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« il n’y a pas d’autre solution que de reconstruire l’armée malienne, sans se décourager, même si on a parfois l’impression d’arroser le sable», le sénateur français Christian Cambon.

COMPTES RENDUS DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ETRANGERES, DE LA DEFENSE ET DES FORCES ARMEES

Situation au Levant et au Moyen-Orient – Audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères (sera publié ultérieurement)

Le compte rendu sera publié ultérieurement.

La réunion est close à 18 h 30.

Mercredi 18 avril 2018

– Présidence de M. Christian Cambon, président –

La réunion est ouverte à 9 h 35.

Mission « Barkhane-G5 Sahel » – Communication

M. Christian Cambon, président. – Mes chers collègues, nous venons vous rendre compte de notre mission auprès de l’opération Barkhane, principale OPEX française, où 4 500 soldats français sont déployés, pour un coût de 600 millions d’euros par an. 21 soldats français ont laissé leur vie sur le sol malien depuis 2013, et je veux commencer par leur rendre hommage, comme nous l’avons fait à Bamako dans le jardin de l’ambassade de France, devant le monument où sont inscrits leurs noms, Depuis le premier, le lieutenant Damien Boiteux, du 4e RHFS, mort le 11 janvier 2013. Nous n’oublions pas non plus les blessés. J’ai visité l’hôpital de Gao et j’ai mesuré la gravité des blessures infligées par les engins explosifs : membres arrachés, amputations… Nous avons aussi une pensée pour notre compatriote, la septuagénaire Sophie Pétronin, détenue en otage depuis le 24 décembre 2016.

Nous nous sommes donc rendus, avec MM. Cigolotti et Poniatowski, au Niger et au Mali, du 12 au 15 mars ; je regrette la défection de notre collègue socialiste qui n’a finalement pu se joindre à nous.

Pourquoi cette mission ? On ne peut qu’être frappé à la fois des succès tactiques de Barkhane, qui sont réels : après une vaste opération le 14 février tuant plusieurs dizaines de grands chefs terroristes, une trentaine de terroristes a été tuée la semaine dernière ; succès en décalage total avec l’impasse politique dans laquelle semble embourbé l’accord de paix au Mali, à quelques mois des élections présidentielles qui doivent se tenir en juillet-août prochains.

Nous revenons avec un message assez clair et assez pessimiste : malgré les succès de nos forces armées sur le terrain, malgré une mobilisation sans équivalent de la communauté internationale, seule une solution politique malienne pourra stabiliser le Sahel. Barkhane est évidemment impuissante à faire surgir cette solution politique. Or, la mise en oeuvre des accords d’Alger de 2015 est au point mort et l’insécurité se propage vers le centre du pays. Je commencerai par évoquer Barkhane, puis Olivier Cigolotti parlera de la situation au Niger, et Ladislas Poniatowski évoquera la situation du Mali.

L’opération Barkhane a pris le 1er aout 2014 le relai de SERVAL, lancée en janvier 2013. Le Parlement n’a d’ailleurs pas été consulté sur cette « régionalisation » de SERVAL : notre commission a déjà dit dans un récent rapport sur les OPEX qu’elle regrettait que l’article 35 de la Constitution n’ait pas été plus rigoureusement appliqué.

Barkhane a une emprise régionale sur la bande sahélo-saharienne, à partir de trois bases principales :

– au Niger : Niamey est le point d’entrée central de l’opération, et accueille aussi les drones et un détachement aérien d’avions de chasse et de transport ;

– au Tchad : Ndjamena héberge l’état-major de l’opération, commandée par le général Bruno Guibert ;

– au Mali : le volet terrestre comprend environ un millier de militaires répartis entre différents détachements (à Kidal notamment) s’appuyant principalement sur la plate-forme opérationnelle-désert de Gao.

Les missions de Barkhane sont gigantesques : lutter contre le terrorisme dans un territoire grand comme l’Europe, faire émerger la force conjointe G5Sahel, soutenir les forces armées maliennes, soutenir la MINUSMA.

Barkhane cohabite au Mali avec : la MINUSMA, l’opération de maintien de la paix des Nations unies, (13 000 hommes, 1 Md$/an), EUTM-Mali, l’opération européenne de formation des forces armées maliennes, (600 personnels de 27 nations, 33 millions d’euros sur 2 ans), la force africaine conjointe G5 Sahel, qui mène des opérations 50 km de part et d’autre des frontières, et les armées nationales. Barkhane joue dans ce dispositif complexe un rôle central d’organisateur et de fédérateur.

Les moyens de Barkhane sont impressionnants (4 500 hommes, 21 hélicoptères, 370 blindés, 330 véhicules légers, 8 avions de chasse, 8 avions de transport, 5 drones, sur 14 sites, avec une « logistique d’archipel » dans un milieu très abrasif). Barkhane a su s’adapter suivant 5 axes pour accroître son effet : plus d’agilité, plus de liberté de manoeuvre, du renseignement utilisé en boucle plus courte, occuper plus longtemps le terrain, promouvoir le développement dans une approche globale, en apportant des services à la population : puits, ponts, kits pour les écoles…

Nous avons recensé les besoins en équipement de Barkhane en vue de la LPM : ils portent essentiellement sur : les liaisons en vol pour les hélicoptères Tigre, les hélicoptères lourds, les véhicules de type quad/pick up pour la mobilité, les IMSI Catcher pour l’écoute des GSM, la biométrie, la capacité « drones ».

Le potentiel militaire des groupes terroristes est désormais réduit, grâce à un effort très soutenu du renseignement. Ils n’ont plus de sanctuaire. Mais l’insécurité s’est propagée dans le centre. Au nord du pays, des attaques ont lieu sur les postes éloignés de la MINUSMA, qui paye un tribut lourd en blessés et tués.

Si l’emprise de Barkhane s’étend sur plusieurs pays, l’épicentre des opérations est au Mali. Sabre, les forces spéciales, basées à Ouagadougou, agissent essentiellement dans le Nord par opérations « coup de poing » sur du renseignement, parfois avec l’appui de Barkhane, qui se concentre sur la boucle du Niger élargie : de Menaka à Gao, notamment le long des « routes » nationales 17 et 20. Les opérations « Koufra », Koufra 1, Koufra 2, Koufra 3, s’enchaînent et inscrivent la présence de Barkhane sur le terrain dans la durée. Une opération Koufra c’est, pendant 4 semaines sur le terrain, 160 véhicules en colonne sur 10 km, 700 hommes, des hélicoptères, une couverture aérienne…

En ce moment, Koufra 3 frappe dans la zone de l’EIGS, l’Etat Islamique Du Grand Sahara, affilié à Daech, qui avait monté l’embuscade de Tongo -Tongo où 4 soldats américains sont morts en octobre 2017. Les conditions climatiques extrêmes et le terrain hostile mettent les équipements et les hommes à rude épreuve.

Les forces armées maliennes sont systématiquement associées à ces opérations. Le but est de leur permettre de s’autonomiser, de monter en puissance, pour mener à bien, progressivement, leurs propres opérations.

En ce qui concerne la participation européenne, elle s’est améliorée puisque les Allemands ont un contingent de plus de 800 soldats dans la MINUSMA, co-localisés avec nos troupes à Gao, où sont aussi présents les Pays-Bas, un détachement de l’armée de l’air allemande opère à Niamey deux Transall et une unité médicale ; 23 états-membres participent à la mission de formation des forces armées maliennes, EUTM Mali, commandée par un Espagnol. L’Italie s’implante au Niger. L’Union européenne soutient financièrement la force G5 Sahel. Trois hélicoptères lourds Chinook britanniques sont attendus prochainement à Gao. De manière générale, il y a une prise de conscience que la stabilité du Sahel n’est pas une « marotte française ». J’ai échangé hier avec le Premier ministre canadien, M. Justin Trudeau : le Canada va fournir un effort important pour la MINUSMA.

L’Union européenne s’est en effet mobilisée depuis 2013 pour reconstruire une armée malienne qui s’est littéralement débandée face aux terroristes. L’opération EUTM Mali dispense formation et conseil afin de contribuer à la restauration des Forces Armées Maliennes (FAMa). La France n’y participe qu’au sein du pôle « Conseil » (avec 12 personnes). La mission est dans son 3e mandat, élargissant sa zone de travail jusqu’à Gao et Tombouctou avec un nouveau mode d’action décentralisé au niveau des régions militaires. Un 4emandat sera défini en mai 2018.

Le pôle « Formation » de Koulikoro a entraîné 8 bataillons maliens, soit 12 000 hommes, afin de permettre leur engagement opérationnel. Différents cours sont assurés sur l’autorité et l’exemplarité, le respect du droit humanitaire, et surtout la formation de formateurs, pour aider à l’autonomisation des militaires maliens. La mission européenne souffre de plusieurs handicaps :

– l’insuffisance en nombre de francophones impose le recours aux traducteurs, qui ne facilitent pas la meilleure compréhension entre tous les acteurs, mais EUTM a appris à « faire avec » ;

– EUTM n’a pas de partenariat avec les écoles de sous-officiers, qui sont le maillon faible de l’armée malienne et un élément tout à fait central de la reconstruction de l’armée : apprendre aux Maliens à faire une LPM c’est bien, former leurs sous-officiers, ce serait mieux !

– Surtout, alors que 70 % de l’armée de Terre malienne est passée par EUTM, les Maliens n’assurent aucun suivi des formés, et éparpillent les stagiaires au lieu de les projeter en unités constituées, alors même que les stages de 5 semaines de formation ont créé le minimum de cohésion qui fait si cruellement défaut à leurs unités.

EUTM a besoin de notre soutien : il n’y a pas d’autre solution que de reconstruire l’armée malienne, sans se décourager, même si on a parfois l’impression d’arroser le sable.

Il en va de même de la MINUSMA, qui n’a évidemment pas l’efficacité de Barkhane. Elle n’est pas vécue au Mali comme essentielle pour assurer la sécurité et concourir à la paix. Prenons garde au « MINUSMA bashing », complaisamment véhiculé par les Maliens, à l’heure où le Conseil de sécurité de l’ONU fait une revue stratégique de cette opération de maintien de la paix, et qu’il va falloir demander aux membres de l’ONU de payer la facture -1Md de dollars par an, dont la France ne paie que 6 % environ !-. La revue stratégique conduite fera ses recommandations en mai, pour un renouvellement du mandat en juin.

Je rappelle combien la France s’est battue pour obtenir le déploiement de la MINUSMA, Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali, en 2013. Son mandat comporte une dimension militaire mais aussi civile, centrée sur l’appui à la mise en oeuvre du processus de paix.

