À la genèse de l’idéologie de la laïcité se trouve le conflit de l’exercice du pouvoir et surtout de qui devrait l’exercer. Cette lutte millénaire entre l’Église et l’État va finir par déboucher sur un pacte entre les deux protagonistes qui se verront contraints de le partager.
Voilà donc comment va naître la notion d’un pouvoir pour les hommes (temporel) et d’un pouvoir pour Dieu (spirituel).
Ce partage que voici, n’a jamais été de la volonté des uns comme des autres. Est-ce nécessaire de vous rappeler que pour l’Église le Pouvoir et Tout le Pouvoir n’appartient qu’à Dieu pendant que, pour les autres, dont d’imminents intellectuels, aristocrates, révolutionnaires et des croyants désabusés de l’Église ne veulent concéder quelque iota de regard que ce soit au clergé dans leurs affaires et à qui ils semblaient avoir arraché une victoire décisive en le reléguant sur un strapontin.
Le passé n’est jamais passé puisque, ne pas connaître son passé c’est être condamné à revivre l’histoire. Pour saisir le but de cet écrit, faisons de l’histoire pour donner suite au présent.
Le concept d’un pouvoir temporel et d’un pouvoir spirituel est la subséquence d’une mauvaise lecture de la parole de Jésus de Nazareth qui, aux fins de ne pas prêter le flanc à ceux qui voulaient l’accabler et confirmer son caractère de défiance vis-à-vis des forts de son temps, et surtout de ne pas trahir la dépêche divine dont il était porteur a dû, par la grâce de la sagesse, donner la réponse qui suit à cette question insidieuse des pharisiens : « Est-il permis, ou non, de payer le tribut à César ? » Mathieu 22. 17
Un NON serait perçu comme un affront à l’autorité de César, à une incitation à le désobéir et un déni qu’il soit l’émissaire de Dieu sur terre. Toute chose recherchée par ses détracteurs. Un OUI remettrait en cause tout le message dont il était le convoyeur. Jésus qui savait bien l’objectif visé par ces colporteurs leur demanda à voir la monnaie qui paie le tribut et leur interrogea : « De qui est cette effigie et cette inscription ? » Ils dirent : « de César bien sûr » alors Jésus leur dit ce qui est confirmé dans Matthieu 22. 18-22 « Donnez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu »
De cette réponse, des interrogations vont surgir : Quelle est l’origine du pouvoir ? Qu’elles sont ses formes ? Qui doit l’exercer ? Dieu, le roi, le peuple ou la Nation ? Et comment ? De ces questions, des déductions intéressées vont conduire les différentes chapelles à faire dire au Christ ce qu’il n’a jamais pensé dire. « Mal poser les questions pour leurs apporter des solutions odieuses » dixit Aimé Césaire
L’Empire romain était perçu comme l’instrument de Dieu pour gérer les hommes ici-bas, les religieux de cette ère iront jusqu’aux extrêmes dans leur appui et soutien à Rome. Le clergé devint ainsi le bras séculier de ce pouvoir temporel. Rappelez-vous, pour l’Église tout pouvoir émane de Dieu. Se soumettre à Rome, à l’empereur donc, était se soumettre à la volonté du Père. C’est pourquoi Saint Pierre, le premier des Papes dira aux fidèles : « Soyez soumis au nom du Seigneur, à celui qui possède l’autorité du pouvoir, au roi et au gouverneur ».
Les hommes étant ce qu’ils sont, Saint Paul élargira la pensée de St Pierre dans son Épître aux Romains (13 : 1-5) : « Que toute chose soit soumise aux autorités supérieures ; car il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu, et les autorités qui existent ont été instituées de Dieu. Donc celui qui s’oppose à l’autorité résiste à l’ordre établi par Dieu…..il est donc nécessaire d’être soumis, non seulement par crainte de la punition, mais encore par motif de conscience ».
Plus de 2000 ans après, ce discours est-il si différent des prêches de certains de nos imams du vendredi ou lors de certaines cérémonies officielles ?
