Dans l’interview ci-dessous, le directeur général de l’école de maintien de la paix Alioune Blondin Beye revient sur les actions menées en faveur des Forces armées maliennes. Aussi, il évoque les impacts des crises sécuritaire et sanitaire sur les activités de l’école, ainsi que ses missions et ses difficultés
L’Essor : Pouvez-vous nous présenter l’école de maintien de la paix Alioune Blondin Beye ?
Général Mody Béréthé : Centre d’excellence de l’Union africaine, de la Cedeao et membre de l’Association africaine des formateurs aux opérations de soutien de la paix (APSTA), l’école de maintien de la paix Alioune Blondin Beye (EMP-ABB) de Bamako est une école internationale de droit malien qui a pour mission, à travers un enseignement pluridisciplinaire de qualité et adapté aux réalités africaines, de promouvoir la culture de la paix sur l’ensemble du continent en renforçant les capacités africaines de soutien aux opérations de paix, notamment celles de la Force en attente de la Cedeao (FAC). Centre de formation bilingue français et anglais, ses stages s’adressent aux trois composantes : civiles, militaires et policières. Autrement dit, l’École est ouverte à toute personne souhaitant contribuer au renforcement de ses capacités dans les différents domaines relatifs à la paix, à la sécurité et à la gestion des conflits, y compris à la promotion de culture de la paix.
L’Essor : Quel est le bilan des activités des deux dernières années de l’École ?
Général Mody Béréthé : Sur les deux dernières années, 2018 et 2019, l’école de maintien de la paix Alioune Blondin Beye a conduit un total de 149 stages de formation et formé 4.905 stagiaires. Parmi ces stagiaires, nous pouvons compter des civils, des militaires et des policiers venant des cinq régions économiques de l’Afrique, des Unités de police constituées (FPU), des Forces de défense et de sécurité du Mali (écoles militaires, écoles de police et de gendarmerie), de l’Union africaine (U.A), des Nations unies, des représentants de la Minusma et de la Force conjointe du G5 Sahel.
L’Essor : Concrètement quelles sont les actions faites à l’égard des Forces armées maliennes ?
Général Mody Béréthé : De 2018 à fin 2019, l’EMP-ABB a formé 255 stagiaires issus des Forces armées maliennes. Ils participent essentiellement aux formations consacrées aux déploiements militaires en mission de paix. En plus de cela, un minimum de trois places leur est réservé sur chacune de nos formations combinant des présences civiles, policières et militaires.
Nous disposons également d’équipes mobiles de formation ou Mobile Training Teams (MTT) qui conduisent des sessions sur mesure dans les écoles militaires. Nos MTT sont très sollicitées, spécialement depuis la mise en place de restrictions de mouvements, du fait de la Covid-19. Autrement dit, elles nous permettent de continuer à renforcer les capacités de nos Forces armées tout en garantissant un environnement sain et sécurisé aux stagiaires et instructeurs, au sein des établissements d’enseignement militaires, à travers le territoire national.
Il faut quand même rappeler que si le gros des nombres formés par l’école est constitué de militaires (45%), les policiers représentent quelque 35%, le reste (20%) porte sur les civils qui accèdent à nos formations, sur la base de volontariat, à leur propre demande.
A ma prise de service en novembre dernier, comme directeur général, le ministre de la Défense et des Anciens combattants, président du conseil d’administration a voulu un élargissement plus visible du champ d’action de l’école.
Le volet d’engagement initial qu’est la formation pour les déploiements en mission de paix avait certes été enrichi de l’introduction d’une formation en Master en maintien de la paix et reconstruction de l’état post-conflit, mais il a estimé que le fait que nous soyons le seul centre d’excellence en Afrique situé dans un pays où il y a une mission de maintien de la paix active, devait être une opportunité à saisir. Il a ainsi souhaité une plus grande implication de l’EMP, en termes de contributions au processus de paix local, et un renforcement des relations entre l’école et les différentes présences internationales, afin d’en tirer le meilleur profit en terme de renforcement de nos propres capacités.
Au cœur de cette action, se trouve le Centre d’analyse et de recherches de l’espace sahélo-saharien (Caress), centre servant de zone d’échanges entre le monde universitaire et les praticiens civils et militaires des activités liées à la paix et à la sécurité. L’école sollicite aussi de plus en plus l’expertise internationale basée au Mali en faisant appel aux ressources de la Minusma, de la Misahel, de la Cedeao et des ambassades pour enrichir le contenu de ses enseignements et élever le niveau de ses débats.
L’Essor : Quels sont les impacts des crises sécuritaire et sanitaire sur les activités de l’école de maintien de la paix ?
Général Mody Béréthé : La crise sécuritaire et sanitaire générée par la pandémie de Covid-19 a directement impacté les activités de l’École. Le premier impact a été visible sur la programmation des stages. En temps normal, l’EMP-ABB organise un minimum de six stages par mois. De la date de fermeture des frontières aériennes et celle des écoles au Mali, le 17 mars 2020, à la fin du mois de juin, l’École n’a pu conduire que dix stages sur onze initialement programmés. Toutefois, elle a également développé un cours sur le leadership en temps de crise.