BARKHANE est très claire : nous avons besoin de la MINUSMA. Tout retrait au Nord, aujourd’hui occupé par la MINUSMA, s’assimilerait à un succès idéologique et de territoire pour les groupes terroristes et leur permettrait de se renforcer au Centre (car les donneurs d’ordre sont principalement localisés au nord et coordonnent les éléments présents dans le Macina).

Savez-vous aujourd’hui quel est le seul moyen de rallier Kidal depuis Bamako ? « Air MINUSMA » !!! De plus, la MINUSMA est déployée non seulement au Nord (Kidal, Tessalit, Aguelhoc), à l’Est (Gao, Ménaka, Ansongo) mais surtout au Centre (Tombouctou, Mopti, Sévaré), où ne va pas Barkhane.

S’agissant du processus politique, la MINUSMA est chargée de la mise en oeuvre du processus de paix et de la bonne tenue des élections. Rôle que ne peut évidemment tenir Barkhane.

Les contingents de la MINUSMA comprennent des éléments venus du Niger, du Burkina Faso, du Sénégal et du Bangladesh, les éléments logistiques étant assurés essentiellement par le Togo, la Chine et le Nigéria. Nous avons fait le point avec les chefs de la MINUSMA et notamment le Général belge Deconinck, Commandant de la Force. Ils ne nous ont pas caché que MINUSMA manque de ressources, puisque son plafond de 13 000 hommes n’est pas atteint, et que, chaque contingent apportant son matériel, il manque 200 véhicules, des drones, des hélicoptères… La MINUSMA est insuffisamment protégée, en particulier contre les engins explosifs, d’où un effort pour réduire son empreinte logistique et sa vulnérabilité. Son auto-protection consomme trop de ses ressources.

A notre avis, la revue stratégique en cours doit permettre de la consolider.

Je rappelle que le mandat renforcé de la MINUSMA est le plus « robuste » des opérations de maintien de la paix, au rebours de la culture « casques bleus » de l’ONU, avec une mission ambitieuse de « prévenir et contrer » les menaces asymétriques. La MINUSMA déplore plus de 150 morts depuis son lancement, dont 9 depuis janvier 2018.

Évidemment, la MINUSMA a des défauts :

· elle ne protège pas assez les populations civiles ; reste confinée dans ses bases ;

· ses contingents sont inégaux : les contingents africains, qui sortent le plus, sont insuffisamment préparés, formés et équipés ; ses contingents européens, les mieux équipés, ont parfois des restrictions d’emploi nationales qui les limitent ;

· elle manque de capacités de renseignement. Pour autant, nous en avons besoin.

M. Olivier Cigolotti. – Le Niger est souvent présenté comme le « petit frère » du Mali, dont il partage les difficultés : explosion démographique, pauvreté, trafics, impact du dérèglement climatique, diversité ethnique. Avec une difficulté particulière liée au trafic de migrants depuis la corne de l’Afrique et l’Afrique sub-saharienne et vers la Libye. Pourtant, son action résolue pour la sécurité (il y consacre 17 % de son budget) et pour la lutte contre les migrations, l’intégration plus réussie des populations du Nord contraste avec la situation au Mali. Le Niger a connu à partir des années 90 les mêmes rébellions Touareg que le Mali, qu’il a beaucoup mieux gérées. Le brassage volontariste, mené dès l’indépendance, a porté ses fruits. Depuis l’arrivée au pouvoir du Président Issoufou, le Premier ministre, que nous avons rencontré, est touareg (Brigi Rafini). Les revendications du Nord ont été calmées par un accord de paix en 2008 qui a mis fin à la rébellion de 2007.

Le Niger est écartelé entre plusieurs fronts terroristes, celui de la zone des trois frontières (Mali, Burkina Faso, Niger) contre lequel lutte Barkhane, et le front de Boko Haram, à Diffa, près du lac Tchad, où la situation humanitaire est catastrophique.

Le Niger est, avec le Tchad, un des meilleurs alliés de la France dans la région sur le plan de la sécurité. Il s’est engagé en faveur du règlement de plusieurs crises, avec l’envoi de casques bleus en Côte d’Ivoire de 2004 à 2015, puis en Centrafrique et en Haïti. Au Mali, il déploie aujourd’hui près de 900 casques bleus et participe au comité de suivi de l’accord d’Alger.

Niamey est vraiment moteur dans l’émergence de solutions de sécurité régionales. Il a cofondé la force multinationale mixte, la FMM, contre Boko Haram avec le Tchad, le Nigéria et le Cameroun. Il a été moteur dans le lancement du G5 Sahel.

Nous nous sommes entretenus avec plusieurs ministres et avec le Premier Ministre, qui nous a fait part de la reconnaissance du Niger envers la France pour son appui. Nous avons mesuré la profondeur de notre relation stratégique : je cite le Premier Ministre du Niger « on se comprend », « vos soldats sont admirables ».

On ne peut donc se féliciter que, malgré ses maigres moyens, le Niger ait pris la présidence de la force conjointe du G5 Sahel.

Créée en février 2014, la force conjointe G5 Sahel est une force transfrontalière, rassemblant le Niger, le Tchad, la Mauritanie, le Mali et le Burkina Faso, qui prévoit d’abord une force frontalière à terme d’un bataillon par État. Le principe est de pouvoir entrer sur 50 km à l’intérieur du pays voisin, le long de trois fuseaux : fuseau centre, fuseau est, fuseau ouest. C’est le fuseau centre qui est le plus actif et nous avons visité son PC à Niamey qui nous a fait bonne impression.

Le « fuseau centre », c’est une zone de deux fois 50 km le long des 1 800 km de frontière entre le Mali le Niger et le Burkina Faso, soit 180 000 km2. 650 soldats nigériens constitueront la force conjointe qui devrait atteindre sa pleine capacité sous peu.

Deux opérations ont déjà été conduites : HAW BI en octobre, PAGNALI en janvier, toutes deux avec le soutien de Barkhane.

Chacun sait la part très importante que la France a prise dans sa constitution, depuis 2015. D’abord en faisant adopter deux résolutions à l’ONU, en organisant sous présidence française du conseil de sécurité un débat sur ce sujet en présence de notre ministre, puis avec une réunion internationale 13 décembre à la Celle-Saint-Cloud, avec enfin un soutien à la conférence des donateurs à Bruxelles en février… C’est désormais une priorité franco-allemande, qui correspond pleinement à l’idée d’une prise en charge de leur sécurité par les Africains.

Les Etats-Unis, réticents, n’ont annoncé qu’un soutien annuel à hauteur de 60M$, car ils préfèrent agir au Niger en bilatéral, avec un exercice dit « Flintlock 2018 » actuellement en cours. Mais la force conjointe a pu obtenir le soutien de principe, sous la forme d’un appui logistique et opérationnel, de la MINUSMA.

Évidemment la Force Conjointe est un outil puissant pour l’avenir. Mais il ne faut pas non plus perdre de vue que le G5 s’appuie aujourd’hui sur des armées nationales parmi les plus faibles au monde. On ne peut pas en attendre des miracles dans l’immédiat.

Je souligne deux fragilités :

– la force conjointe est survalorisée sur le plan politique ; or elle mettra des années à atteindre une véritable efficacité opérationnelle ; si le Niger et le Tchad sont partants, la Mauritanie pour ne pas la citer est un frein réel ; il ne faut pas croire en France que c’est un « ticket de sortie » à court terme pour Barkhane ;

– son financement est assuré pour l’instant, à la suite de la conférence de février à Bruxelles qui a dégagé 410 millions d’euros de promesses de dons, mais sur une base seulement annuelle. Il lui reste à faire ses preuves sur le terrain, donc à faire des opérations, or aucune n’est planifiée à court terme.

Lors de nos entretiens politiques au Niger et au Mali, nous avons abordé la question de l’Algérie. Il suffit de regarder une carte pour comprendre que rien ne se règlera au Sahel sans l’Algérie. On ne peut pas concevoir la paix et la stabilité de cette immense région sans l’Algérie dont l’armée compte 3 000 000 d’hommes. L’Algérie qui a elle-même dû faire face, dans les années 1990, à la terreur islamiste : ce sont les « années de plomb », avec 100 000 morts. Elle a payé un lourd tribut au djihadisme. Sa frontière avec le Mali est longue de 1 200 km.

L’Algérie a joué un rôle positif quand elle a autorisé le survol de son territoire par des avions de guerre français, quand elle a livré de l’essence, quand elle a parrainé les accords d’Alger en 2015. Mais elle est aujourd’hui en arrière de la main, et c’est une préoccupation forte.

Pourtant pas plus l’Algérie que la France ne souhaitent que les troupes françaises s’éternisent dans la bande sahélo-saharienne. Il faut donc travailler à une collaboration plus active avec l’Algérie. Les chefs terroristes neutralisés le 14 février dernier étaient à 900 m de la frontière algérienne…

L’Algérie joue un rôle ambigu pour la mise en oeuvre de l’accord de paix dont elle est pourtant garante. Au-delà de la collaboration de façade sur le dossier malien, certains se demandent quel est son engagement réel pour le retour de la stabilité politique et la lutte contre le terrorisme.

M. Ladislas Poniatowski. – Presque trois ans après sa signature en août 2015, par le gouvernement malien et les « groupes armés signataires », la mise en oeuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation n’a pas avancé d’un pouce.

Dans cet accord de paix, les ex-rebelles renonçaient officiellement à leurs revendications d’indépendance du nord du Mali et un processus de désarmement -c’est essentiel !- était prévu. Des autorités intérimaires régionales et des Mécanismes opérationnels de Coordination (les « MOC ») devaient amorcer le retour de l’État malien dans le nord du pays. La décentralisation devait, en contrepartie, mieux prendre en compte les aspirations du Nord du pays.

Mais rien n’avance. Les armes sont toujours bel et bien là, les services publics et l’administration ne sont pas revenus ! Côté révision constitutionnelle, un projet a été finalement retiré. La « Conférence d’Entente nationale » n’a rien donné ; des « chronogrammes » et autres « feuilles de route » successifs ont été publiés, jamais respectés. Serviraient-ils d’alibi à l’inaction pour permettre de gagner du temps ?

La réforme de décentralisation suscite des crispations ; s’agissant de la démobilisation des combattants, le seul « MOC » actif, celui de Gao, a fait l’objet d’une attaque terroriste qui a cassé la dynamique ; or cette question est cruciale pour l’intégration des ex-combattants dans une « armée reconstituée » véritablement malienne.

Par ailleurs, l’Etat malien est encore absent d’une partie du nord du Mali, notamment à Kidal, malgré la visite récente très symbolique du Premier Ministre Maïga.

