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L’avenir politique au Mali : Les pièges du passé

Dans la négociation avec les groupes armés, il convient dès la phase préparatoire d’éviter les erreurs commises à un autre moment critique

 modibo keita haut representant chef etat dialogue inclusif inter malien

Les chemins vers la paix s’avèrent très souvent impénétrables, les négociateurs les plus chevronnés vous le confirmeront. Ces chemins peuvent prendre l’aspect d’un véritable dédale dans lequel les parties tournent en rond sans espoir apparent de trouver une sortie et sans possibilité de même revenir sur leurs pas. Ils peuvent aussi s’assimiler à une interminable escalade au cours de laquelle chaque difficulté surmontée accouche d’une épreuve encore plus ardue. Mais ils peuvent également proposer une fin de parcours proprement miraculeuse en faisant déboucher un sentier escarpé sur une voie royale où les obstacles s’éclipsent littéralement l’un après l’autre. L’imprévisibilité dans les avancées est donc à garder à mémoire lorsque dans quelques jours débuteront, en principe, en Algérie les discussions préparatoires entre notre pays et les groupes armés.

S’il nous fallait définir l’état d’esprit de l’opinion malienne à la veille de cet événement, nous dirions qu’il allie résignation et amertume. Résignation parce qu’après s’être pendant longtemps persuadés que notre pays avait la possibilité de recourir en cas de nécessité à une solution militaire, nos compatriotes ont admis que la reconstruction en cours des FAMa ne laissait d’autre choix que celui des pourparlers. Amertume, parce que les Maliens craignent confusément que les événements de Kidal nous ayant privé de la possibilité d’arriver en position de force à la table de négociations, nous ne soyons contraints d’accepter des concessions qui auraient été rejetées il y a quelques mois. Ajoutons à ces états d’âme le fait que nos concitoyens se repèrent mal dans la part d’initiative laissée à chacun des médiateurs et qu’ils continuent à nourrir de solides préventions contre les plus actifs de ceux-ci, le Burkina Faso et l’Algérie.

Mais le moment n’est plus à la récrimination, ni à l’incantation. L’important – et nous l’avions dit dans une précédente rubrique – est que notre pays ait une approche stratégique précise et la souplesse tactique indispensable pour élaborer des compromis mutuellement acceptables. A cet égard, il n’est pas inintéressant de se rappeler et de tirer leçon de la manière dont les négociations ont été gérées lors de la deuxième rébellion entre la nuit du 28 au 29 juin 1990 et le 11 avril 1992. C’est à dire entre la première attaque perpétrée par les rebelles armés à Tidarmène (quatre morts furent alors à déplorer) et la signature du Pacte national qui mettait officiellement fin aux hostilités et balisait un avenir à construire ensemble. Les contextes étaient certes différents, la nature du régime politique aussi. Mais les enjeux de sécurité pourraient facilement être assimilés à ceux d’aujourd’hui et la difficulté à dégager une solution à la fois réaliste et équilibrée est quasiment la même qu’il faudra résoudre à partir de la première étape algérienne.

DEUX POINTS FAIBLES. En 1990, les premières attaques de la rébellion par leur soudaineté et leur brutalité (le raid sur Ménaka survint 24 heures après celui de Tidarmène et fit 14 morts) prirent complètement de court les autorités. La première réaction de celles-ci fut tout naturellement d’appliquer une solution militaire. Solution qui présentait le double avantage de répondre à l’angoisse d’une population traumatisée par la survenue d’une violence incompréhensible pour elle et de créer un réflexe d’union nationale autour d’un régime qui affrontait les assauts de la contestation politique. Mais très vite, l’option armée laissa apparaître son inanité. Le président Moussa Traoré se tourna alors vers un traitement par la négociation et mit pour cela deux fers au feu.

Il voulut tout d’abord s’assurer la solidarité des Etats concernés par la rébellion, à savoir l’Algérie, le Niger et la Libye. Mais lors du sommet quadripartite organisé les 8 et 9 septembre 1990 à Djanet en Algérie, l’attitude ouvertement provocatrice de Mouammar Khaddafi, habillé en notable  tamasheq, fit comprendre au Mali qu’il ne pourrait compter sur la médiation que de l’Algérie. Entretemps, le chef de l’Etat malien avait autorisé une délégation composée de chefs de fraction et de cadres touaregs à rencontrer à Alger des responsables du Mouvement patriotique de l’Azawad (MPA) et du Front islamique arabe de l’Azawad (FIAA). La délégation revint à Bamako avec un document contenant 21 revendications des deux groupes armés.

