Chekole Menberu, 27 ans, avait de grands espoirs lorsqu’il a obtenu son diplôme d’ingénieur chimiste, il y a deux ans, en Éthiopie.
C’était un moment à savourer, compte tenu des années de labeur et des difficultés qu’il avait traversées pour arriver à ce moment.
Pendant des années, il avait ciré des chaussures dans les rues pour pouvoir financer ses études.
Dès son plus jeune âge, M. Chekole a dû chercher du travail dans les rues.
Son père est mort alors qu’il était encore jeune et il s’était installé chez ses grands-parents à Fogera, dans la région d’Amhara.
Sa mère s’est remariée.
‘Je n’ai pas arrêté de me battre pour aller à l’école’
Il voulait vraiment aller à l’école mais ses grands-parents ne pouvaient pas se permettre les frais de scolarité et autres dépenses.
Il s’est donc rendu chez son oncle et a commencé à travailler comme berger.
Mais il continuait à espérer que ses grands-parents l’aideraient.
“J’ai continué à harceler mes grands-parents pour qu’ils m’envoient à l’école “, a-t-il déclaré à la BBC.
Finalement, son grand-père a accepté sa demande et l’a fait inscrire à une école primaire dans une ville appelée Woreta.
Mais l’aide de son grand-père a été interrompue lorsqu’il était en deuxième année de l’école.
“J’ai dû déménager et trouver un moyen de m’aider moi-même”, dit-il.
Avec l’aide d’un ami cireur de chaussures, il a commencé à nettoyer des chaussures.
De la troisième année jusqu’à son inscription à l’université, il a subvenu à ses besoins avec l’argent qu’il gagnait en nettoyant des chaussures après l’école.
“Je pensais que le nettoyage de chaussures était un travail qui m’aiderait. Je passais une demi-journée à travailler, et l’autre moitié à étudier”, dit-il.
“La vie était dure. Mais j’étais encouragé par les histoires de gens qui pensaient comme moi, et qui sont devenus médecins et ingénieurs,” témoigne-t-il.
‘J’étais très désespéré’
Chaque année scolaire lui apportait du stress car il devait acheter un uniforme scolaire, qu’il pouvait à peine se permettre.
“L’éducation m’a coûté cher”, dit-il.
” J’ai eu beaucoup de moments difficiles, mais je n’oublierai jamais à quel point j’étais désespéré les années où je suis passé en 8e et 10e année et l’année où je suis entré à l’université,” se rappelle-t-il.
Malgré toutes les difficultés qu’il a rencontrées, il a réussi à rejoindre en 2013 l’Université de Bahir Dar, dans la capitale de l’État d’Amhara, où il a étudié le génie chimique.
“Il y avait une rumeur selon laquelle le pays a besoin de nombreux ingénieurs dans les industries, et c’est pourquoi j’ai décidé d’étudier l’ingénierie. J’espérais être embauché dès que j’aurais obtenu mon diplôme”, dit-il.
Son séjour de cinq ans à l’université n’a pas été aussi difficile qu’auparavant. Avec une lettre de sa ville natale indiquant qu’il n’avait personne pour le soutenir, l’université lui payait désormais 200 birr (environ 10 $ ; 5.865 FCFA) par mois.
“Je recevais souvent l’aide de mes amis et de mes camarades de dortoir sur le campus. Mais à l’approche du jour de ma remise de diplôme, mon anxiété augmentait en pensant à ce que j’allais faire après avoir obtenu mon diplôme.
“J’avais peur d’être au chômage”, dit-il.
‘Je n’ai pas eu de chance’
En 2017, M. Chekole a obtenu une Licence en génie chimique et sa tâche immédiate a été de trouver un emploi.
Mais il n’a pas encore réussi.
“J’ai passé trois mois à chercher un emploi à Addis-Abeba [la capitale éthiopienne]. J’ai marché d’un parc industriel à l’autre dans la ville à la recherche d’un emploi, mais je n’ai pas eu de chance,” raconte-t-il.
Il s’est rendu dans différentes villes, même jusqu’à Woldia, à environ 520 km au nord d’Addis-Abeba, à la recherche d’un emploi.
“J’ai même postulé pour des emplois n’exigeant pas de diplôme. Mais ma candidature a été rejetée à plusieurs reprises par des employeurs qui pensent que je pourrais demander une promotion,” explique-t-il.
Il a commencé à travailler dans une usine pour 29 birr (1$; 585 FCFA) par jour, mais il est vite parti parce que ce n’était pas suffisant pour survivre.
Il est loin d’être seul.
Malgré les récents progrès économiques de l’Ethiopie, environ un quart des jeunes (âgés de 15 à 29 ans) des zones urbaines étaient au chômage en 2018, contre 22% en 2016, selon l’Agence centrale des statistiques du pays.
M. Chekole s’est donc joint à d’autres diplômés sans emploi pour demander de l’aide à l’État.
Mais le gouvernement a déclaré qu’il n’y avait pas de fonds pour les diplômés en génie chimique.
Retour à l’université
Après des mois de recherche et sans rien à montrer pour son éducation, il est retourné à Bahir Dar – à l’emploi qu’il ne pensait jamais retrouver.
“Quand je n’ai plus eu le choix, j’ai décidé de retourner cirer des chaussures,” dit-il.
Quant à savoir s’il regrette d’être allé à l’école, il dit qu’il ne serait pas aussi en colère s’il n’avait pas été éduqué.
“Cette éducation m’a beaucoup coûté, et je n’en ai pas tiré de récompense”, dit-il.
“Je n’aurais pas sacrifié autant pour cela,” confesse-t-il.
M. Chekole se plaint que le gouvernement éthiopien se concentre beaucoup sur les questions de politique et de sécurité, plutôt que de créer des emplois pour les chômeurs.
“Mes professeurs qui me connaissent depuis l’université sont choqués et se détournent. Mais certains d’entre eux m’encouragent et me donnent de l’argent,” raconte-t-il.
“Mes amis du campus viennent souvent faire cirer leurs chaussures même quand elles sont propres, juste pour me donner un peu d’argent,” témoigne-t-il.
Il espère, malgré tout, qu’il trouvera un emploi convenable.
“Je vais toujours aux panneaux d’affichage où les emplois sont souvent annoncés”, dit-il.
BBC