À Bamako, si le Président Keïta et le ministre des affaires étrangères ont défendu auprès de nous le processus de paix, le contexte des élections présidentielles n’est pas favorable.

De leur côté, les mouvements signataires ne nous ont pas donné non plus l’impression de vouloir jouer pleinement le jeu de l’accord de paix. C’est à se demander si les représentants de ces mouvements que nous avons rencontrés à Bamako ne donnent pas le change à la communauté internationale, tandis que dans le nord du Mali, les « affaires » continuent comme avant. Chacun connaît dans le nord du Mali le poids des trafics, de drogue en particulier.

Barkhane s’appuie sur du renseignement humain pour son action. Mais la frontière est parfois floue entre les terroristes et les autres…

Nous voyons bien le piège pour Barkhane à ce qu’on laisse s’enliser ce statu quo ! Que peut faire la France ?

L’Accord de paix reste la solution : il n’existe pas d’alternative à l’heure actuelle même si les acteurs n’ont pas l’air très engagés dans sa mise en oeuvre

La situation sécuritaire se dégrade rapidement dans le centre du Mali. En 2013, les terroristes étaient à Kona, à 400 km de Bamako, aujourd’hui ils sont à 100 km !

Suite à la pression mise sur eux par Barkhane dans le Nord du pays, les groupes terroristes ont changé de stratégie en tentant de s’enraciner dans de nouvelles zones (le centre et sud-est) où ils profitent de l’absence de l’État et des forces internationales et exploitent la pauvreté et les frustrations de la jeunesse : 50 % de la population malienne a moins de 16 ans et le pays est parmi les plus pauvres du monde.

Sous l’impulsion de Iyad Ag Ghali, les groupes terroristes du nord du Mali ont fusionné en mars 2017 au sein d’un nouveau « Rassemblement pour la victoire de l’islam et des musulmans (RVIM) ».

La situation sécuritaire est aujourd’hui très préoccupante dans le centre. Deux groupes terroristes, majoritairement composés de Peuls, y sont particulièrement actifs : la Katiba Macina d’Ansar Eddine et Ansar-ul-Islam, qui agit de part et d’autre de la frontière entre le Mali et le Burkina Faso. En deux ans, les attaques quasi-quotidiennes et meurtrières ont répandu un climat de terreur parmi les populations.

Les différentes tentatives de l’État pour reprendre pied dans cette zone considérée comme le « verrou vers Bamako » ont jusqu’ici été un échec et la situation menace de dégénérer. Face à cela, le gouvernement malien a lancé, en mars dernier, un programme de sécurisation des régions du centre du Mali alliant les aspects sécuritaires, de développement et de rétablissement de l’administration, et une opération militaire, l’opération DAMBE.

Il est difficile d’évaluer le résultat de cette action ; des soupçons d’exactions sur la communauté peule pèsent sur les forces armées maliennes. L’État malien a jusqu’à présent été incapable d’apporter les services publics à la population dans la région centre. Je suis tenté de dire que les opérations des forces armées peuvent même être contre-productives si elles aggravent la situation en renforçant la méfiance des populations envers les autorités.

Le tourisme faisait vivre le centre du Mali ; il s’est effondré. D’après l’UNICEF, 400 écoles ont été fermées dans le centre. Elles ne sont toujours pas réouvertes et la justice n’est pas rendue. Aucun dialogue politique entre les différentes communautés n’est à ce stade engagé. Dans ce contexte, la bonne tenue des élections présidentielles de juillet 2018 est un véritable défi.

D’une façon générale, le Mali, d’une superficie de deux fois celle de la France, avec 7 000 kilomètres de frontières avec sept pays, dispose des forces de sécurité limitées : 7 000 policiers (environ 140 000 en France) ; 5 000 gendarmes (environ 100 000 en France) et 5 000 gardes nationaux. Comment tenir l’ensemble du territoire ?

Notre commission l’a dit plusieurs fois : la clé de la stabilisation c’est le développement économique et social. Nous avons eu au Mali de nombreux entretiens avec les acteurs du développement.

Le Mali bénéficie d’une implication considérable des bailleurs internationaux. La Conférence de Bruxelles de mai 2013 avait prévu 3,3 milliards d’euros d’aide sur 2013-2014 ; et l’engagement s’est maintenu au même niveau par la suite.

Le Mali est un des 16 pays prioritaires de l’aide publique au développement française. Entre 2013 et 2017, la France a engagé 473 M€ pour le Mali dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, de l’agriculture, du développement rural, des services sociaux de base, de la santé, de l’éducation (65 % de la population est illettrée)…

Nos entretiens avec les acteurs de l’aide au développement ont mis en évidence deux réalités contradictoires :

– D’abord, il y a une vraie priorité politique en franco-allemand avec « l’Alliance pour le Sahel », pour des projets rapides, efficaces, dirigés sur le nord, sur le centre, et nos équipes sont pleinement mobilisées ;

– Mais les ministères sectoriels maliens ne s’impliquent pas, il n’y a aucune coordination ministérielle, pas de véritable planification.

La dégradation de la situation sécuritaire est un vrai obstacle : un diplomate de l’UE à Bamako nous a ainsi donné l’exemple de la construction de la route de Tombouctou vers le Nord du Pays, chantier mobilisant 800 personnes, arrêté par des attaques terroristes. Un barrage a été détruit avant sa mise en service. Les djihadistes veulent évidemment exclure les bailleurs du Nord, pour être les seuls à apporter des services à la population. L’AFD arrive après de très grands efforts à un taux de décaissement au Mali qui est seulement de la moitié de son taux habituel.

Heureusement nous avons des succès, des projets emblématiques comme la station de traitement des eaux de Kabala, qui apportera l’eau potable à un million de Bamakois, la moitié de la population de la capitale, ou l’hôpital régional de Mopti/Sévaré.

Le niveau de vie des populations reste très bas puisque 50 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Avec 6,9 enfants par femme, et 55 % des femmes mariées avant l’âge de 18 ans, ce pays double sa population tous les 18 ans. Il est classé aux tout derniers rangs en termes d’indice de développement humain. Le changement climatique le touche de plein fouet et les secteurs de l’éducation et de la santé sont dans des états très préoccupants.

M. Christian Cambon, président. – En conclusion, nous avons une analyse plutôt pessimiste sur l’écart entre succès militaires et impasse politique. A quatre mois du scrutin présidentiel au Mali, le bilan du Président IBK, sur qui la France a misé en 2013, est décevant.

Pire, pour une bonne partie de la classe dirigeante malienne et de la population, la France est considérée comme un gêneur. Les parlementaires maliens que nous avons rencontrés n’ont pas hésité à critiquer l’action de notre pays. Ils entretiennent le fantasme d’une France ayant un agenda caché dans le nord du Mali ! La motivation principale de la France serait d’assurer sa mainmise sur les ressources naturelles dont le nord du Mali regorgerait soi-disant !

Le fond de notre analyse c’est qu’il n’y a pas d’Etat. Dans le centre, quand les écoles ferment, elles sont remplacées par des écoles islamistes. Les djihadistes sont finalement les seuls à s’occuper de la population.

On voit bien le piège pour Barkhane : celui de l’enlisement. Une action politique et diplomatique vigoureuse est nécessaire.

Je me propose de faire passer ce message très directement à l’exécutif français. Attention à ne pas mettre un espoir excessif dans le G5-Sahel. Si Barkhane s’en va, la région sera à nouveau menacée.

Les contingents de la MINUSMA peinent à endiguer les menaces, face à des groupes armés qui connaissent parfaitement la géographie du territoire.

Nous avons été favorablement impressionnés par le travail des autorités nigériennes, qui sont pourtant confrontées à une situation aussi complexe. La pauvreté, la question migratoire et la présence de plusieurs foyers terroristes, dont Boko Haram, sont autant de défis que le président Mahamadou Issoufou relève.

Nos soldats sont confrontés au Mali à une montée en gamme de la violence. S’agissant du coût de la MINUSMA, il est élevé : il s’élève à 1 Md $ par an et une part considérable est octroyée à la sécurité des casques bleus.

M. Jean-Marie Bockel. – Cette présentation était éclairante, car elle était à la fois réaliste et pas pessimiste. Compte tenu des enjeux sécuritaires, nous voyons bien que l’armée française ne peut pas quitter la région. Alors, que faire ? Je n’ai pas la réponse à cette question.

À l’époque où Mamadou Tandja était président de la République du Niger, la situation était alors catastrophique et le pays était le « maillon faible » ; cela prouve que c’est souvent par la tête que les choses pourrissent ou se redressent. Le Mali a été confronté à la même situation par le passé, avec des débuts brillants de l’ancien président de la République Amadou Toumani Touré, qui ont pu entraîner une dynamique positive. On connaît la suite.

Le G5 Sahel constitue une piste intéressante, qui ne pourra réussir qu’en s’appuyant sur des éléments solides. Je pense que, pour l’heure, il nous faut être réalistes, accepter la situation et tenir bon. Et espérer que le Mali soit mieux dirigé à l’avenir.

M. Alain Cazabonne. – Après avoir entendu vos différentes interventions, je me demande s’il existe une lueur d’espoir. La lutte contre les mouvements insurrectionnels ou terroristes doit avant tout être menée par les populations locales, avec notre appui.

À quoi le manque de moyens des forces militaires est-il dû ? La raison est-elle financière ou tient-elle à la déstructuration de l’État ? Ou s’agit-il alors d’un manque de formation des militaires ? Le problème me parait insoluble et pointe les limites de notre engagement. Il est par ailleurs regrettable que l’Europe soit absente de cette question, et qu’elle n’ait pas pris conscience du danger encouru si ce territoire basculait aux mains des islamistes. À défaut d’y déployer des soldats, l’Europe pourrait aider à la formation des militaires de la région.

À la lumière de vos exposés, je suis très pessimiste et me demande pourquoi la France est encore engagée sur place. Pourquoi rester si le succès de la mission semble incertain et que les terroristes parviennent malgré tout à progresser, notamment à travers l’éducation qu’ils prennent désormais en charge ?

M. Olivier Cigolotti. – Au Mali, nous avons constaté que le port de l’uniforme était avant tout un moyen de subsistance, grâce à la solde versée aux militaires. Par ailleurs, outre un problème d’effectifs, l’armée malienne doit faire face à un manque de formation de ses soldats, qui les empêche d’aller au combat.

Mme Hélène Conway-Mouret. – Je partage votre constat. Tout le monde, et en particulier les pays voisins, est désolé de voir ce pays s’enliser sans que ses dirigeants n’agissent réellement.

En revanche, il existe bel et bien une formation militaire, mais les besoins et l’attrition des forces maliennes sont tellement importants qu’il faut y consacrer beaucoup de temps.