Quand St Paul écrit à Timothée (Tm 2 : 1-2) : « J’exhorte donc avant toute chose à faire des prières, des supplications, des requêtes pour les rois, pour tous ceux qui sont élevés en dignité. » Pouvez-vous, la main sur le cœur, affirmer ne jamais avoir entendu du St Paul dans nos mosquées ?
Progressivement, comme on le voit de nos jours entre Koulouba et Bagadadji, les clins d’œil du spirituel au temporel verra se renforcer la générosité et la complaisance des autorités politiques envers l’Église. Au fil du temps, va s’établir une complicité manifeste entre le champ religieux et le champ politique. En retour des largesses des Princes, le clergé leur devait amour, obéissance et prières. Cette liaison fatale ne peut se faire qu’en l’encontre du Juste des justes et aussi des simples croyants et des citoyens tout court.
De cette collision naîtra les justifications de l’esclavage, de la colonisation, de la féodalité….bref tout ce qui concourt à la domination et à l’asservissement. Le partage de ces deux pouvoirs n’était qu’en apparence, en réalité ils étaient inextricablement liés.
À l’an VIII, précisément le 25 Décembre, le Pape Léon III couronne Charlemagne comme empereur. Depuis ce sacre, le roi des Francs dispose de pouvoirs extraordinaires. Il est à la fois détenteur du pouvoir politique et du pouvoir spirituel en tout cas officiellement. Mais dans la pénombre, loin de ce décor, l’autorité suprême revient au Pape. Il peut juger et déposer l’empereur. Henri II, Henri IV, Louis VII….qui se sont essayés à contester les souverains pontifes en ont payés de leur frais. L’excommunication était la pire des sentences et seuls les papes avaient ce pouvoir.
En un mot comme en quatre, la puissance de l’Église faisait peur à tout le monde. Elle amassa des fortunes incommensurables. Le pouvoir absolu corrompt absolument, les abus de l’Église laisseront des séquelles marquantes qui finiront par susciter des prises de conscience et un sentiment anti religieux qui aboutiront à une révolte généralisée en Europe. La suite on la connaît.
Pour conclure sur la partie histoire de ce papier, disons que les causes qui feront pétrir l’idéologie de la laïcité sont : La manipulation ou l’incompréhension de la parole de Jésus ; les abus causés par le Clergé ; Son zèle dans le support des autorités administratives et politiques ; l’atteinte portée a l’image de Dieu ; la privation des droits et libertés du peuple.
Au Mali, certains « hommes de Dieu » semblent justifier cet adage qui voudrait que l’histoire ne se répète jamais mais, que ce sont les hommes qui la font qui n’arrivent à se refaire. Saint Pierre, Saint Paul, Timothée….etc. sont incarnés dans des imams et des guides religieux qui, si l’on n’en avise pas, feront à la Mosquée ce que le clergé fut jadis à l’Église..
C’est juste, l’histoire de l’islam n’est pas similaire à celle de la chrétienté ni même la nature du Coran à celle de la Bible certes, mais les mêmes causes produisent les mêmes effets .Ce sont des religieux qui ont pervertis le message biblique c’est encore des religieux qui pervertissent le message coranique et la sunna du prophète Mohamed (PSL). Or, si nous devons rester dans l’application de l’islam, la laïcité telle que promue aujourd’hui n’a pas son utilité. L’islam n’est pas une théocratie. Les théocraties étaient basées sur un principe de droit divin au nom duquel les monarques exerçaient un pouvoir sans borne. Ils étaient comme des vice-gérants de Dieu et détenaient sur eux TOUT le pouvoir. L’islam lui s’inspire du modèle du prophète (psl) qui exclut toute forme de pouvoir totalitaire, monarchique ou théocratique. Le système islamique a pour socle les principes de la consultation (Choura), de l’élection au suffrage (Baia), des dispositions légales venant du Coran et du hadith (Charia) du consensus (Ijma) et de la doctrine (Ijtihad). Vous voyez bien qu’il est décentralisé et la séparation des pouvoirs est notablement perceptible afin que les mécanismes de la Choura fonctionne détaché de toute influence politique ou autre.
