Alors que s’ouvre à Pau, à l’invitation d’Emmanuel Macron, un sommet des chefs d’État du G5 Sahel, une région victime d’attaques djihadistes récurrentes, Moussa Mara, ancien Premier ministre du Mali, et Patrice Fonlladosa, ex-patron Afrique du MEDEF, appellent la communauté internationale à remettre le développement au cœur de leurs priorités.
Alors que les chefs d’État africains du G5 Sahel sont réunis ce lundi 13 janvier à Pau (sud-ouest de la France) à la demande d’Emmanuel Macron pour discuter de la situation sécuritaire dans le Sahel, une tribune signée conjointement par Moussa Mara, Premier ministre du Mali de 2014 à 2015 et Patrice Fonlladosa, ancien PDG de Veolia Africa & Middle-East et patron Afrique du MEDEF, avant de prendre la tête de la commission Afrique du Centre d’étude et de la prospective stratégique (CEPS), vient rappeler quelques fondamentaux.
«L’ombre du terrorisme s’étend et grignote, sans vraiment s’arrêter, les campagnes ou les villes. Il y a bien ça et là quelques petites victoires sporadiques, des sursauts d’un instant et parfois, enfin, de remarquables reculs de la pauvreté. Car il faut bien le nommer: ce mal profond qui frappe le continent et s’exprime dans le sang, le terrorisme, est aussi né du parent pauvreté», notent Moussa Mara et Patrice Fonlladosa dans une tribune envoyée dimanche à Sputnik France.
Pour les deux hommes, même si la «pression grandissante de l’insécurité des territoires» hypothèque la stabilité, donc l’avenir de la région, la pauvreté n’est pas une fatalité. En revanche, ce qui persiste plus que jamais dans cette région, ce sont les inégalités qui restent très «profondes» et demandent des réponses adaptées pour y remédier, en deçà de la seule réponse sécuritaire.
«Sur un continent qui va voir sa population doubler en une génération –record historique à l’échelle du Globe– et la concentration urbaine multipliée par deux en 15 ans, certains se confortent à l’idée que les taux de croissance économique y sont remarquables et durables, que l’Afrique recèle des pépites d’innovations en une classe d’entrepreneurs que peu de territoires peuvent concurrencer. Il suffit, pourtant, de voyager pour comprendre à quel point les inégalités sont profondes d’un pays à l’autre», regrettent-ils.
Les auteurs de cette tribune renvoient donc les chefs d’État africains à leur responsabilité en plus des promesses de développement non tenues, jusqu’à présent, par la communauté internationale. Car les vrais «outils de la paix» ne résident pas dans «des schémas d’organisation complexe, de technologies savantes ni ne nécessitent des programmes d’aide, mais plutôt celui d’un seul moteur, la gouvernance», estiment-ils.
Or, pour Moussa Mara et Patrice Fonlladosa, l’accès à l’eau, à l’assainissement et l’électricité, –les trois priorités fixées par les Objectifs de développement durable (ODD 6 et 7), qui en en comptent 17–, serait un signe probant aux yeux des populations du Sahel que cette gouvernance fonctionne, en plus de servir de leviers au développement de cette région.
«De ces trois priorités –eau, assainissement, électricité– découlent l’amélioration de la scolarité, des services de santé, de la mesure du bien-être et à la fin, de la dignité de chacun. C’est bien lorsque la volonté publique est là –et à son initiative– qu’on peut passer du concept au discours, du discours aux actes… Pour enfin mettre en œuvre les outils de la paix», insistent-ils.
Les pays africains qui, il y a des années, ont clairement décidé de mettre la priorité sur ces trois accès «sont peu nombreux, mais ceux qui l’ont fait et assumé dans le temps –choix institutionnels, régulation, opérateurs, financement– ont vu localement reculer les marqueurs de pauvreté», font-ils encore remarquer.
D’autant qu’il s’agit de droits fondamentaux, consacrés par l’Assemblée générale des Nations unies et affichés comme «droits humains essentiels à l’exercice de tous les autres droits de l’homme.» Mais le plus important, c’est qu’ils constituent «des facteurs de croissance économique et de véritables antidotes à la pauvreté», affirment-ils.
Destiné à clarifier le cadre d’intervention de la France au Sahel, le sommet de Pau devait initialement avoir lieu le 16 décembre. Mais compte tenu de l’attaque djihadiste perpétrée le 10 décembre à Inates (Niger), dans la zone dite des trois frontières, la décision avait été prise de le reporter. Jugé «anachronique» par certains commentateurs, ce sommet intervient alors que de nouvelles attaques n’ont depuis cessé de se produire dans cette région, accroissant la pression sur la force française Barkhane qui y est déployée.
Le gouvernement nigérien a confirmé dans un communiqué diffusé dimanche 12 janvier au soir, la mort, vendredi, de 89 soldats dans l’attaque terroriste perpétrée contre le camp militaire avancé de Chinagoder, non loin de la frontière avec le Mali et décidé d’un deuil national de soixante-douze heures. Arrivé le premier à Pau, dimanche, le Président Ibrahim Boubacar Keita (IBK), à l’instar de son homologue nigérien, est venu expliquer le pourquoi du désamour des Maliens à l’égard de la France, dont le Président Hollande avait pourtant été accueilli en libérateur en janvier 2013, au moment du déploiement du dispositif Serval.
Moussa Mara n’en démord pas. Non seulement, rappelle-t-il dans une chronique publiée ce jour, qu’il est indispensable de remonter le moral des troupes maliennes, mais il exhorte la classe politique malienne, la société civile, les citoyens et les forces vives «à s’inscrire dans le soutien tous azimuts et sans concession à nos troupes.» Une vieille revendication de son parti, Yelema, dont il a fait son cheval de bataille.
«Les faiblesses sont connues de la hiérarchie et des décideurs publics. Il faut laisser à ceux-ci la mission de conduire les reformes permettant de corriger les faiblesses de nos Forces Armées Maliennes (FAMA). Nous devons mettre désormais en avant toute situation permettant de soutenir le moral de nos troupes et faire d’eux nos héros», écrit-il dans cette chronique.
Alors que l’indice de pauvreté multidimensionnelle utilisé par le PNUD (Programme des Nations unies pour le développement) montre par exemple au Mali une baisse de 10% de l’indice de pauvreté entre 2007 et 2017, le nombre de laissés-pour-compte a augmenté dans le même temps de 10%, du fait de la croissance numérique globale de la population. «Ce qui compte, ce sont les femmes et les hommes et pas les pourcentages,», clame Moussa Mara.
En matière de lutte contre le terrorisme, si le passage par une croissance qui soit la plus inclusive possible n’est pas le plus court chemin, au vu de la dégradation constante de la sécurité au Sahel, ce pourrait en revanche être le plus efficace.
Source : sputnik news