Nous avons une ambassadrice de France au Mali de qualité. C’est une femme solide, au discours très ferme, et cela mérite d’être souligné.

Ma question porte sur l’aide au développement. Nous avons lancé un certain nombre de grands travaux, comme l’assainissement de l’eau et de certains quartiers de Bamako. Avec notre ancien collègue Henri de Raincourt, nous avions préconisé d’investir dans l’éducation, l’agriculture et les petits projets qui ont des effets immédiats pour la population. Or, dans le Nord du pays, l’Agence française de développement est absente – elle n’est pas plus présente dans le centre du Mali, où elle devrait pourtant se trouver. Avez-vous constaté sur place un changement d’orientation de notre aide publique au développement ? Il faudrait mettre davantage l’accent sur des petits projets tels que la construction d’un puits ou d’une école, au détriment des grands investissements qui coûtent des centaines de milliers d’euros et dont les fonds sont en grande partie détournés.

M. Gilbert-Luc Devinaz. – Merci pour cet éclairage même s’il est pessimiste. Je veux revenir sur la dernière attaque et la dégradation de la situation sécuritaire au Mali. Vous l’avez dit, une action politique est nécessaire, mais sur quels acteurs la France peut-elle compter pour améliorer la situation concrètement ?

M. Robert del Picchia. – Très bonne analyse de la situation, pessimiste mais réaliste. Que peut-on faire ? Rien. Nous sommes obligés de rester car si nous partons, le Mali tombera et ce sera ensuite le tour du Burkina Fasso. Nous sommes dans une situation où il y a un risque qu’une sorte d’Etat islamique se développe au centre de l’Afrique sans parler de ce qui pourrait se passer au nord, c’est-à-dire vers l’Algérie, la Tunisie, car cela peut avoir des conséquences directes pour nous. Prenons le cas de la Tunisie, il y a en France 800 000 Tunisiens : imaginons les conséquences sur la sécurité en France d’une déstabilisation de ce pays. Ma question est la suivante : n’y a-t-il pas au-delà de ce que l’on entend la possibilité que la France fasse une proposition, soit devant l’ONU, soit devant l’Union européenne, d’une intervention beaucoup plus importante sur le plan militaire, de l’administration du pays et de la recherche d’une solution politique ? Nous avons parlé de l’Algérie, mais qu’en est-il de la Mauritanie ?

Mme Gisèle Jourda. – Ma question rejoint la conclusion de mon collègue Robert del Picchia. En évoquant les fragilités politiques, vous avez dit que la Mauritanie constituait un frein. Je souhaiterais savoir en quoi la Mauritanie est un frein.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. – Merci pour cette présentation lucide. Je rebondis sur ce qu’ont dit mes collègues Jean-Marie Bockel et Hélène Conway-Mouret. Dans ces pays, nous ne sommes pas accueillis comme nous devrions l’être. Il existe un ressentiment contre notre présence, vous l’avez dit. On ne peut pas se battre contre l’avis des peuples. Il y a vraiment un problème car le désengagement brutal est impossible. Il faut demander à ces pays de prendre davantage leurs responsabilités. Il y a une dégradation de la situation que j’ai constatée moi-même en rencontrant des parlementaires maliens, notamment dans le cadre de l’AP-OTAN. Le Premier ministre du Niger, que j’ai moi-même rencontré lorsqu’il était président de la commission des finances, est une personnalité tout à fait remarquable. Nous avons aussi un problème de moyens de coopération bilatérale. Nous accueillons de moins en moins, faute de budget, des dirigeants susceptibles de prendre la situation de ces pays en main. Notre commission a besoin aussi de réclamer davantage de moyens pour identifier des personnalités de qualité qui puissent vraiment aider au développement de leur pays et à la formation des populations. Il y a aussi une inquiétude profonde dans les pays de l’Afrique de l’Ouest – Sénégal, Guinée – qui demandent une plus grande présence de la France. Il y a vraiment un changement de logique intellectuelle à faire. Il faut absolument instituer cette responsabilisation, ces pays ne doivent pas tout attendre de la France et se prendre en charge. On l’a bien vu en Tunisie avec Ennahdha, les islamistes ont donné de l’argent et créé des écoles. Comme l’a dit Hélène Conway-Mouret, je le dis aussi depuis des années, il n’est peut-être pas nécessaire d’envoyer des sommes considérables alors que l’on sait très bien que les petits projets apportent des solutions positives. Je pense en particulier aux femmes qui sont essentielles dans la lutte contre le terrorisme.

M. Ronan Le Gleut. – Je m’interroge sur les racines des problèmes que rencontre la région. Pourquoi le wahhabisme se développe-t-il ? Qui le finance ? Il y a-t-il des acteurs qui influent sur la déstabilisation ?

M. Ladislas Poniatowski. – Au sujet de l’aide au développement, il existe d’importants projets, dont les financements sont principalement européens. En parallèle, un nombre important de projets de moindre envergure sont soutenus. Il faut saluer les risques que prennent les ONG, qui se rendent dans des zones dans lesquelles ni les autorités, ni les forces armées, ne sont présentes. Les personnes qui travaillent pour ces ONG y risquent leur vie, quand bien même elles ne sont pas les cibles privilégiées des terroristes, qui préfèrent s’attaquer à des projets de plus grande envergure dont l’impact est plus important.

Nous devons compter sur les populations locales dont l’engagement est indispensable pour répondre aux défis qui se posent. Seuls, nous ne pouvons rien faire. Pire, l’ONU se découragera, ce qui pourrait conduire à un désengagement de la MINUSMA qui devrait impérativement rester sur place.

S’agissant du G5 Sahel, il n’existe aucune garantie : ses financements valent pour l’année en cours. Aucun pays ne s’est pour l’instant engagé pour financer la force l’année prochaine.

Concernant l’Algérie, au vu de la dimension de son armée, c’est un pays essentiel qui devrait s’impliquer davantage pour la sécurité régionale.

M. Olivier Cigolotti. – À plusieurs reprises nos interlocuteurs nous ont dit qu’il ne peut y avoir de sécurité sans développement. Et à l’inverse, il n’y aurait pas de développement sans sécurité puisque certaines zones, notamment au Nord, sont inaccessibles et ne permettent pas d’apporter une aide directe à la population.

La Mauritanie participe au G5 Sahel, mais il s’agit du pays le plus réticent pour la montée en puissance de cette force. Tout au long de notre mission, nous avons ressenti cette fragilité et ce manque d’investissement politique de la Mauritanie dans sa contribution au G5 Sahel.

Au Niger ou au Mali on ne devient pas djihadiste par idéologie mais par nécessité de subsistance. Par exemple, lorsque le maigre cheptel d’un éleveur n’a pas survécu à une sécheresse importante – ce qui arrive malheureusement très souvent dans la bande sahélo-saharienne -, celui-ci accepte parfois, pour quelques euros, de participer à une opération de narcotrafic dirigée par un réseau djihadiste. Il faut savoir que dans certaines régions du Mali, seulement 10 pourcents de la population bénéficient d’un accès à l’eau ou à l’électricité. L’État malien, défaillant, n’est pas présent sur l’ensemble du territoire.

M. Christian Cambon, président. – Joëlle Garriaud-Maylam a raison de dire qu’il s’agit d’un problème de personnes. Je vais inviter devant notre commission M. Brigi Rafini, premier ministre du Niger, afin que vous puissiez vous entretenir avec ce dirigeant africain qui a bien cerné toute la problématique et tente d’apporter des solutions. La situation au Tchad est également contrôlée par son président, Idriss Déby. Ces deux pays sont pourtant plus pauvres que le Mali, mais leur situation est différente, alors même qu’ils sont également sous la menace de Boko Haram.

Au Mali, la corruption règne et l’accord pour la paix et la réconciliation (dit « Accord d’Alger »), âprement négocié, n’est pas respecté. Avant d’être sénateur, dans le cadre des actions de solidarité que je menais dans le domaine de l’accès à l’eau, j’avais été reçu par le Président Amadou Toumani Touré qui m’avait demandé de ne pas aller dans le Nord du pays car cette région ne l’intéressait pas. Quand le chef de l’État ne souhaite pas aider une partie de la population, il n’est pas étonnant de se trouver confronté à une telle situation des années plus tard ! Les Français sont actuellement absents du centre du Mali car, en prévision de l’élection présidentielle, le président actuel, Ibrahim Boubacar Keïta, souhaite démontrer que ses forces armées maîtrisent la situation. En réalité, l’Accord d’Alger est resté lettre morte pour le moment en raison, d’une part, de la corruption qui règne dans le pays, et d’autre part, du choix des interlocuteurs.

Par ailleurs, le rôle de l’Algérie est à mes yeux crucial. Ce pays compte près de 3 millions de soldats. Les Algériens sont les garants de l’Accord d’Alger, et ont été victimes du terrorisme par le passé.

Pour répondre à Ronan Le Gleut, cette zone a toujours été un lieu de trafics car c’est l’un des seuls moyens de survivre.

Il n’est plus exact de dire que notre armée n’est pas aidée par nos voisins européens. En revanche, elle mène le travail le plus compliqué qui consiste à aller débusquer les terroristes buisson par buisson. Il commence à y avoir une prise de conscience des Européens ; les Britanniques ont ainsi accepté de déployer trois hélicoptères lourds Chinook qui seront très utiles car la France ne possède pas d’hélicoptère de manoeuvre et d’assaut lourd. À ce soutien s’ajoute le déploiement de plusieurs centaines de soldats canadiens et l’aide de l’armée américaine positionnée dans la région. L’Allemagne est présente ; elle a en revanche des règles d’engagement excessivement strictes, mais contribue malgré tout à la Minusma, par exemple en matière de transport ou d’évacuation sanitaire.

La situation réelle est donc plutôt inquiétante au rebours du discours officiel selon lequel le G5 Sahel va prendre rapidement les choses en main. J’espère que cela se réalisera avec le temps, mais ce processus sera long.

M. Ladislas Poniatowski. – Un mot sur l’attaque d’hier à Tombouctou. J’ai été frappé de voir que c’est la première fois que les terroristes attaquent directement nos forces car en fait ils évitent habituellement Barkhane dont ils ont peur. Nos troupes sont constituées de professionnels bien équipés et bien armés. J’ai mesuré la force de l’organisation française, avec des GTIA constitués de différentes unités, qui est tout à fait extraordinaire. Ce n’est pas un régiment qui se trouve sur place mais des troupes de toute la France qui travaillent ensemble pendant quatre à six mois. Les terroristes ont peur des soldats français, mais pas de la MINUSMA. Hier donc, c’était la première fois qu’une attaque était dirigée contre une base de Barkhane. Il y a eu sept soldats français blessés. Lorsqu’il y a des morts, c’est le plus souvent dû à des mines posées sur le terrain ou à l’explosion de véhicules. Dans l’ensemble, les terroristes ne veulent pas aller à la confrontation directe avec les troupes françaises.