Ces derniers demandaient notamment la nomination d’un vice-président issu de la communauté touarègue ainsi que l’affectation des ministères des Affaires étrangères, de la Défense, de l’Intérieur et du Développement rural à des cadres tamasheq. Mais à côté de ces exigences extrêmes, des points beaucoup plus réalistes étaient à relever concernant la démilitarisation du Nord du Mali, le désenclavement du Septentrion, l’intensification de la prospection minière, la création de banques agro-pastorales, la libération des prisonniers impliqués dans les opérations en cours, la nomination des natifs de la zone dans l’administration locale, la réversion des rebelles repentis à concordance de grade dans l’Armée malienne … et l’instauration du multipartisme. Le document a servi de base aux négociations menées avec l’aide de l’Algérie et qui aboutirent aux accords de Tamanrasset signés le 6 janvier 1991 entre le Mali, le MPA et le FIAA.

Deux particularités sont à signaler et qui constituent les points faibles de la démarche adoptée sous la IIème République. Primo, même si l’option de la solution militaire avait été abandonnée, le ministère de la Défense est demeuré au cœur du traitement du dossier de la rébellion. Les politiques (responsables du parti UDPM et gouvernement) étaient maintenus dans une quasi ignorance et les accords furent signés pour le gouvernement malien par le chef d’état-major général des armées, le colonel Ousmane Coulibaly. Secundo, les négociations avec les groupes armés et les résultats de celles-ci furent gérés dans la plus grande opacité. Il est vrai que dans les Accords (dont le contenu exact ne fut dévoilé qu’après la révolution de Mars) figuraient des dispositions qui auraient été très mal accueillies des populations si elles avaient été rendues publiques telles que l’allègement des dispositifs de l’armée malienne dans les régions de Gao (dans laquelle se trouvait à l’époque Kidal) et de Tombouctou, la suppression de certains postes militaires et l’affectation aux régions du Nord de 47,3% du futur programme d’investissement.

LA « CONSTITUTIONNALISATION » REFUSÉE. Les mouvements armés s’étaient retrouvés indiscutablement gagnants lors de ces premières négociations Etat-rébellion de l’histoire du Mali moderne. Ils avaient amené le gouvernement à abandonner le règlement par la force pour la négociation. Ils avaient obtenu des garanties pour un important désengagement militaire des Régions septentrionales et ils avaient fait admettre explicitement la nécessité d’efforts exceptionnels pour le développement de cette zone. Enfin, ils s’étaient assurés de l’intégration de leurs éléments dans l’armée régulière. Les autorités maliennes contraintes de gérer deux fronts internes avaient choisi de lâcher du lest sur le plus pressant.

Mais les choses ne furent pas plus simples sous la Transition malgré que la Coordination des associations et organisations démocratiques céda au MPA et au FIAA deux places sur les quinze auxquelles elle avait droit au Comité de transition pour le salut du peuple (CTSP), organe suprême de la Transition. La crispation ressurgit lorsque Cheick Ag Bayes, représentant du MPA, demanda à la Conférence nationale (29 juillet-12 août 1991) de faire consacrer par la future Constitution un statut particulier pour le Nord du Mali. Ce geste, avait-il expliqué, convaincrait l’aile militaire des Mouvements de la volonté du Mali d’éviter tout retour au statu quo ante qui avait suscité la rébellion. Mais les participant à la CN rejetèrent de manière quasi unanime cette « constitutionnalisation ». La mesure, de leur point de vue, en particularisant le Septentrion ouvrait la voie au fédéralisme, et à moyen terme à la partition du pays.

La situation du Nord du Mali fit donc l’objet d’une Conférence spéciale tenue du 13 au 15 août 1991 dans le sillage de la CN et qui regroupa dans la salle de délibérations de l’Assemblée nationale une délégation CTSP-gouvernement, des représentants des Régions septentrionales et le délégué du MPA. Il fut décidé la mise en place d’un Comité national préparatoire d’une Conférence spéciale sur le Nord qui devrait se tenir en novembre 1991 à Tombouctou. Un Haut délégué pour le Nord, en la personne de Baba Akhib Haïdara, était chargé de superviser le processus. Mais il s’avéra très vite que la démarche choisie ne convenait pas aux mouvements armés qui la boycottèrent.

Le gouvernement fut donc obligé de changer le fusil d’épaule. Il eut recours à l’expertise de deux facilitateurs neutres, Edgar Pisani, ancien Commissaire européen et directeur de l’Institut du monde arabe de Paris et Ahmed Baba Miské, personnalité politique mauritanienne. Et surtout les autorités sollicitèrent une entremise plus forte de l’Algérie où les ailes politiques des mouvements avaient élu domicile. Les informations communiquées par les facilitateurs incitèrent Amadou Toumani Touré, président du CTSP et chef de l’Etat, à changer officiellement dans un discours prononcé le 8 novembre le format de la négociation. Exit la conférence de Tombouctou que l’on enterra sans le dire. Il lui fut substitué un cycle de rencontres au cours desquelles seraient négociés des « pré-accords » qui conduiraient à l’adoption d’ « un véritable pacte national ».

