– Chassés, les derniers soldats français de l’opération Barkhane quittaient le Mali, le 10 octobre 2022. Un premier anniversaire marqué par un embrasement inter-croisé de violence, prenant pour cible le pouvoir militaire en place.
L’euphorique adhésion populaire au slogan souverainiste “Mali kura” (Mali nouveau, en bambara) qui a accompagné le divorce des colonels au pouvoir d’avec Paris et ses partenaires, semble être tombée, notamment à l’intérieur d’un pays, confronté à une vague grandissante d’attaques, de combats meurtriers et de massacres de civils, ne se limitant plus au seul Nord, fief des salafistes, des extrémistes et des rebelles indépendantistes touaregs. Analystes et hommes politiques, dont la sous-secrétaire d’Etat américaine, Victoria Nuland, décrivent une situation “délétère et une détérioration des conditions de beaucoup de Maliens.
– Le difficile challenge de l’armée…
En menant leur putsch du 18 août 2020, les jeunes colonels ont mis de l’avant la corruption du pouvoir, sa totale obédience à l’Occident, particulièrement la France, accusée de “piller” le Mali, son incapacité à relancer l’économie et, surtout, à assurer la sécurité. Ils allaient, également, retenir les deux derniers griefs contre le nouveau président et son gouvernement pour les révoquer, neuf mois après les avoir eux-mêmes installés et les remplacer par des militaires, prenant ainsi en main le gros des rouages de l’Etat. Ce faisant, ils ont promis de faire cesser l’exploitation inéquitable des ressources du pays, d’œuvrer à développer son économie, en commençant par rétablir ordre, sécurité et stabilité…sans l’aide française et son contingent de l’opération Barkhane, ni celle de l’ONU et les forces de sa MINUSMA (mission onusienne pour la paix au Mali).
Ils relevaient ainsi un difficile défi, plaçant haut la barre, dans un vaste territoire où pullulent les cellules du Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM), branche d’Al-Qaïda au Sahel et celles de Daech du Grand Sahara qui a mis sous sa coupe de larges pans du Nord du pays. Sans compter les insoumis touaregs dont les velléités de sédition étaient à peine contenues par les accords de paix d’Alger (2015) et par la présence de forces internationales, même s’ils étaient souvent occupés à se disputer, dans le sang, des zones d’influence avec les terroristes de Daech et du GSIM.
Le challenge est d’autant plus ardu, que l’armée de 40 000 hommes est sous équipée et sans grandes ressources. Et que le groupe Wagner participe ou pas aux opérations de traque des cellules de Daech et d’Al-Qaïda, cela ne diminue en rien de la titanesque tâche de neutraliser insoumis et terroristes, ni de protéger l’ensemble des Maliens, notamment ceux des régions reculées. Une réalité qui s’applique aux autres pays voisins où opèrent ces groupes terroristes et qui a fait dire à Sébastien Lecornu, le ministre français des Armées, qu’au rythme où vont les choses “le Sahel risque de s’effondrer sur lui-même”.
Et puis quoi qu’on reprochât aux forces de la MINUSMA et davantage à celles de Barkhane, et aussi réel que soit le fait que la France et ses partenaires exploitaient et “monnayaient” exagérément leur présence, 25 000 soldats, avec des équipements de pointe, constituaient au moins un facteur relatif de dissuasion et d’atténuation des exactions dans les zones de turbulences.
– Rébellion touarègue et course aux camps
En tout cas, si les attaques des éléments d’Al-Qaïda et de Daech contre des postes de l’armée et des villageois, notamment au Nord et à l’Est du pays, n’ont jamais cessé, elles ont pris une toute autre dimension, ces dernières semaines, s’étendant à l’Ouest, au Centre et jusqu’aux abords de la capitale même. La ville stratégique de Tombouctou, tenue par l’armée, a été, elle isolée, ses voies d’accès ayant été bloquées par les hommes d’Al-Qaïda. Les attaques ont, également, gagné en férocité, faisant des centaines, voire des milliers, de victimes civiles, outre les actes de pillage et de destruction au feu de villages entiers. Le Haut-commissariat aux réfugiés estime à 320 000 le nombre des déplacés qui ont fui leurs terres vers le proche Niger ou pour d’autres zones plus sécurisées.
Cet embrasement, qui semble comme coordonné, a coïncidé avec une dangereuse escalade de violence, entraînant une confrontation entre l’armée et la Coordination des mouvements de l’Azawad, à majorité touarègue, qui a déclaré “être en temps de guerre”, dans ce qui est interprété davantage qu’une velléité de rébellion, une véritable volonté d’en découdre avec Bamako, comme cela fut le cas entre 2012 et 2014. Des camps et des postes avancés militaires sont assaillis et on parle même de petites villes qui sont “tombées”, telle Bambara.
La grande urgence pour le pouvoir est, toutefois, d’empêcher l’Azawad de contrôler les camps de la MINUSMA, en particulier ceux de Tessalit et d’Aguelhok, deux localités à proximité de Kidal -sous contrôle des rebelles-, la ville stratégique d’une région où le trafic d’armes, de drogue et autres prospère. C’est pourquoi l’armée a concentré ses efforts, en vue de la reprendre et d’en ratisser les environs, ce qui n’est pas une mince affaire, son convoi, parti de Gao, le 2 octobre, ayant déjà subi des attaques de la Coordination. Aussi les deux parties feront-elles tout pour mettre définitivement la main sur la ville, à laquelle la rébellion tente par tous les moyens d’empêcher l’armée régulière d’arriver.
Mais d’ores et déjà, cette dernière a remporté une importante victoire, après avoir réussi à déloger les rebelles d’Anéfis, une ville-clé, sur la route de Kidal, l’objectif central de l’armée qui assure pouvoir l’atteindre, par un contrôle total, en novembre prochain.
Au-delà de l’issue de cette confrontation et de ses conséquences sur les deux protagonistes, ce regain de tensions et de violence visant à affaiblir le nouveau pouvoir, où les luttes internes inter-factions rebelles sont (provisoirement ?) mises de côté, semble comme préparé et coordonné, avec des moyens conséquents. Qui est derrière et à travers qui ? En fait, ils sont nombreux, sur le continent et ailleurs, qui voient d’un mauvais œil les putschs du Mali, du Burkina-Faso, du Niger, du Tchad ou de la Guinée…
Le pouvoir malien est-il en train de subir les conséquences de son rapprochement de la Russie, trop occupée par son conflit ukrainien, pour lui être d’un grand secours ?
Ce qui est sûr, c’est que les richesses du sous-sol malien sont et demeureront convoitées de tous. Or, fer, cuivre, uranium, lithium, manganèse, phosphate, nickel… ça ne se laisse pas aller dans d’autres poches.
Ce qui est encore plus sûr, c’est que la voie de la paix, de la stabilité et de la relance économique au Mali est encore longue…
AA / Tunis / Slah Grichi (**)