Service national universel – Communication

M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur. – La communication que nous vous présentons aujourd’hui a pour objet de retracer le cheminement du projet de « service national universel », promesse de campagne du candidat Macron, et de vous livrer l’analyse que nous en faisons. Il nous a semblé nécessaire de le faire maintenant, à quelques jours de la remise au Président de la République, prévue le 30 avril, du rapport de la commission Ménaouine, chargée de présenter et d’évaluer les différentes options pour sa mise en oeuvre, et de l’avis du Conseil d’Etat sur la révision de la Constitution. En « temps utile » en quelque sorte.

A l’origine de tout cela, figure, rappelons-le, une proposition de campagne du candidat Emmanuel Macron qui se veut une réponse au contexte né des attentats de 2015. Sans en préciser le contenu, le futur Président évoque, dans son discours du 18 mars 2017, « un service national d’un mois, obligatoire et universel », qui s’adresserait à l’ensemble d’une classe d’âge (soit environ 800 000 jeunes par an), « dans les trois ans suivant le 18anniversaire de chacun ». Ce service devant, en outre, être encadré par les armées et la gendarmerie nationale, la perspective de départ est bien celle d’un nouveau « service militaire » contre laquelle notre commission a d’ailleurs pris position dès le mois de mai 2017 dans le cadre de son rapport « 2% du PIB pour la défense » pour en dénoncer le coût très lourd, le caractère irréaliste et les objectifs mal définis. Une fois élu, le Président de la République- qui a peut-être lu le rapport de la commission ? – a précisé le projet de SNU, indiquant, dans son discours à l’hôtel de Brienne du 13 juillet 2017, que le SNU n’avait pas vocation à remplacer les dispositifs militaires ou civils existants et que sa visée était essentiellement civique : former des citoyens, accroître la résilience du pays et développer la mixité sociale. Dès lors, le projet prend une dimension interministérielle et non plus seulement militaire, impliquant, sous le pilotage du Premier ministre, au moins deux ministères. Il va connaître une évolution chaotique.

La méthode annoncée début septembre semble pourtant structurée : commande d’un rapport inter-inspections destiné à recenser les dispositifs existants et à définir des scénarios, annonce de la mise en place d’une commission chargée d’étudier le projet et de formuler des propositions, dans laquelle on s’attendait à ce que soient représentés l’ensemble des acteurs concernés (ministères, personnalités qualifiées, jeunesse, territoires…) mais aussi des membres du Parlement. Mais rien de cela ne se déroule comme prévu. Le rapport inter-inspections – en réalité un rapport d’étape – dont les orientations paraissent déranger – n’est pas rendu public et mis sous le boisseau. Il n’est même pas transmis aux députés et sénateurs qui en font la demande. La nomination de la commission est différée pendant des mois. Pendant ce temps, les ministères attendent, pour commencer à formaliser leurs réflexions, des arbitrages qui ne viennent pas. Puis, on assiste en février dernier, au moment de la publication du rapport d’information de l’Assemblée nationale, à de nouvelles déclarations présidentielles qui viennent parasiter le message des députées, lequel devient inaudible. Alors que les deux rapporteures s’apprêtent à proposer un « parcours citoyen en trois étapes », dans lequel la partie obligatoire – se substituant à la Journée Défense et Citoyenneté – serait réduite et centrée sur le collège, le Président de la République affirme qu’il entrevoit un service obligatoire d’une durée comprise entre trois et six mois. Par ailleurs, les ministres se contredisent. La cacophonie est alors à son comble.

Pour reprendre en main ce pilotage hasardeux, est mis en place un comité restreint dont beaucoup d’acteurs concernés et les parlementaires sont exclus. Placé sous la houlette d’un militaire (le général Daniel Ménaouine) et composé notamment de M. Kléber Arhoul, Mme Juliette Méadel et de M. Thierry Tuot, ce comité doit rendre ses conclusions d’ici le 30 avril. En attendant, la communication gouvernementale sur ce sujet est verrouillée et le Parlement tenu en respect.

La difficulté à appréhender ce projet tient sans doute, comme plusieurs interlocuteurs l’ont souligné, à la superposition des objectifs mis en avant et le fait qu’ils correspondent à des effets que le service militaire a pu avoir dans le passé. De fait, il est censé être une réponse au besoin d’engagement produit par les attentats et le contexte sécuritaire. Il doit permettre d’accroître la résilience et la capacité des citoyens à bien réagir en cas de crise. Il doit aussi – vaste ambition – ressouder une société en crise, fragilisée par l’individualisme, le communautarisme et la rupture d’une partie de sa jeunesse, en pratiquant un brassage social qui fait aujourd’hui de plus en plus défaut. On semble en attendre particulièrement une capacité à « remettre dans le droit chemin » des jeunes en décrochage, qui rejettent la communauté nationale et qui, étant des cibles privilégiées pour les extrémismes de tous bords, constituent une menace pour sa cohésion. Enfin, ce service devrait être aussi un « moment républicain » se prêtant à la transmission de valeurs citoyennes et au développement d’un sentiment national, auxquels on peut rattacher l’objectif d’un renforcement de l’esprit de défense et du lien armées-Nation.

A l’arrière-plan de ces objectifs figurent, bien sûr, les vertus prêtées par la mémoire collective au service militaire, notamment sa fonction intégratrice et l’idée qu’il était un moyen privilégié de transmettre à la société certaines valeurs (la discipline, le respect de l’autorité).

Néanmoins, rappelons-le, ces valeurs sont d’abord liées, s’agissant de l’armée, à une exigence pratique d’efficacité au combat.

Par ailleurs, la fonction intégratrice du service militaire était déjà sérieusement entamée – du fait des exemptions – lorsque celui-ci a été suspendu. Ne tombons pas donc dans le piège de voir le service national comme la solution miracle à nos fractures sociales !

Enfin, si tous les objectifs affichés correspondent à des effets que le service militaire a pu produire dans le passé, il faut bien relever que le SNU n’aurait en lui-même, compte tenu de l’existence d’une armée professionnelle, aucune finalité militaire.

Il n’en reste pas moins que cette multiplicité d’objectifs et le fait qu’ils fassent écho à l’ancien service militaire sont sans doute pour beaucoup dans les errements de ces derniers mois.

M. Jean-Marie Bockel, rapporteur. – Nous avons auditionné des acteurs des mondes civil et militaire, des chercheurs, et nous avons bien sûr pris connaissance du travail approfondi des députées Marianne Dubois et Émilie Guérel.

Étant donné la confusion qui règne sur ce sujet depuis un an, nous avons dû nous livrer à de nombreuses suppositions. Nos auditions tendent néanmoins à montrer que le projet prend forme, au travers de quelques constantes qui fondent presque tous les scénarios évoqués par les uns et les autres.

Ces scénarios reposent en effet sur un SNU à trois étages, c’est-à-dire prenant la forme de trois séquences successives, à des âges et selon des modalités restant à déterminer :

– Une première séquence devrait s’inscrire dans le cadre scolaire, dès le collège, et être poursuivie au lycée. Il s’agir de promouvoir l’enseignement de défense, prévu par la loi de 1997 portant réforme du service national, dont la mise en oeuvre demeure à ce jour inégale, et dont le contenu est très théorique ; chacun admet que d’importantes marges de progrès existent.

– Le deuxième étage du SNU, c’est le tronc commun obligatoire, le « rite de passage ». C’est la partie à la fois la plus symbolique et la plus problématique du projet.

La plus symbolique, bien sûr, car c’est le moment supposé du brassage social, le moment qui doit contribuer à raviver le lien national et inculquer aux jeunes le sens de l’engagement. Cette étape a vocation à devenir un moment fort de la vie de chaque citoyen, contrairement à l’actuelle journée défense citoyenneté (JDC), vécue, aux dires de beaucoup, comme une simple formalité.

Mais cette étape est aussi la plus problématique, car c’est la plus novatrice. Elle ne devrait ressembler ni à l’actuelle JDC, ni à l’ancien service national. Les options retenues pour cette séquence dimensionneront le coût et la faisabilité du projet. C’est l’étage de la fusée « SNU » qui est le plus risqué, le plus coûteux, et probablement le plus susceptible d’entraîner un « crash », s’il est mal calibré.

– La troisième séquence consisterait en une période d’engagement au service d’une cause collective, dans le cadre de dispositifs existants ou ad hoc.

Le service civique y prendrait une large part, en augmentant ses effectifs chaque année (150 000 en 2018 et une montée en puissance prévue à 250 000), quitte à raccourcir sa durée (actuellement de six mois minimum).

Les jeunes pourraient également choisir un engagement de type militaire (la réserve), ou être intégrés à des dispositifs de remédiation tels que le SMV, le SMA, l’Epide ou encore l’Ecole de la 2e chance, en prenant garde toutefois à ne pas faire exploser des dispositifs qui marchent.

De nombreux paramètres restent à déterminer toutefois, au sein de ce schéma global à trois étages.

– Un premier paramètre est relatif à l’âge des jeunes au moment de la période de regroupement. Le contexte juridique, les modalités d’encadrement, et le contenu des activités en dépendent.

– Quel sera justement le contenu des enseignements ou activités de ce tronc commun ? C’est la seconde incertitude majeure. Comment intéresser des jeunes dont les niveaux scolaires seront très disparates, qui pour beaucoup auront déjà quitté les bancs de l’école et seront peu enclins à y retourner ? Quel contenu trouver qui fasse consensus, dans la société clivée actuelle, et ne finisse pas par susciter une certaine défiance ?

Une formation au secourisme est évoquée – faut-il mettre en place un dispositif aussi complexe, aussi coûteux que le SNU, pour que tous les jeunes puissent obtenir l’équivalent d’un brevet de secourisme ou du BAFA, quel que soit l’intérêt par ailleurs de ces formations ?

Faudra-t-il, en outre, mettre à disposition des installations sportives, ou d’autres installations spécifiques, voire en construire ?

Autant de questions que le projet final devra anticiper très précisément.

De nombreux autres paramètres doivent être ajustés : la durée du tronc commun, les modalités d’encadrement, les modalités du regroupement des jeunes, avec hébergement, c’est-à-dire internat, ou non. Nous y reviendrons.

Ce qui est certain, s’agissant de l’hébergement et de l’encadrement, c’est que l’on ne pourra se satisfaire de solutions « bricolées ». Des locaux adaptés devront être trouvés. Des personnels devront être formés. Des financements devront être trouvés. Sur ce volet, soit tout est soigneusement verrouillé, soit rien n’est réellement bouclé. Cette absence de transparence sur les chiffrages ne nous paraît pas satisfaisante.

