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Croire en l’Afrique au temps du Covid-19: à qui profite-le plus l’effet pangolin?

Après la publication d’une note diplomatique très controversée sur «l’effet pangolin», Sputnik France a demandé à trois anciens ambassadeurs en Afrique leur avis sur les recommandations qu’elle contient. Ils ont tous reconnu la nécessité pour la diplomatie française de diversifier ses interlocuteurs, sans toutefois renoncer à parler aux États.

 

Les scénarios catastrophes n’ont pas manqué depuis la publication, il y a un mois, d’une note diplomatique du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS), vite devenue virale sur les réseaux sociaux. Son auteur, l’archiviste et chroniqueur Jean-Pierre Bat, par ailleurs spécialiste des réseaux Foccart en Afrique francophone, y prédisait que la pandémie risquait de fragiliser les appareils d’État du Sahel et de l’Afrique centrale en raison de l’incapacité des pouvoirs en place à protéger leurs populations. Et que, de ce fait, ils seraient emportés.

Forts des leçons tirées des épidémies passées, les dirigeants africains ont su manifester leur pragmatisme. Ce qui, jusqu’à présent, les a sauvés. «Le confinement total étant impossible dans la plupart des grandes villes africaines –où l’essentiel de la population vit au jour le jour, la priorité a été mise sur la prévention, la sensibilisation et l’information», notent Éric Duval, président du groupe Duval qui est implanté dans une dizaine de pays du continent et Pierre Carpentier, directeur général Afrique dans une récente chronique.

La grande jeunesse des Africains a également été un «atout exceptionnel» face à la pandémie. D’où le credo des deux capitaines d’industrie pour «un partenariat à long terme solide» avec la France, jugé bénéfique pour les deux parties compte tenu de leur complémentarité. «Le continent africain pourrait sortir plus fort de cette pandémie planétaire, plus conscient de ses atouts et des enjeux de développement et maître de son destin», prophétisent-ils. Même s’ils restent inquiets quant aux difficultés économiques et financières à venir, malgré la bonne gestion de la crise sanitaire qu’ils saluent.

«Singapour et la Corée du Sud apparaissent en champions de la lutte contre le Covid-19, de nombreux pays africains mériteraient d’être montrés en exemple également. Mais si l’Afrique échappe à la crise sanitaire qui met à plat les économies les plus solides, résistera-t-elle à la crise financière et économique qui s’annonce?», s’interrogent les deux chefs d’entreprise.

Alors que le CAPS fournit régulièrement au ministère français des Affaires étrangères des analyses, c’est la première fois qu’une note sur la survivance de régimes africains, pourtant considérés par la plupart des diplomates «sous perfusion de la France», prend une telle ampleur. Sans doute parce que, avec son titre provocateur «L’effet pangolin : la tempête qui vient d’Afrique?», elle interpelle. «La diffusion du rapport s’est faite à compter du 24 mars mais, sans le vouloir, l’ambassade de France à Niamey l’a éventé», confie à Sputnik un chercheur d’un prestigieux institut français ayant requis l’anonymat.

Certes, le Quai d’Orsay s’est diplomatiquement défaussé du CAPS dès le 3 avril, évitant de froisser les dirigeants africains de son pré carré. Sur le site Mondafrique, le chercheur camerounais Fred Eboko, après avoir salué «la formidable anticipation de l’Afrique face au Covid-19», estime que, dans sa riposte, «une Afrique gouvernée, plurielle, où les sociétés civiles jouent un rôle important» a émergé, écrit-il. Même si cela n’a pas empêché les institutions internationales, à commencer par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), de continuer à tirer la sonnette d’alarme en dépit des signes positifs venant du continent.

Qui a tort, qui a raison? De l’aveu même du Président sénégalais Macky Sall, «les scénarios catastrophistes qui s’évertuent à dessiner un futur d’apocalypse» n’aident en rien les peuples africains ou leurs dirigeants. «Ce continent a subi des épreuves autrement plus périlleuses et plus cruelles. Il est resté résilient et tient plus que jamais debout!», a-t-il martelé dans une tribune parue dans Le Soleil (gouvernemental), le 8 avril. Il en a profité pour renouveler sa demande d’une annulation de la dette publique africaine. Tout en souhaitant l’avènement d’un nouvel ordre économique mondial dont les contours restent, toutefois, encore très flous.