Pour faire face à cette crise sans précédent, l’EMP-ABB a dû s’adapter comme la plupart des établissements d’enseignement. Elle a ainsi mis en place un protocole de sécurité (Dispositif anti-coronavirus DAC2020) appliqué aux formations dans l’enceinte de l’établissement, mais également aux stages conduits en externe. Grâce à ce dispositif, l’école a pu servir de modèle, en apportant une contribution au renforcement des mesures sanitaires prises par d’autres établissements militaires.
Vu que l’impact de la situation actuelle s’étend également aux programmes des partenaires, et à l’exécution de certains projets, l’EMP-ABB a également dû réorganiser le calendrier de ses activités et réajuster ses budgets afin de pouvoir faire face à la situation. Nos partenaires ont été très sensibles à ce besoin de flexibilité. Certains d’entre eux nous fournissant des collaborateurs ont d’ailleurs choisi de maintenir leur présence physique en dépit des enjeux sanitaires.
L’école de maintien de la paix Alioune Blondin Beye a aussi eu à réajuster certaines de ses formations, afin qu’elles contribuent aux réponses aux questions soulevées par le nouvel environnement. à la demande expresse des autorités militaires nationales, un effort est porté sur la poursuite de formations spécifiques pour la conduite de travaux de groupes, de type état-major, toute chose dont un pays a besoin tant pour les opérations militaires que celles de protection civile.
C’est aussi dans ce cadre que des discussions sont en cours avec l’Université de Bamako, afin d’explorer les voies pour l’introduction d’un nouveau Master, spécifiquement dédié à la Gestion des risques de catastrophes. Ce Master ambitionne d’outiller des civils et militaires, acteurs de la gestion des crises naturelles ou sanitaires, du savoir-faire nécessaire à un management professionnel de crise, de la phase de prévention ou d’anticipation à celle de réparation des dégâts ou de reconstruction post-crise.
L’Essor : En perspectives, quelles sont les activités à réaliser ?
Général Mody Béréthé : L’EMP-ABB est tout d’abord en train d’apprendre de la crise du coronavirus, en ce sens qu’elle apprend à s’adapter et faire évoluer le mode d’enseignement, avec l’introduction davantage de moyens technologiques et de nouvelles méthodes d’apprentissage. Ce qui nécessite une mise à jour considérable de son plateau technique informatique et un renforcement des compétences de son personnel.
Elle apprend de même les différentes leçons liées à l’observation de bonnes mesures d’hygiène et de vie en collectivité, avec une nécessité d’adapter son infrastructure à l’accueil dans les conditions les plus optimales de stagiaires venant de différents horizons.
En dépit de la crise que nous traversons, l’école s’est finalement découverte la vocation d’un Centre où nait et se propage des initiatives et des idées innovantes. Par exemple, en contribuant à l’effort national de sensibilisation sur la Covid, à travers une initiative conduite avec la Fédération des artistes du Mali (FEDAMA) ou encore en ouvrant ses portes à la Fondation de la Princesse Kamatari ; l’école a compris que les voies pour contribuer à la paix et à la sécurité sont innombrables.
Elle compte donc explorer un maximum d’opportunités pour assurer cette contribution.
Cela passera par l’organisation de séminaires rassemblant des acteurs sur des thématiques spécifiques, le soutien à différentes initiatives et partenariat locaux, comme cela se fait déjà avec la Jeune chambre internationale, le Club Alioune Blondin Beye etc. ; et des formations adaptées à notre nouvel environnement grâce à l’accompagnement de notre ministère de tutelle et celui de nos onze différents partenaires.
Le futur pour nous se dessine finalement sous la forme d’une reconnaissance nationale et internationale de l’enseignement académique que nous délivrons, avec des programmes de Master que nous mettons en œuvre. En plus de la collaboration de l’Université des sciences juridiques et politiques de Bamako, nous avons jusqu’ici eu des contributions de l’ENAP (école nationale d’administration publique) du Québec au Canada ainsi que de l’Université de Grenoble en France. Nous estimons que les discussions que nous avons actuellement avec les partenaires japonais et différents autres instituts de recherche nous permettront dans les années à venir de devenir un pôle d’attraction et de référence dans le domaine de l’enseignement et de la recherche.
Dans ce cadre nous comptons beaucoup sur la coopération que nous menons avec les autres centres africains, à travers l’APSTA, ainsi que sur les contacts directs que nous sommes en train de développer avec les pôles de recherche au niveau national, comme l’Institut des sciences sociales.
Enfin, l’EMP pense pouvoir servir de lieu de rencontre et de partage entre ces différents partenaires et un certain nombre d’institutions et de mécanismes nationaux ciblés pour leur contribution aux questions de sécurité et de gestion des conflits, comme, entre autres, le Centre d’étude stratégique des Affaires étrangères, le Centre d’alerte précoce auprès de la Primature, le Conseil de sécurité nationale à la présidence de la République.
Propos recueillis par
Bembablin Doumbia
Source : L’ESSOR