M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur. – Nous abordons maintenant les orientations des rapporteurs.

Nous n’allons pas définir ce que devrait être le SNU. C’est un projet à dimension sociétale qui dépasse le champ de compétence de notre commission. Mais nous voulons aujourd’hui alerter sur les conditions de la réussite et les difficultés des options en présence.

Notre première priorité c’est que le SNU n’étouffe pas les armées : Non seulement le SNU devra être soutenable financièrement – dans le contexte budgétaire que nous connaissons, notre pays a-t-il vraiment les moyens de consacrer plusieurs milliards d’euros par an à un tel projet? – mais surtout son financement ne devra pas obérer le budget des ministères concernés. Et bien sûr, nous nous soucions particulièrement de celui des armées. Celui-ci n’a pas la capacité d’absorber la charge financière que représenterait la remise en état d’infrastructures ayant cessé d’être utilisées et l’affectation de milliers de militaires à des postes d’encadrement. Lors de ses voeux aux armées, le 19 janvier 2018, le Président de la République s’est engagé à doter le SNU d’un financement ad hoc. Nous proposons de le prendre au mot et de prévoir des amendements au projet de LPM actuellement en discussion, afin de garantir que la programmation militaire 2019-2025 n’inclue pas le financement du service national universel, qui viendra en plus.

Mais au-delà de la question du coût, il faut avoir conscience du « choc exogène » que pourrait représenter pour les armées la mise en oeuvre d’un SNU s’il avait un volet militaire ambitieux (comme par exemple une durée d’un mois avec internat). Songeons que l’ensemble d’une classe d’âge (800 000 jeunes), c’est 10 fois les effectifs de l’armée de terre ! Et l’on devrait trouver un hébergement à tous ces jeunes alors qu’on a déjà tant de difficultés à loger nos soldats? Sans compter le goulet d’étranglement lié au recrutement et à la formation de personnels militaires supplémentaires pour gérer le SNU. C’est l’ensemble de notre modèle d’armée qui serait menacé.

Évidemment, les armées ont un rôle social (dont elles sont fières et qu’elles revendiquent au demeurant) dans le cadre de dispositifs qui marchent (SMV, SMA, Epide à l’origine), et dans leur essence même qui est d’être au contact de la jeunesse. Mais leur mission principale reste la défense du territoire national et des citoyens français. Cet « ADN » des armées doit absolument être préservé.

Enfin, il faut prendre en compte le risque de résurgence de l’antimilitarisme qui avait disparu depuis la professionnalisation des armées. Au lieu de rapprocher la Nation et les armées, c’est l’effet inverse qu’on obtiendrait !

Dès lors, comment s’appuyer sur l’existant pour avancer de façon réaliste? Concrètement, nous vous proposerons avec le Président Cambon une série d’amendements le 16 mai prochain en commission.

? Une fois ce verrou mis en place, quelles sont les conditions de réussite et les écueils à éviter?

Un premier facteur de succès est que le dispositif emporte l’adhésion des jeunes, ce qui implique qu’il soit attractif et ne leur apparaisse pas comme subi et vain. Rien ne serait pire que des jeunes se retrouvant enfermés, sans comprendre pourquoi, avec le sentiment de perdre leur temps. Il existe un risque non négligeable de mouvement de rejet, auquel il faut être attentif, alors même qu’une contestation latente est déjà perceptible – pour diverses raisons – dans les lycées et les universités.

En outre, le dispositif retenu devra avoir l’assentiment des parents. Ceux-ci sont en droit d’attendre des garanties sérieuses en ce qui concerne l’encadrement et le contenu, notamment s’il doit concerner des mineurs et impliquer un hébergement hors du domicile familial.

Ce projet devra aussi recueillir sinon le soutien, du moins l’accord des collectivités territoriales, qui peuvent être concernées à plusieurs titres (notamment en tant que propriétaires des établissements scolaires, interlocuteurs privilégiés du milieu associatif ou encore gisements de missions d’intérêt général).

Enfin, il nous paraît particulièrement important que la mise en oeuvre du SNU s’attache à préserver l’existant, car, en la matière -nos auditions nous ont permis de le constater-, beaucoup de dispositifs existent (ils ont été cités : service civique, Garde nationale, EPIDE, SMV…). Chacun a sa spécificité et sa dynamique qu’il ne faut pas détruire. S’agissant plus particulièrement de la Garde nationale – qui pour nous est un vrai point de vigilance – elle ne saurait constituer une ressource disponible pour assurer l’encadrement d’un service de type militaire : l’objectif actuel de 85 000 réservistes a été calibré par rapport à des besoins des armées et de la police n’incluant pas le SNU ; et s’il n’est pas exclu que des réservistes participent à un tel encadrement, cela ne pourrait être que sur la base du volontariat. Il importe, en effet, de préserver la militarité de la réserve.

M. Jean-Marie Bockel, rapporteur. – Ces conditions étant posées, les séquences 1 (au collège/lycée) et 3 (phase d’engagement au sein de dispositifs existants) sont celles qui posent relativement le moins de problèmes. Elles existent, d’une certaine façon, déjà. Il faut s’appuyer sur l’existant, évaluer précisément les pratiques pour étendre celles qui fonctionnent le mieux.

– La séquence 1 nécessite de redynamiser l’enseignement de défense, au travers du protocole interministériel enseignement-défense de 2016.

Cette première phase est indispensable pour préparer les étapes suivantes du SNU, afin que tout ne commence pas à 16 ou à 18 ans – ce serait trop tard.

Redynamiser l’enseignement de défense n’est toutefois pas évident.

Les mondes de l’éducation et de la défense sont peu perméables, même si les choses ont évolué. Les professeurs restent maîtres du traitement de programmes qui ne laissent que peu de marges pour des sorties ou des interventions extérieures.

On ne reviendra évidemment pas à l’école d’avant 1914 ! Il faut prendre garde à ne pas susciter la défiance du monde enseignant et des familles, par rapport à un contenu qui pourrait être interprété par certains comme trop idéologique.

La réforme du lycée, récemment présentée, nous semble aller dans le bon sens, en mettant l’accent sur l’enseignement moral et civique, qui sera l’objet d’une épreuve spécifique commune dans le nouveau baccalauréat.

– La séquence 3 peut également s’appuyer sur les nombreuses modalités d’engagement existantes. Cela nécessitera une mobilisation de toute la société, pour trouver des places pour tous les jeunes. Est-ce bien réaliste ? Quelques points d’attention doivent être mentionnés, sur cette séquence :

Le principe du volontariat nous semble essentiel. Dans toutes nos auditions – qu’il s’agisse du service civique, du SMV, de l’Epide ou encore de la réserve – le volontariat est apparu comme un facteur de succès des dispositifs. Aucun de ces dispositifs, exigeants en termes de disponibilité, d’engagement, ne se conçoit sans une réelle motivation.

Il faudra également rechercher une vraie universalité, c’est-à-dire accepter le plus de jeunes possibles, quel que soit, le cas échéant, leur handicap, car l’objectif doit être de montrer que chacun peut être utile à la société et y a sa place. Rejeter certains jeunes, qui seraient volontaires, aurait un effet désastreux.

Enfin, il conviendra d’éviter au maximum les inégalités d’accès à certaines missions particulièrement valorisantes, ou les facilités d’exemption ; en clair, de ne pas retomber dans les travers de l’ancien service national.

La séquence 2 est de loin la plus problématique.

Évidemment, un temps de brassage social avec internat, aurait des effets positifs. Toutes nos auditions militent pour éviter une simple « JDC améliorée », étendue à quelques jours, hypothèse coûteuse et inutile. La plupart de nos interlocuteurs ont reconnu l’intérêt d’une expérience vécue en commun.

Le contenu de cette période de regroupement devrait être plus lisible que celui de la JDC, plus solennel, pour devenir un vrai temps fort sollicitant la participation active des jeunes, à défaut de quoi chacun passera ce moment sur son téléphone portable, ce qui réduirait à néant l’expérience du brassage.

Si ce temps de regroupement nous paraît nécessaire pour parvenir aux objectifs recherchés, des questions difficiles à résoudre se posent toutefois.

S’agissant de la durée de cette séquence 2 : si elle est trop courte, le dispositif ne parviendra pas à ses finalités ; mais si elle est trop longue, elle posera des problèmes matériels et nécessitera probablement d’indemniser les jeunes à un âge où ils peuvent être déjà actifs ou ont des études à poursuivre. Une durée supérieure à une ou deux semaines est nécessaire pour que le dispositif fonctionne (un mois pourrait être un compromis, mais complexe à gérer).

S’agissant de l’hébergement : l’internat, nous l’avons dit, paraît indispensable pour parvenir à l’objectif de brassage social. Toutefois, cette option est non seulement très complexe à mettre en oeuvre mais elle pose aussi des questions juridiques.

L’article 34 de la constitution dispose en effet que « la loi fixe les règles concernant les sujétions imposées par la Défense nationale aux citoyens en leur personne et en leurs biens ». Le SNU est-il problématique du point de vue des libertés ? Le Premier ministre a indiqué avoir saisi le Conseil d’État sur le point de savoir s’il était nécessaire de réviser la Constitution pour mettre en place le SNU. Nous attendrons bien sûr la réponse du Conseil d’État sur ce point. Mais s’il s’agit de savoir si le SNU a un objectif de défense nationale au sens de l’article 34 de la Constitution, à notre sens la réponse à cette question est non.

Nous avons évoqué les finalités multiples du SNU : brassage social, engagement, etc… aucun de ces objectifs ne relève de la défense nationale.

Dire que le SNU relève de la défense remettrait, du reste, gravement en cause la loi de programmation militaire, et la revue stratégique qui l’a précédée, qui ne couvrent pas – et ne doivent pas couvrir – le SNU.

Quant à l’hypothèse d’une période de regroupement avant 18 ans, elle paraît problématique. Les jeunes ne sont alors pas pleinement « citoyens » au sens de l’article 34 de la constitution. Ils sont placés sous l’autorité parentale. Le rapport des députées rappelle à juste titre que ce n’est pas la scolarisation des jeunes qui est obligatoire mais leur instruction, éventuellement à domicile. Le Conseil constitutionnel défend par ailleurs de manière constante la liberté d’aller et venir.

