processus de mutation sociale, en se renforçant par des alliances avec d’autres groupes peuls au Niger et au Burkina Faso, notamment les Tolebés et Jelgoobes. Ils ont mis en place un conseil politique et de décision (choura), ont créé des camps de combattants (markaz) et développé un djihad défensif. Leur but n’était pas de gérer ou d’administrer directement les villages. Ils restaient en brousse et laissaient les acteurs locaux, chefs de village et imams, gérer mais ils intervenaient à travers leurs représentants, notamment les juges islamiques (cadis). Ils ont progressivement imposé l’interdiction d’écouter de la musique ou de boire de l’alcool dans des zones sous leur contrôle ainsi que l’obligation du port du voile pour les femmes. Et ça a fonctionné, car les chefs traditionnels, religieux et coutumiers réclamaient parallèlement un changement de l’ordre social, une sorte de moralisation de la société. A partir de 2016, ils ont appliqué la zakat, l’aumône licite, puis progressivement chassé les autorités administratives locales. Ils ont pris langue avec les chefs de villages et certains élus locaux qui, face au vide créé par l’absence de l’Etat, ont accepté de collaborer avec eux.

Mondafrique : Des accords de paix locaux ont été observés dans le centre du Mali ces derniers mois. De quoi s’agit-il et quelles sont leurs chances de prospérer ?

B.B. Il y a deux catégories de dynamiques de paix. Une vingtaine d’accords locaux institutionnels ont été conclus dans la zone inondée et exondée sous l’égide d’ONGs internationales (HD Sahel et Search for Common Ground) et d’ONG nationales (Think Peace et Imadel) financées par des partenaires internationaux et la MINUSMA. Ce sont, selon moi, des processus précaires engageant des acteurs intermédiaires qui n’ont pas un vrai pouvoir de décision. Le ministère de la Réconciliation nationale, appuyé par ses partenaires étrangers, a organisé beaucoup de foras, de rencontres et de formations à la résolution des conflits ces cinq dernières années dans le centre du Mali. Mais ces accords locaux posent des problèmes d’inclusivité au regard de la diversité des acteurs ; le plus souvent, ils n’ont pas l’adhésion des groupes moudjahidine qui sont les maîtres des lieux et ne sont pas respectés sur le terrain après l’engagement des parties.

La deuxième catégorie, ce sont des accords directs entre les légitimités locales traditionnelles et les moudjahidine. Ils sont apparus réellement en 2020. C’est ainsi qu’en juillet 2020, un accord a été conclu dans la zone de Koro entre communautés dogons et moudjahidine. Il ne s’agit pas d’un texte écrit mais d’un accord verbal d’honneur structuré autour de 4 ou 5 points concernant surtout l’application des principes de la charia.

En 2021, l’accord qui a été scellé dans la zone de Niono a été facilité par le Haut conseil islamique. Il a abouti à un cessez-le-feu sans désarmement entre belligérants, à l’acceptation de la non-réparation des crimes commis, à la restitution des animaux volés, à l’application de la charia dans les zones sous contrôle des moudjahidine (prêches et zakat) et à la neutralité des populations dans la guerre entre ces derniers et les armées malienne et étrangères, faute de quoi ils s’exposent à des représailles. Les populations sont autorisées à cultiver librement leurs champs et ramasser le bois en brousse sans toucher au bois vert et les Peuls ne doivent plus subir les vexations et sévices des Dozos (confrérie des chasseurs). Les moudjahidine ont exigé le départ du détachement de l’armée à Farabougou. Cette exigence semble être difficilement acceptable par un Etat souverain. Les dernières négociations en date du 16 avril 2021 n’ont pas permis de s’accorder sur ce point.

Ces accords vont permettre aux communautés de vivre ensemble, d’aller dans les foires et les zones agricoles, mais les moudjahidine restent les maîtres des lieux. Ils sont, certes, précaires, mais salutaires pour les communautés et traduisent, pour une partie de la population, le dessaisissement de l’Etat malien d’une certaine souveraineté sur l’espace de la zone.

Quelles sont les perspectives ? C’est encore trop tôt pour savoir si nous irons à terme vers la mise en œuvre d’une charia globale, où cohabiteront la charia et le droit coutumier au détriment du droit étatique dans les zones rurales. Ou verra-t-on s’imposer un système à plusieurs vitesses imposant le droit étatique dans les zones urbaines et le droit de la pratique dans les zones rurales ? Les moudjahidines vont-ils tenter d’élargir leur souveraineté sur d’autres espaces ? La négociation reste une question d’interprétation multiple. Certains pensent qu’une mauvaise paix vaut mieux qu’une bonne guerre et les rapports de force sont favorables aux moudjahidine sur de grandes parties du territoire, surtout au centre. La négociation peut apparaître comme une solution temporaire en attendant de conquérir une certaine souveraineté. D’autres pensent que l’Etat malien ne reviendra plus dans sa forme actuelle et que la dynamique sera plutôt celle d’un Etat à géométrie variable.

La peur va gagner les zones urbaines parce que l’élargissement et la diversification des mouvements armés va conduire à une aggravation de l’insécurité. Les moudjahidine vont essayer de gagner sur l’Etat à l’usure, de créer plusieurs foyers de conflits. L’autre inconnue concerne la réponse contre-insurrectionnelle : va-t-elle seulement s’appuyer sur la réponse militaire ou combinera-t-elle la réponse militaire et la négociation ? Il y a beaucoup plus d’interrogations que de réponses.

[1] Boubacar Ba utilise le terme « moudjahidine » plutôt que djihadiste, reprenant la sémantique des groupes armés maliens. Le moudjahid est, en Islam, un combattant qui s’engage dans le djihad pour défendre sa foi face aux infidèles.

 

Source: mondafrique

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