Ils sont accusés d’avoir extorqué des sommes d’argent à des personnes poursuivies par les tribunaux de leur ressort, à Mopti et en Commune II du District de Bamako.
Le fait est rarissime : 5 magistrats et un clerc d’huissier sont placés sous mandat de dépôt ! Ils ont été incarcérés par le bureau du procureur de la République près la Cour suprême. L’affaire va sans doute défrayer la chronique bamakoise et même nationale dans les jours et semaines à venir, tant elle sort de l’ordinaire. Il faute dire que la pratique de l’impunité qui s’est installée dans notre pays depuis des années avait finir par faire oublier au commun des mortels que le magistrat est lui-même un justiciable.
Les hommes de droit qui séjournent en prison depuis lundi sont : le procureur du tribunal de la Commune II, Abdoulaye Kamaté, le juge d’instruction du tribunal de Mopti, Adama Zié Diarra, le procureur de Mopti, Ousseyni Salaha, et son substitut, Oubey Doulla Mohomoudou, et le greffier du tribunal de Mopti, Ibrahima Kanté. A ceux-ci, il faut ajouter le clerc d’huissier de Mopti, Sékou Ballo.
Que reproche-t-on donc à ces magistrats et au clerc d’huissier ? Ils sont tout simplement accusés d’avoir extorqué de l’argent à des personnes interpellées par leur tribunal. Ce motif d’inculpation nous a été confirmé par le ministre de la Justice, Garde des sceaux, Mohamed Aly Bathily, rencontré hier dans ses bureaux. En attendant leur procès, les investigations se poursuivent pour déterminer la gravité des faits. Déjà un constat s’impose : l’appareil judiciaire comme les autres domaines n’est pas épargné par le fléau de la corruption. Ici aussi, le ver est dans le fruit.
La publication récente des bulletins de la Casca (Cellule d’appui aux structures de contrôle de l’administration) et du rapport annuel du Bureau du Vérificateur général (réf l’Essor du 27 novembre) montre combien la corruption et la mauvaise gestion des affaires publiques affectent le développement de notre pays.
Selon le ministre de la Justice, pour ces arrestations, il ne s’est pas agi d’une entreprise propre du gouvernement de déclencher des enquêtes sur les magistrats. Il s’agit plutôt d’un cas spécifique. « Nous avons été saisis par des justiciables de faits qui étaient incompatibles avec l’éthique du magistrat. C’est donc donnant suite à des plaintes de personnes physiques que des inspections furent menées pour confirmer la teneur des lettres » adressées au département, explique Mohamed Aly Bathily. Il évoque, en même temps, la notion de « la présomption d’innocence » pour les magistrats mis en examen.
Selon le dossier d’accusation, le procureur de la Commune II aurait été mal inspiré au cours d’une procédure de réclamer et d’encaisser une forte somme d’argent à des justiciables. C’est pourquoi la charge retenue contre lui et ses autres camarades est la « concussion » et le « faux et usage de faux ». Les juristes le savent, ce chef d’accusation désigne ici toute action d’exiger de l’argent frauduleusement dans une procédure judiciaire.
Pour dire les choses comme elles sont, les magistrats auraient réclamé de l’argent à des justiciables à Mopti et à Bamako. Selon le ministre, cet argent aurait même été empoché par les hommes de droit. Observant le principe du secret de l’instruction, le ministre n’a pas souhaité donner des détails sur les faits qui leur sont reprochés.
Il a tout de même précisé que les sommes évoquées dépassent largement les 50 000 Fcfa. Dans pareil cas, le code pénal prévoit en son article 108 des sanctions allant de 5 à 20 ans de réclusion. Le jugement passe directement en cour d’assises parce qu’il s’agira bien « d’un acte criminel ». Des sources non officielles assurent que les sommes empochés se chiffrent à des millions de Fcfa.
Au-delà de ces interpellations, le ministre Bathily voit en cette action une volonté inébranlable des nouvelles autorités de mettre de l’ordre dans la grande famille de la justice. « Lorsqu’on parle de réhabilitation de la justice, il faut faire en sorte que tout le monde soit sous la même bannière », a professé le ministre de la Justice ajoutant que « les privilèges accordés aux magistrats ne doivent pas les éloigner de l’éthique de la profession ».
« Si un citoyen nous saisit, c’est qu’il y a un problème, poursuit-il. Dans ces cas-là, ils ont donné de l’argent pour éventuellement éviter la prison. C’est croire que la procédure n’a pas continué. Cela n’est pas du tout normal ». Et le Garde des sceaux d’assurer que la justice fera son devoir même s’il s’agit de magistrats.
« Ce n’est pas un verbiage politique de dire qu’il faut une justice équitable pour tous, insiste le garde des sceaux. C’est un principe fondamental pour la justice. Les juges ne doivent pas se servir de leur fonction pour violer la loi », martèle Mohamed Aly Bathily en prévenant que « chaque fois que les faits sont assez graves, nous n’hésiterons pas » à sévir pour qu’enfin « la justice renaisse de ses cendres ».
A. M. CISSE
SOURCE: L’Essor