Enfin se pose la question de l’encadrement : nous ne souhaitons pas que les armées soient sollicitées ; elles n’en ont pas les moyens, ce n’est pas leur mission. Mais à qui faire alors appel, soit pour encadrer, soit pour former des encadrants ? Faut-il constituer une « seconde armée », en faisant appel peut-être à des réservistes, y compris d’anciens militaires, recrutés à cet effet, et spécialement dédiés au SNU ? On parle aussi d’un encadrement par des jeunes issus des grandes écoles civiles ou militaires.

En posant ces questions, nous ne souhaitons pas dire que « c’est impossible » ; ça ne l’est pas, rien ne l’est avec de la volonté et des moyens. Mais nous souhaitons souligner :

– Tout d’abord, que ce projet mérite un vrai débat, et qu’il est maintenant plus que temps de lancer ce débat autrement que dans le huis clos des commissions ministérielles et des conseillers gouvernementaux ;

– Ensuite, que la ligne de crête de la réussite est étroite, avec de nombreux écueils financiers, juridiques, sociétaux… qui nécessiteront une grande vigilance.

– Enfin, nous souhaitons protéger nos armées, déjà à l’étiage, sur-sollicitées, car notre a pays a besoin qu’elles puissent se consacrer à 100 % à leurs missions. C’est ce que nous vous proposerons de faire dans la LPM.

La question de la montée en puissance me paraît très importante. L’idée d’une expérimentation est incontournable, peut-être d’abord pendant un an, puis pendant cinq à dix ans, avec un retour d’expérience annuel.

En conclusion, à ces conditions, il n’est pas exclu que le projet de SNU puisse déboucher sur quelque-chose de positif. Nous souhaitons que ce soit le cas mais nous avons un devoir de vigilance.

M. Christian Cambon, président. –  Je remercie les deux rapporteurs pour leur travail. Comme nous en avions convenu ensemble, l’approche est différente de celle de la commission de la défense de l’Assemblée nationale qui a choisi de construire son propre projet de SNU, y compris en s’intéressant à des domaines ne relevant pas de sa compétence, mais de celle d’autres commissions (affaires culturelles concernant l’Education nationale par exemple), ce que nous n’avons pas souhaité faire. La communication du Sénat, qui intervient avant la publication du rapport du comité Ménaouine, s’apparente à une méthode, les rapporteurs présentant les écueils à éviter et les conditions à respecter : l’adhésion des jeunes (qui auront du mal à renoncer à leur environnement numérique), les modalités d’encadrement, la question de l’hébergement et surtout la nécessité de préserver la loi de programmation militaire et le budget qui lui est consacré. Car même si l’on répartit sur dix mois l’accueil de 700 000 jeunes, ce sont quand même 70 000 qui seraient à prendre en charge chaque mois.

Enfin, un aspect particulièrement important pour le Sénat est l’implication des collectivités territoriales, dont on voit mal comment elles pourraient ne pas être engagées dans le dispositif. Or, elles sont déjà à bout de souffle, écrasées par les charges. Si aucune compensation n’est prévue pour elles, cela ne manquera pas de poser des difficultés.

Pour conclure, nous avons élaboré une méthodologie originale et nous espérons qu’elle aidera le gouvernement dans sa réflexion. Je dois dire que nous avons été très marqués par le fait que les parlementaires n’aient pas été conviés à participer au comité d’experts, malgré l’engagement formel qu’avait pris la ministre des armées devant notre commission. Les membres du Parlement ont pourtant une grande expérience des questions relatives à la jeunesse.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. – Bravo aux rapporteurs. En ce qui me concerne, je suis atterrée. Certes, l’idée est belle et généreuse, mais c’est une réponse un peu facile à une situation sociale difficile. La question essentielle, qui avait d’ailleurs été soulevée par nos collègues Jean-Pierre Raffarin et Daniel Reiner dans leur rapport de l’année dernière, est celle du coût, qui sera faramineux. Lorsqu’on nous promet que le SNU n’impactera pas le budget de la défense et la LPM, on se moque de nous. C’est aberrant. Nous n’avons pas les moyens techniques, financiers et juridiques de mener à bien ce projet. Je me souviens qu’au moment de la suspension du service militaire – j’étais alors à l’IHEDN et défavorable à l’abandon de la conscription -, tous les officiers généraux que je côtoyais et qui, eux, souhaitaient la mise en place d’une armée professionnelle, faisaient valoir que si la réforme était adoptée, il ne faudrait pas ensuite chercher à rétablir le service militaire d’une manière ou d’une autre car on n’en aurait pas les moyens. Il y a un décalage considérable entre les annonces, les promesses, les ambitions et la réalité. J’en veux pour preuve la Journée de défense et citoyenneté, un dispositif qui devrait être amélioré au lieu de créer un SNU ex nihilo. S’agissant des Français de l’Etranger, alors même que ce rendez-vous (réduit au minimum, soit une demi-journée) était une occasion privilégiée de faire passer des messages sur la France et ses valeurs à nos compatriotes à l’étranger qui sont, dans certains pays, très exposés à l’influence djihadiste, le ministère des affaires étrangères l’a supprimé au motif de faire des économies. Pourtant, cela ne coûtait rien. Ce genre d’usine à gaz m’exaspère !

M. Gilbert Bouchet. – Je remercie les deux rapporteurs. En ce qui me concerne, j’ai fait mon service militaire et j’en garde un excellent souvenir, notamment du fait du brassage des populations. Quand Jacques Chirac a annoncé la fin de la conscription, je n’étais pas d’accord. Mais maintenant, il me paraît impossible de revenir en arrière, les casernes ont été vendues, il n’y a plus de logement disponible. La question de l’encadrement se pose aussi. Où va-t-on prendre l’argent pour cela ? On s’est félicité lors de nos récents débats sur la LPM de la progression des moyens alloués à la défense. Il ne faudrait pas que ce projet de SNU vienne annuler cette évolution positive.

M. Christian Cambon, président. –  Précisons, pour être objectifs, qu’il ne s’agirait pas du rétablissement d’un service militaire, comme on a pu le craindre au départ, mais d’un service national.

Mme Isabelle Raimond-Pavero. – Merci pour la qualité de vos interventions. Nous avons compris que les armées se préparaient et que l’enjeu était maintenant de positionner le curseur sur un certain nombre de sujets. Les moyens financiers et humains qui devraient être consacrés à ce projet posent toutefois question. 15 000 à 20 000 personnes seraient nécessaires pour encadrer les 600 000 à 800 000 jeunes concernés chaque année. Le budget minimal à y consacrer serait de 5 milliards d’euros pour l’investissement et entre 2,5 et 3 milliards d’euros par an pour le fonctionnement. Quels seront les ministères concernés par le projet ? Au-delà de la question de la capacité des armées à absorber seules un tel choc, je crains qu’il n’écorne aussi l’image aujourd’hui très attrayante dont elles bénéficient auprès de la jeunesse si le dispositif envisagé prend un caractère obligatoire.

Mme Sylvie Goy-Chavent. – Il a été peu question dans vos interventions de la « sélection fine » des appelés et des enjeux de sécurité liés à l’utilisation de sites militaires et à l’encadrement par des militaires. Comment assurer leur protection ? Je soulève ce point en tant que rapporteur de la commission d’enquête sur l’évolution de la menace terroriste. L’enfer étant pavé de bonnes intentions, ne ferait-on pas mieux de consacrer nos ressources budgétaires à la LMP et à l’Education nationale si l’on veut aider nos jeunes ? Je voudrais également poser cette question au nom de mon collègue Olivier Cadic qui a dû s’absenter : « Les Français de l’étranger seront-ils concernés par le SNU ? Si tel n’est pas le cas, il faudra prendre en considération la possibilité que certains jeunes s’expatrient pour y échapper ».

M. Alain Cazabonne. –  Je voudrais vous faire part de l’expérience intéressante que Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’Etat auprès de la ministre des armées, a menée récemment dans mon département. A Bordeaux, elle s’est prêtée pendant deux heures à un échange sur le SNU avec une soixantaine de jeunes pour recueillir leur avis. Concernant la durée, les jeunes se montraient d’accord pour une durée d’une semaine, mais complétement opposés à une durée longue, faisant valoir les contraintes des études, de l’entrée dans l’emploi ou encore la nécessité de travailler l’été. Beaucoup d’idées intéressantes ont été évoquées, notamment celle d’un service de deux fois quinze jours réparti sur une durée de deux ans. Mais deux points sont revenus constamment : d’une part, le service national doit être court, d’autre part, il doit être utile, qu’il s’agisse de participer à un projet bénéfique à la société ou d’apprendre des rudiments en matière de secourisme ou de sécurité.

Mme Hélène Conway-Mouret. –  Pour ma part, je suis inquiète du flou qui entoure ce projet et j’ai l’impression que ce qui va être proposé dans quelques jours par le comité d’experts reflétera la volonté présidentielle. Je félicite les rapporteurs pour la qualité de leur travail. Je suis d’accord avec l’idée de déposer des amendements dans le projet de LPM pour protéger le budget de la défense. Notre commission étant aussi celle des affaires étrangères, je m’inquiète cependant de savoir quels ministères vont faire les frais de ce projet, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères étant malheureusement souvent la variable d’ajustement. Par ailleurs, il ne faudrait pas que les jeunes Français de l’étranger soient exclus du SNU. Or, on leur a déjà supprimé une demi-journée de JDC. Merci, en tous cas, pour cette présentation réaliste, qui montre bien les obstacles restant à lever. C’est très bien de vouloir faire ce que l’on a dit, mais ce n’est pas obligatoire dans tous les cas de figure.

M. Gilbert-Luc Devinaz. –  Votre travail confirme les interrogations que soulève le projet de SNU, qu’il s’agisse de la durée, du caractère obligatoire ou non, de l’encadrement, notamment si des mineurs sont concernés, de l’hébergement … Une indemnité sera-t-elle prévue pour les jeunes ? Devront-ils porter une tenue particulière ? Quels ministères seront concernés ? Quelle sera la gouvernance du projet et quel sera son contenu ? Il faudra éviter que ce SNU retombe dans les travers du service militaire, dont beaucoup étaient dispensés, et qui parfois faisait perdre leur esprit de défense à ceux qui l’accomplissaient. Ce qui me paraît intéressant dans ce projet est, dans le contexte sécuritaire actuel, qu’il contribue à développer la résilience de la population, en la formant et en la sensibilisant aux situations de crise. Cela ne nécessite pas forcément un projet lourd impliquant de l’hébergement, le volontariat étant, à mon sens, l’un des facteurs conditionnant la réussite.

M. Ladislas Poniatowski. – Nos deux rapporteurs tiennent ensuite une conférence de presse. Présenterez-vous vos conclusions comme celles de la commission ? Allons-nous voter ? Je m’explique : votre travail comporte une partie prudente et une partie ferme. Or je désapprouve la partie prudente, car vous entrez dans le scénario de la mise en place du SNU. Vous acceptez le choix politique du Président de la République, tout en exposant les difficultés et inconvénients qui s’y rattachent. Je n’accepte pas ce choix politique : je suis hostile au SNU.