Joignant leur voix à un collectif de 25 intellectuels africains parmi lesquels l’économiste togolais Kako Nubukpo, l’un des initiateurs du mouvement contre le franc CFA, deux chercheurs dont les instituts ont leur siège à Dakar –Gilles Yabi, fondateur de WATHI, think tank citoyen de l’Afrique de l’Ouest, et Bakary Sambe, fondateur du Timbuktu Institute– voudraient une mobilisation générale en Afrique pour qu’émergent des solutions endogènes vis-à-vis des Occidentaux.

Au-delà de «l’hypothèse farfelue d’une ancienne puissance colonisatrice angoissée par sa perte d’influence en Afrique», c’est une obsession de la montée en puissance de la Chine en Afrique, renforcée par l’épisode du Covid-19, que lit l’économiste et analyste politique béninois, Gilles Olakounlé Yabi, dans cette note du CAPS. «Sauf que Pékin n’a pas attendu le virus pour se projeter méthodiquement en Afrique et partout dans le monde», indique-t-il.

L’ombre chinoise

Interrogés par Sputnik, trois anciens ambassadeurs de France en Afrique déclarent ne pas être surpris de ce tollé. Formulées d’une façon aussi directive, les recommandations contenues dans la note du CAPS sonnent comme un jugement de l’ancienne métropole. En revanche, ils ne croient pas un seul instant à la thèse de la projection de peurs que la France aurait vis-à-vis de la Chine en Afrique.

«Accréditer la thèse que la France souffrirait de l’influence croissante de la Chine revient à lui prêter des intentions néocolonialistes. Ce qui me paraît une analyse inexacte. La France ne vise aucune suprématie en Afrique, contrairement aux idées reçues», affirme Nicolas Normand, ex-ambassadeur de France au Mali au micro de Sputnik France.

Pour Stéphane Gompertz, qui fut ambassadeur en Éthiopie, il est évident que cette note a été instrumentalisée «pour casser du sucre sur le dos des Français». Car, dit-il, il est toujours plus facile d’avoir recours à un «bouc émissaire» plutôt que de confronter ses propres turpitudes. Lui aussi reconnaît une «hypersensibilité», aujourd’hui, à tout ce qui pourrait apparaître comme une ingérence dans les affaires internes de la part des dirigeants africains.

«La chronique de Gilles Yabi est intelligente et courageuse. Je ne crois pas cependant que la note du CAPS soit inspirée par la crainte de la Chine. Le danger qu’elle décrit –et qui est vraisemblable pour certains pays plus que pour d’autres– est celui d’un effondrement de régimes discrédités et d’un vide du pouvoir», a commenté l’ancien directeur du service Afrique du Quai d’Orsay au micro de Sputnik France.

Car la fascination africaine pour le partenaire chinois, ses offres généreuses d’infrastructures et sa diplomatie respectueuse certes mise à l’épreuve par les récents actes humiliants visant les Africains à Canton «est aussi une menace au réalisme lucide qui devrait guider les stratégies de nos pays», répond l’intéressé.

«Lâcher les partenaires historiques de la France»

Les réactions «outrées» vis-à-vis d’une note sur laquelle, en aparté, tout le monde s’accorde à dire qu’elle aurait dû rester confidentielle, sont plus «néfastes», selon lui, que l’effet pangolin. Car «elles nuisent gravement à notre capacité de penser le monde avec lucidité et de sortir du tête-à-tête entre l’Afrique et la France ou l’Europe», écrit Gilles Yabi.

Comment, dans ces conditions, repenser une relation tripartite, aujourd’hui vouée aux gémonies en Afrique, «compte tenu de la charge de l’histoire coloniale, du racisme qui lui est consubstantiel et de la condescendance postcoloniale»? Pour lui, même si le scénario du pire ne s’est pas produit, rien ne garantit que certains pays africains qui étaient déjà fragilisés par des tensions politiques et des crises sécuritaires graves ne sombrent.

«Plus que jamais, nous devons adresser nos exigences de changement à nos gouvernants et non aux Présidents français ou chinois, qui ne sont point comptables devant nous. Il serait dommage de donner raison à ceux qui font le pronostic d’une hécatombe en Afrique parce qu’on aura passé plus de temps à proclamer que nous n’allons pas mourir qu’à éliminer toute possibilité que nous mourions», s’exclame le coordinateur de WATHI.