Tout ceci ne sert à rien dès que des hommes sont guidés par la passion et la volonté de régner sur leurs semblables. Comme dans Rome de César, le Mali de ces « hommes de Dieu » crée l’atmosphère propice à un lot de plus en plus important de jeunes, de laissés pour compte…etc. Questionner les hommes des pouvoirs (Mosquée et Palais).
Mais, que s’est-il passé dans ce Mali qui fut rayonner l’Islam depuis Kankou Moussa, aux saints de Tombouctou jusqu’aux Cheicks Issa Haïdara et Hamahoullah de Kolokani et de Nioro ? Noté que ces deux derniers Chérifs ne sont guère des usurpateurs de nom comme il en a cour aujourd’hui.
Oui ! Que s’est-il passé ?
Pendant que le monde entier se réfère à Ahmadou Hampaté Bah comme le sage de Bandiagara, lui disait ne connaître que Thierno Salif Bokar Tall comme le sage de cette localité. Et que dit le sage d’Hampathé ? Écoutons sa prophétie attentivement : « De tous les temps, ceux qui arriveront seront pires, pourquoi ? La vérité n’aura plus d’effet, le bien ne sera plus attirant et le mal ne sera plus repoussant, le mensonge n’aura plus de méfait… » N’a-t-il pas décrit le Mali du jour ? Les religieux, les politiques, les fonctionnaires, les enseignants….nommez-en s’il vous plait qui valent que ceux d’antan.
La citadelle Mali de l’islam des érudits tels : Mohamed Aly Ag Attaher de chez les Kel Antassares, Thierno Hadi Thiam, Moulaye Mehdi de Guiré, Karamoko Mandjou Sylla de Touba, Cheick Manguinè de Bôron, Abba de Tamani, Demba Wagué, Soumaïla Dramé, Moulaye Idriss de Banamba, d’Abdallahi Chouadou de Dili…etc. fut attaquée et démolie par ceux-là qui ont ouvert leur âme à des passions d’une autre espèce comme la soif de l’or et des honneurs.
Contrairement à certains de nos « hommes de Dieu » du moment qui ambitionnent le Mont Koulouba, le sommet du pouvoir des hommes de pouvoir, ces érudits qui bâtirent la réputation du Mali islamique ne visaient que les sommets du Mont Arafat ou Nabi Musa vint très proche de Son Seigneur. L’élévation vers le Très Haut ne s’aurait s’accomplir en planant sur le luxe et le lucre d’ici-bas. Quand on comprend ce qui motivait les premiers et ce qui motive ceux de notre temps, ce qui s’est passé ne se dessine-t-il pas aisément devant nous ?
Aujourd’hui, savez-vous combien de nos « guides » ont maille à pâtir avec les tribunaux ? Combien abusent des biens matériel et physique de leurs fidèles ? Connaissez-vous véritablement leur identité réelle ? Leur probité et leur background ?
Les masses ne se soucient guère de tout cela dès qu’elles entendent des discours qui les bifurquent de leurs soucis quotidiens. Ces prédicateurs, comme des psychologues, connaissent bien les mentalités des gens de chez nous. Le clergé n’existe pas formellement dans l’islam mais, de pratique actuelle Eh bien, il se dissimule derrière le H.C.I.M. (Haut Conseil Islamique du Mali) sensé fédérer toutes les associations islamiques du Mali. Au plus fort de la crise et même pendant les attaques du RADISSON HOTEL, n’avez-vous pas entendu des « alims » et des « hafiz » justifier la barbarie des criminels par la vengeance de Dieu ? Avant l’intervention française, qui pour nous était une orchestration de la France, n’y avait-il pas des supports tacites pour les égorgeurs, violeurs et coupeurs de bras ? Il y a parmi eux des adeptes des thèses de Boko Haram, d’Al Qaida, du MUJAO….etc. Avez-vous entendu un homme politique les recadrer ou s’en désolidariser ?