S’agissant de la partie ferme, en revanche, j’ai beaucoup apprécié votre excellent travail. Vous avez attiré l’attention sur les coûts exorbitants du projet, vous refusez qu’il se fasse au détriment de nos armées et de notre défense nationale. Vous avez rappelé aussi que les objectifs du SNU n’ont rien de militaire, ce qui est exact.

Je suis donc embarrassé, Monsieur le Président.

M. Christian Cambon, président. – Il ne s’agit pas d’un rapport de la commission, mais d’une communication des rapporteurs, effectuée en temps utiles avant les conclusions de la commission dirigée par le général Ménaouine et l’avis du Conseil d’Etat sur le projet constitutionnel. Il était important que le Sénat fasse état de ses réflexions même si -surtout si !- personne n’a encore demandé son avis au Parlement. Mais cette communication n’a pas valeur de rapport et la communication à la presse en tiendra compte.

M. Ladislas Poniatowski. – Les rapporteurs doivent tenir compte de ce qu’ils ont entendu ce matin. L’hostilité de certains d’entre nous au SNU doit transparaître. Nous parlons d’une seule voix en revanche, s’agissant des difficultés soulevées.

M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur. – Je n’ai pas souhaité que l’on remette de rapport aujourd’hui car je désapprouve la méthode de la présidence de la République. Le Parlement est mis à l’écart. Je pense que la commission Ménouine travaille, en réalité, en temps masqué, directement avec l’Elysée. Je souhaite que notre rapport paraisse postérieurement aux conclusions de la commission Ménaouine. Il était aujourd’hui difficile de s’engager sur des conclusions négatives, alors que les objectifs du Président de la République sont difficilement contestables et que ce projet sera, je le crois, mis en oeuvre

M. Jean-Marie Bockel, rapporteur. – Nous communiquons aujourd’hui avec le sentiment que c’était le seul moment où nous pouvions avoir une expression avant que tout ne soit bouclé. Nous avions d’abord pensé attendre le rapport de la commission Ménaouine avant de publier nos propres conclusions, puis nous avons compris que tout risquait d’aller très vite. Nous n’avons pas souhaité vivre ce qu’ont vécu nos collègues députées, qui ont vu leur expression phagocytée par une expression présidentielle simultanée. Nous nous exprimerons donc aujourd’hui mais en prenant évidemment en compte nos échanges.

M. Christian Cambon, président. – Nous serons amenés à voter ultérieurement lorsque nous présenterons, au nom de la commission, un amendement prévoyant que le service national universel ne puisse être financé par la LPM. Un amendement identique, présenté à l’Assemblée nationale, n’a pas été adopté. C’est un signe d’inquiétude… nous vous présenterons donc cet amendement, ce qui nous donnera l’occasion de nous exprimer lors de l’examen de la LPM.

Cet amendement est essentiel : son adoption fermerait un certain nombre de portes et viendrait protéger le budget des armées, ce qui est au coeur de nos préoccupations.

M. Yannick Vaugrenard. – Je soutiens la méthode des rapporteurs. Vous vous placez dans l’hypothèse où il y aurait un SNU, ce qui pour moi ne pose aucun problème politique. Il me semble logique que notre commission puisse alerter sur les dangers et les risques de cette hypothèse. J’ai bien noté dans vos conclusions que ce projet pouvait avoir des aspects positifs.

Il faut rappeler les circonstances de l’annonce du Président de la République : après les attentats, dans un certain nombre d’établissements scolaires, des jeunes ont refusé la minute de silence. Toute la population française n’était pas spontanément représentée dans les manifestations qui ont suivi. Chacun a considéré alors qu’il fallait agir pour permettre aux jeunes de prendre conscience qu’ils font partie d’une nation avec des valeurs. Cette action passe par l’éducation, bien sûr, mais peut-être aussi par une forme de service national. Je n’ai pas d’opposition majeure à cette ambition, qui doit être tempérée par le réalisme, comme nos rapporteurs l’ont bien montré.

Néanmoins, il me semble qu’il faut d’abord évaluer les dispositifs existants, notamment le service civique, pour éventuellement les renforcer, puis prévoir une phase d’expérimentation et en évaluer attentivement les résultats.

M. Christian Cambon, président. – C’est toute la difficulté, en effet : au départ, tout le monde a bien conscience qu’un problème social est posé. Nous voyons bien la difficulté de faire comprendre à ces jeunes générations qu’elles sont citoyennes et qu’elles ont des responsabilités.

Mais si nous nous saisissons de ce problème en amont, c’est pour alerter le Gouvernement qui semble se précipiter, s’appuyant sur une commission dont la composition est discutable et excluant le Parlement de sa réflexion.

M. Philippe Paul. – Je suis d’accord avec Ladislas Poniatowski. Je ne vois pas l’intérêt du SNU. Nous devons veiller au message du Sénat : un certain nombre de personnes attendent maintenant le retour d’un service militaire, c’est-à-dire d’une forme de fermeté pour contrer la violence de la société et lutter contre le décrochage de certains jeunes. Là où la société, l’école et les parents ont démissionné, certains regrettent l’abandon du service militaire. Mais ce n’est pas vers un retour de ce service militaire que l’on se dirige car les armées n’en veulent pas, le coût en serait exorbitant et la faisabilité en est même incertaine. Cette annonce m’inquiète. C’est une mesure populiste.

Mme Hélène Conway-Mouret. – Votre conférence de presse est très importante. Nous sommes dans un moment politique, avec la perspective d’une réforme constitutionnelle qui remet en question le rôle du Parlement. Le travail sérieux et de qualité que vous avez réalisé témoigne de ce que peut être le rôle du Parlement. Il montre ce que nous devons faire et comment nous exerçons notre rôle de contrôle de l’exécutif.

M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur. – Nous ne pouvions pas nous inscrire dans une position de principe. Nous avons travaillé, avec Jean-Marie Bockel, en parfaite harmonie, procédant à de nombreuses auditions. Sur les problèmes de financement, nous n’avons pas de solution ; en tant que commission des affaires étrangères et de la défense, nous nous préoccupons de protéger le budget des armées. Pour le reste, lorsque nous avons rencontré la Secrétaire d’État, elle attendait les arbitrages présidentiels. Le Major général des armées a refusé de nous rencontrer. Il ne se sentait pas autorisé à parler. Je ne manquerai pas de dire ce que j’en pense. Nous sommes parlementaires, anciens ministres ; nous savons nous taire. Cette attitude vis-à-vis du Parlement est scandaleuse. Mais de nombreux autres interlocuteurs ont joué le jeu et parlé librement.

La phase 2 nécessitera d’importants financements. Quant à la phase 3, celle de l’engagement, différents dispositifs existent. Les jeunes peuvent s’engager s’ils le souhaitent. Nous n’avons pas besoin là du service national universel. Nous pensons que le volontariat est essentiel : si les jeunes ne sont pas volontaires sur un projet, cela ne marchera pas. Rendre cette phase 3 obligatoire serait une erreur : tous les sondages sont aujourd’hui favorables au SNU, mais les associations de jeunes sont défavorables à l’obligation. Il faut être très prudent. Par ailleurs, il ne faut pas fragmenter cette phase 3. Hormis le cas particulier de la réserve, tous nos interlocuteurs nous ont interpelés sur l’impossibilité de morceler les projets. On ne pourra pas réduire le service civique à quelques semaines : il ne fonctionnerait plus. Enfin, ces projets ne doivent pas être menés individuellement, mais à plusieurs, dans le cadre d’un brassage.

Le Gouvernement sera obligé d’amender la réforme constitutionnelle. Comment pourrait-on sinon rendre obligatoire un service national universel qui n’est pas militaire ?

M. Jean-Marie Bockel, rapporteur. – Un esprit de souplesse sera nécessaire pour ne pas mettre à mal des dispositifs tels que le service civique, qui sont déjà massifs. Tous les échos que nous en avons sont positifs. Mais le service civique est fondé sur le volontariat.

La qualité des échanges que nous pouvons avoir au Sénat est reconnue. Nous savons faire preuve de discrétion. Beaucoup d’interlocuteurs se sont exprimés très librement et de façon éclairante devant nous. L’exécutif ne nous a pas demandé notre avis, mais il aurait dû le faire et nous allons le lui donner.

Sur la question du coût, il faudrait se donner vraiment le temps de l’expérimentation, sur un nombre limité de personnes, pour en tirer des enseignements et imaginer ensuite une montée en puissance très progressive, afin de trouver le temps de dégager des moyens. Trouver des financements sera plus facile une fois que le dispositif aura prouvé sa pertinence ou aura pu être ajusté. Nous devons, en tout état de cause, prendre en compte la détermination du Président de la République sur cette question et apporter notre regard pour essayer d’éviter le crash.

La question de l’impact sur la jeunesse est majeure. Nous ne devons pas passer à côté et avoir à l’esprit ce qui pourrait marcher et ce qui est susceptible d’échouer.

Le sujet du filtrage est aussi essentiel. Nous avons travaillé, dans le cadre de la délégation aux collectivités territoriales, sur la prévention de la radicalisation du point de vue des territoires. On ne peut pas ne pas avoir à l’esprit ce sujet.

La question de l’inclusion des Français de l’étranger dans le dispositif, et celle du risque de fuite vers l’étranger sont de vraies questions. Il faudra prendre ce point en considération.

S’agissant des ministères susceptibles d’être impactés, il me semble que c’est surtout le ministère de l’Education nationale qui pourrait également l’être. Nous avons d’ailleurs auditionné ses représentants.

Nos expériences respectives du service militaire ne doivent pas fausser notre jugement. Nous ne sommes plus dans le monde d’avant. Nous devons raisonner à partir du monde d’aujourd’hui. Le Président de la République doit aussi avoir ce point à l’esprit.

Si le projet n’avait aucun sens, notre travail serait plus facile… mais il touche à des sujets importants pour nos concitoyens : le brassage, la cohésion, les valeurs. C’est pourquoi un travail approfondi était nécessaire.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. – Vous vous êtes prononcés pour le volontariat, ce qui va complètement contre l’esprit de ce service national universel. Or si l’idée peut être intéressante pour remettre des jeunes dans le droit chemin, elle n’a aucun intérêt dans un contexte de volontariat.

M. Christian Cambon, président. – Je vous remercie de ce riche débat. Il était important que nous prenions le temps d’avoir ce débat essentiel.

La réunion est close à 12 h 15.

Senat.fr

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