Pour Didier Le Bret, ex-ambassadeur de France à Haïti, après un poste de chef de mission de coopération à Dakar, si les analyses du CAPS ont choqué, c’est parce qu’elles «ne s’apparentent ni à une forme de bienveillance, ni à de la solidarité de la part de la France». Dans un contexte de crise généralisée, elles ne pouvaient qu’être mal perçues, alors que les dirigeants africains font des efforts surhumains pour présenter un front commun.

De surcroît, déplore l’ancien coordonnateur national du renseignement (intérieur, extérieur, militaire, douane et antifraude financière) à l’Élysée, elles ciblent les États africains francophones. «Un raccourci regrettable!», selon cet ancien diplomate, aujourd’hui reconverti dans l’intelligence économique au service d’ESL & Network, une entreprise qui compte parmi ses clients le Cameroun.

«Sur la dépendance au pétrole, au moment où les cours ont atteint leur plus bas historique, le Nigeria, l’Angola ou encore le Mozambique sont tout autant concernés. Enfin, le discrédit de la parole politique, le poids de la rumeur populaire ou encore le complotisme sont loin d’être l’apanage de l’Afrique (francophone). Il suffit d’écouter la radio, tous les matins. Cela devrait nous rendre plus modestes», préconise-t-il.

Privilégier de nouveaux acteurs

Interprétée comme un subtil avertissement de Paris à l’égard de ses protégés, ces chefs d’État d’Afrique de l’Ouest et du Centre qui s’accrochent au pouvoir, cette note ne serait en fait qu’un rappel aux diplomates français d’arrêter de se focaliser sur les seuls tenants de l’autorité, comme le suggère le chercheur français en relations internationales ayant requis l’anonymat.

Quatre catégories de «nouveaux acteurs» sont identifiées dans cette note, comme les «interlocuteurs pour nos efforts de gestion de la crise en Afrique». Il s’agit des confréries religieuses, de la diaspora, des artistes populaires ou encore des entrepreneurs économiques qui, tous, «souligneront la faillite de l’État dans lequel la contestation monte». Son auteur recommande également au Quai d’Orsay de s’appuyer sur les avis «d’experts africains scientifiques et spécialistes de la santé».

«Il n’y a vraiment rien de nouveau sous le soleil. Tous les diplomates le savent de longue date et cela fait partie intégrante de leur mission: diversifier les contacts et les sources, pour mieux comprendre la réalité des pays où ils se trouvent, mais aussi pour disposer de relais, et contribuer ainsi à densifier la relation entre la France et l’État de résidence. Cette approche n’est pas exclusive à l’Afrique», réagit Didier Le Bret.

Un avis que partage Nicolas Normand. Avec «un peu de tact et de doigté», il est même possible de rencontrer des membres de l’opposition, à condition d’en «informer les autorités en vue d’éviter d’être accusé d’ingérence», préconise-t-il. «L’idée d’éviter les interlocuteurs officiels est néanmoins particulièrement absurde. Si un ambassadeur appliquait à la lettre les recommandations de la note du CAPS, il serait rapidement déclaré non grata et expulsé», renchérit-il.

Pour Stéphane Gompertz, il serait «suicidaire» et «contre-productif», en pleine pandémie, d’enjamber les gouvernements en place. Car il n’appartient pas à la France de dire aux Africains ce qui est bon pour eux. «Prendre parti dans les débats internes, c’est surtout prendre le risque de déplacer le centre de gravité des conflits et, in fine, de mettre tout le monde d’accord contre nous», martèle-t-il.

«En Éthiopie, j’ai particulièrement travaillé avec des organisations de femmes, qu’il s’agisse de formation professionnelle, d’accueil des femmes de la rue ou de lutte contre l’excision. J’avais aussi d’excellents rapports avec le Premier ministre Meles Zenawi. Toutefois, je regrettais sa méfiance vis-à-vis des organisations de la société civile», se souvient l’ancien ambassadeur.

Sauf cas particulier d’une dictature avec laquelle Paris aurait des relations très tendues ou bien d’un pouvoir jugé illégitime, les trois ambassadeurs s’insurgent contre l’idée d’anticiper le discrédit des autorités des pays dans lesquels ils sont en poste ou bien d’accompagner en urgence l’émergence d’autres formes de pouvoir. D’autant qu’en Afrique, la situation est très différente selon les États. «Prudence, respect et modestie sont de mise. La contestation peut se produire partout ou pas», rappelle Didier Le Bret.

Sputnik

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