L’ABANDON DU FÉDÉRALISME. Celui-ci qui demandera « l’adhésion solennelle de tous » devait, selon ATT, dire « comment nous vivrons harmonieusement ensemble avec nos différences dans le cadre de la Constitution qui sera et demeura notre règle suprême ». Une rencontre à Ségou (25-27 novembre 1991) devait lancer ce qui était dénommé « le processus accéléré de négociation ». Mais elle s’avéra un demi échec puisque les mouvements armés la boycottèrent. Cependant, les participants, parmi lesquels se trouvaient des représentants de la société civile du Nord, peaufinèrent deux séries de textes. La première était consacrée à la prise en charge des populations éprouvées par le conflit et la relance économique de la zone. La seconde portait sur la libre administration des collectivités territoriales et elle fut la plus âprement discutée.

Avant la deuxième rencontre prévue à Mopti le 15 décembre, les autorités algériennes usèrent de toute leur influence pour garantir une participation des groupes rebelles. Elles obtinrent d’abord que ceux-ci créent lors d’une rencontre tenue à El Golea, en territoire algérien, la Coordination des mouvements et fronts unifiés de l’Azawad (MFUA) qui réunissait outre le MPA et le FIAA, le Front populaire de libération de l’Azawad (FPLA) et l’Alliance révolutionnaire de libération de l’Azawad (ARLA). Puis ce fut un aéronef algérien qui achemina les délégations à Mopti. La Venise malienne abrita le premier véritable round des discussions Etats- Mouvements armés. Les discussions s’entamèrent dans un climat tendu, les MFUA présentant aux membres du CTSP et du gouvernement un document recensant leurs doléances dont l’un des points majeurs était le fédéralisme choisi comme mode d’existence de l’Azawad au sein du Mali.

Mais les positions rebelles se sont atténuées au fil des discussions et finalement le résultat s’avéra plutôt satisfaisant pour les autorités maliennes. Pour la première fois, et grâce à l’Algérie, les discussions avaient porté sur une plateforme commune de revendications présentée par la Coordination des mouvements armés. En outre, fait important, les MFUA qui étaient venus pour une simple prise de contact avaient accepté de signer un aide-mémoire qui balisait les points d’entente et entérinait la poursuite des concertations.

Les mouvements avaient aussi accepté que soit retirée de l’aide-mémoire une référence à l’Azawad comme aire géographique et renonçaient implicitement à l’option fédérale qui avait été jusque là leur position intangible. L’Algérie – officiellement sollicitée comme médiateur lors d’une réunion tenue les 29 et 30 décembre 1991à Alger – s’engagea dans un intense forcing pour que le Pacte national soit signé avant la fin de la Transition. Il lui fallut pour y parvenir trois rounds serrés (Alger I, II et III) avec les MFUA. La cérémonie solennelle de signature du Pacte se tint le 11 avril dans l’après-midi avec un report de 48 heures sur la date initialement fixée.

UNE INDISCUTABLE SIMILITUDE. Que faut-il retenir du laborieux cheminement des négociations en 1991 et 1992 ? En premier lieu que les autorités de la Transition qui avaient privilégié au départ une démarche ouverte et inclusive avec notamment la participation de la société civile avaient dû se rabattre, dans la phase décisive, vers la diplomatie secrète et surtout privilégier le tête-à-tête avec les MFUA. Ce revirement d’importance explique pourquoi le Pacte n’a jamais été vraiment accepté par la majorité silencieuse malienne pour qui il constituait une déplorable abdication devant les exigences de la rébellion. Tous les (maladroits) efforts de communication n’ont pas permis de rectifier cette perception peu flatteuse qui a annihilé l’adhésion souhaitée par ATT.

Il faut ensuite souligner l’extrême réticence des différentes ailes militaires à accepter la démarche suivie par les politiques. Sans l’insistante pression de l’Algérie, les négociations auraient traîné en longueur et la marge de concessions acceptées par les Mouvements aurait été considérablement moindre. Il est à noter enfin que des délais très courts avaient été fixés aussi bien dans le calendrier de négociations que pour l’exécution des engagements pris dans le Pacte national. Ce choix avait été fait pour boucler le processus de négociations avant l’avènement de la IIIème République, mais surtout pour donner des gages de bonne volonté à la rébellion et exprimer une détermination à aller résolument de l’avant. Il s’en est suivi plus tard une cascade de divergences d’interprétations que la rébellion de mai 2006 raviva en dénonçant une exécution très incomplète du Pacte.

L’histoire ne se répète pas obligatoirement et la complexité de la situation en 2014 est d’essence différente de celle de 1991-1992. Mais il y a une indiscutable similitude dans les enjeux, dans les postures et dans les pièges. Les négociateurs maliens doivent prendre garde au piège du calendrier démentiel et objectivement intenable. Ils doivent aussi assurer une information régulière de l’opinion afin de réduire les préventions, à défaut de les lever entièrement. Ils doivent enfin éviter de se laisser capturer par un dialogue exclusif avec les groupes armés. Ces précautions réunies ne constituent pas une panacée. Elles évitent juste que la complication soit ajoutée à la difficulté.

G. DRABO  

SOURCE: L’Essor
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