Faillite de la politique
Le politique malien a failli à telle enseigne que certains religieux se pensent investis à jouer les premiers rôles. Souvenez-vous de l’épisode du code de la famille. Rappelez-vous des injonctions du politique dans l’élection de leaders à la tête du Haut Conseil Islamique. C’est à juste titre que le talentueux dramaturge Alioune Ifra Ndiaye ironisait : « Il y a trente ans le pouvoir se prenait par les armes, il y a dix ans par l’argent et aujourd’hui par la religion. » Le mouvement SABATI 2012 qui n’est pas très éloigné du HCI n’avait-elle pas lancé un mot d’ordre de vote dans des mosquées à voter pour le candidat I.B.K ? Des imams sont impliqués dans des négoces, dans des nominations…etc. La force que prend le pouvoir spirituel au Mali effraie beaucoup. Le candidat malheureux de 2013 ne manquera pas de le souligner en ces termes : « Nous sommes tous musulmans dans ce pays. Nous avons vu ce qui s’est passé au Mali sous le prétexte de la religion, l’intégrisme nous a mis dans une situation dramatique. Il ne faut pas tirer sur cette corde extrêmement dangereuse.» l’avertissement était de Soumaïla Cissé.
On peut entrer en politique pour différentes raisons. Des raisons religieuses peuvent nous conduire en politique, on peut y être guidé pour des raisons esthétiques, on y peut pour des raisons pécuniaires mais, dès qu’on y entre, on ne peut plus faire de la politique ni pour la religion, ni pour l’esthétique ni pour de l’argent on fait de la POLITIQUE point barre.
L’homme sans conscience politique, de quelque continent, ethnie, couleur ou religion qu’il soit est une bête féroce pour ses semblables. Ainsi, nos « hommes de Dieu », comme tout malien peuvent entrer dans le jeu à condition de faire de la politique dans son acception le plus noble. Seulement contrairement à Rome, il ne faut pas utiliser l’opium du peuple pour l’enivrer.
Il y en a qui nomment leurs suiveurs « les ignorants » ? En effet, beaucoup le sont. Ignorants au point de réduire l’islam à des sectes, à des querelles de personnes…. Ignorants jusqu’à déduire qu’être fortuné, puissant et ami du palais c’est être un élu d’Allah. Ces suiveurs fanatisés par des leaders non moins extrémistes sont prêts à l’ultime sacrifice non au nom de l’Islam mais, au nom de ceux-là qui usent la religion de la Paix pour leur guerre. Le fanatisme est un monstre sans cœur, sans yeux, sans oreille qui ose se dire le fils de la religion.
Lorsque l’on s’est tu pendant longtemps la parole devient dangereuse quand on la prend pour tout dire. Un phénomène est entrain de militer dans le sens de ceux qui ne cessent d’avertir de la dangerosité de l’imbrication des rôles des religieux et des politiques. Une certaine jeunesse, de plus en plus radicalisée à dénoncer la corruption et d’autres travers de la société a fini par lever des tabous. L’attaque frontale des « deux pouvoirs ». Les bornes ont sauté et il faut en craindre. Des mots d’ordre et des consignes sont donnés aux fins de défendre, pas la religion mais, des leaders religieux en réalité. Le sang doit couler, disent-ils, si nos leaders sont dénoncés. Nous ne permettrons pas que nos « dignitaires religieux » soient trainés dans la boue….etc. C’est bien vrai que tout n’est pas de dire la vérité mais comment, à qui et où la dire sont aussi primordial. À ces jeunes, nous saluons leur courage mais déplorons la méthode. Ultimement, c’est l’échec des hommes politiques et des religieux qui ont conçu le lit d’une société en perdition, une société sans boussole et sans gouvernail. Le sentiment anti religieux n’y est pas encore mais, le sentiment anti « clérical » est à fleur de peau.
Le Mali est-il sur la voie d’innover une laïcité à la malienne par la faute de leaders qui n’ont pas saisi minutieusement la part de responsabilité que fut l’interprétation erronée des livres saints et des saints hommes par des hommes ordinaires pour un simple pouvoir ?.
Sambou Sissoko
Source: Le Démocrate