Le silence du secrétaire général de l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM), Yacouba Katilé, face à l’interdiction de se rassembler à la Bourse du travail est un manque de reconnaissance à ses prédécesseurs qui ont lutté pour cette liberté démocratique au plus fort de l’insurrection de 1991. Symbole emblématique de la lutte syndicale et démocratique de notre pays, la Bourse du travail et son Esplanade sont sacrées.
Pour Modibo Kadjoké, c’est totalement inadmissible. “Nous comprenons aujourd’hui que Moussa Traoré est effectivement républicain que ceux qui nous gouvernent comme l’avait dit Ibrahim Boubacar Kéita lors de son investiture au Centre international de conférence de Bamako en 2013. En tout cas, il semble l’être plus que beaucoup d’entre nous soi-disant acteurs du 26 mars. Le président Moussa Traoré, au fort de l’insurrection de 1991, bien que son régime fût vacillant, n’a pas osé toucher à ce symbole emblématique de la lutte syndicale et démocratique de notre pays qu’est la Bourse du travail”, témoigne-t-il. Toute interdiction de manifester devant ce symbole est une démocratie déguisée en dictature, ajoute-t-il.
UNTM : Pionnière de la lutte d’indépendance et de la démocratie
Mieux, les archives de la lutte syndicale indiquent clairement le rôle qu’a joué l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM) dans l’avènement de l’indépendance au Mali et dans la vie politique. L’UNTM, créée officiellement en 1963 avec comme premier secrétaire général Mamadou Famady Sissoko, était l’un des organes constitutifs du parti-Etat, l’US-RDA.
Syndicat unique, l’UNTM a vite épousé les idéaux du socialisme.
Certains diront qu’elle a été une école du socialisme à l’égard de la ligne idéologique du parti. L’UNTM, à l’époque, était considérée comme l’aile gauche de l’US-RDA, plus proche des idéaux de Modibo Kéita qui, à son tour, avait une préférence pour elle. Elle fera front contre l’aile droite, partisane d’une économie libérale et qui va mener des campagnes subversives contre le régime en place.
Restant sur sa position, l’UNTM, aidée par la jeunesse RDA (JUS-RDA) va déclencher le 22 août 1967, des manifestations contre les fossoyeurs de l’économie. Les syndicalistes demandaient un assainissement des structures économiques de l’Etat et une épuration politique. Ces soulèvements ont eu comme conséquence la dissolution des municipalités dont la gestion était contestée. “L’opération Taxi” et “l’opération Villa” ont été déclenchées par le Conseil national des jeunes.
La centrale syndicale qui a pendant des années accompagné les premiers pas de l’Union démocratique du peuple malien (UDPM) sous la IIe République, s’est retrouvée du côté du Mouvement démocratique pour renverser le régime dictatorial du général Moussa Traoré en 1991.
Bakary Karambé, son secrétaire général de l’époque, qui avait succédé à Seydou Diallo qui avait lui aussi pris le fauteuil de Mamadou Famady Sissoko, a tenu haut le flambeau de l’UNTM. Une fière chandelle a été dressée à Bakary Karambé par la centrale syndicale ghanéenne, qui l’a élevé en 1994 au rang d’”Empereur du syndicalisme africain”.
C’est dire qu’on ne peut écrire l’histoire syndicale du Mali indépendant et démocratique sans évoquer l’UNTM et son secrétaire général Bakary Karambé qui a lui seul a fait trembler le pouvoir de GMT dans les années 1990. Et c’est encore lui, avec d’autres camarades qui ont craché la vérité à Moussa Traoré pour l’ouverture démocratique. Les mémoires sont encore fraîches des actes héroïques qu’il a posés.
On se rappelle, qu’à l’issue du conseil extraordinaire les 28 et 29 mai 1990 à la Bourse du travail, la centrale syndicale, sous la direction de M. Karambé, a demandé la révision générale de la Constitution et la “déconstitutionnalisation” du parti unique : Union démocratique du peuple malien (UDPM).
Malgré les menaces et autres intimidations du régime militaire de l’époque, le vieux Dogon Bakary Karambé a résisté. L’UNTM a demandé l’ouverture démocratique. Ce qui fera dire aux observateurs que le rôle de l’UNTM et de son secrétaire général a été déterminant dans le bouleversement politique de mars 1991.
Au lendemain du coup d’Etat, c’est-à-dire le 26 mars à 2 h du matin, il a été parmi l’un des premiers responsables informés par le lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré qui venait de prendre le pouvoir à la tête d’une junte militaire. “Déjà à 2 h 30, lui et Me Demba étaient dans le bureau d’ATT. Ce dernier leur a demandé d’user de toute leur influence pour que l’ordre revienne dans le pays”, selon les archives.
Yacouba Katilé, le marchand des martyrs ?
Le syndicaliste manque de courage pour dire non comme tous ceux qui l’ont fait savoir. “C’est totalement aberrant aujourd’hui que 28 ans après cette lutte de Bakary Karambé, ce symbole du pays soit hors du jeu démocratique alors que le pays est aux mains de certains de ceux qui ont combattu Moussa Traoré soi-disant pour la démocratie et la liberté d’expression. Yacouba Katilé manque l’occasion de rappeler qu’il est le fruit d’une lutte syndicale et démocratique. Son silence est complice et il perdra sa vocation”, s’insurge Chaka Doumbia, journaliste.
En tout cas, la CNDH et l’AMDH se sont déjà démarquées fustigeant l’arrêté du gouverneur. Dans un communiqué signé par son président, Malick Coulibaly, la Commission nationale des droits (CNDH) rappelle que la liberté de manifester pacifiquement sans troubler l’ordre public participe de l’exercice démocratique et constitue un droit fondamental des droits de l’Homme.
“La CNDH condamne toute violation du droit à la liberté de manifester et appelle le gouvernement à l’observance de ce droit constitutionnel”.
Bréhima Sogoba
L’Indicateur du Renouveau