«Connivence», «collusion», «manipulation»… Sur les réseaux sociaux, les commentaires vont crescendo pour qualifier les révélations de Mediapart ce mercredi 10 juillet sur le rôle très actif qu’auraient joué certaines figures de BFMTV, dont l’ex-présentatrice star Ruth Elkrief (aujourd’hui sur LCI) et le patron Marc-Olivier Fogiel, dans la diffusion et l’émulsion de la fausse rétractation de Ziad Takieddine, dédouanant l’ancien chef de l’Etat Nicolas Sarkozy dans le dossier du financement libyen, pour lequel il doit être jugé à partir de janvier 2025.
Mardi, c’est Carla Bruni, après son mari à l’automne dernier, qui était mise en examen après la mise au jour de ses échanges avec Mimi Marchand via une ligne de téléphone cachée. La truculente communicante est le personnage clé de l’acte I de l’opération «Sauver Sarko», qui se déroule au Liban avec l’homme d’affaires Takieddine, filmé dans une vidéo diffusée conjointement par Paris Match et BFMTV (l’hebdo étant propriété du groupe Lagardère dont Nicolas Sarkozy est aujourd’hui encore l’un des administrateurs). Il y revient sur ses premières déclarations, chargeant désormais le seul Claude Guéant pour exempter Nicolas Sarkozy. Trente-deux secondes contre lesquelles on promet alors à Takieddine des contreparties financières qui s’élèveraient à 600 000 euros.
Ce mercredi dans Mediapart, c’est l’acte II de cette manipulation politico-médiatique qui est mis en lumière. Surgit un autre personnage de l’ombre, plus discret que Mimi Marchand mais non moins diligent : Véronique Waché, collaboratrice de Nicolas Sarkozy depuis son départ de l’Elysée en 2012. Ses échanges de SMS avec certaines personnalités clés de la chaîne d’info en continu, exploités par la justice et retraçant la façon dont le faux scoop de la rétractation a été accompagné et même amplifié par les journalistes, sont au cœur de l’enquête. «Rarement les preuves d’une manipulation médiatique n’auront été si éclatantes», écrivent nos confrères.
La séquence débute quelques minutes avant la diffusion de la vidéo des faux aveux de Ziad Takieddine, le mercredi 11 novembre 2020 au soir. Ruth Elkrief, la première, informe Véronique Waché : ça sera sur les écrans «à 18 h 10». «Potentiellement, c’est toute l’affaire qui s’écroule», assure aussitôt la conseillère de Sarko aux rédactions du Figaro et de l’AFP qu’elle met en alerte. La machine médiatique est enclenchée, les échanges ne cesseront pas. Moins d’une heure plus tard, Véronique Vaché suggère à «Ruth» d’appeler «NS». Comprendre, Sarkozy lui-même.
«Merci ma chère Ruth»
Selon Mediapart, elle s’entretient ensuite avec Marc-Olivier Fogiel et prépare la suite : une prise de parole de Nicolas Sarkozy sur l’antenne de BFM. Mais le «boss» aimerait bien s’entretenir avec l’éditorialiste Bruno Jeudy, également rédacteur en chef du service politique de Paris Match. Ce dernier vient de rendre l’antenne après s’être évertué à contrecarrer les mises en doute un peu trop appuyées de la journaliste en charge du service police justice sur BFMTV, Sarah-Lou Cohen. Textotant avec Véronique Waché alors même qu’il est encore à l’antenne, Bruno Jeudy n’hésite pas à dézinguer sa consœur : «On lui donne du caviar et elle mégote.»
Comme prévu, deux jours plus tard, le 13 novembre, Nicolas Sarkozy se rend sur le plateau de Ruth Elkrief : «Est-il normal qu’un ancien président de la République soit traîné dans la boue comme je le suis depuis huit ans», lance-t-il à la journaliste qui, aussitôt l’interview fleuve terminée, s’enquiert auprès de Véronique Waché des «bons échos ?» — Excellent !!! Merci ma chère Ruth ! Emission décisive pour nous, répond l’attachée de presse, selon Mediapart. — Sincèrement, je l’espère du fond du cœur», conclut la journaliste.
L’autre séquence édifiante relatée par Mediapart concerne Marc-Olivier Fogiel, qui échange en direct avec la conseillère de Nicolas Sarkozy durant l’interview d’Edwy Plenel, le patron de Mediapart, sur la chaîne le 15 novembre. «Evidemment il lui parlera du revirement de Takieddine. Boursier [l’animateur de l’émission, ndlr] a les billes. Je t’embrasse. Marco», rapportent nos confrères. Quant le journaliste Jean-Sébastien Ferjou interpelle Plenel sur l’absence de preuves et la nécessité que le doute doit toujours bénéficier à l’accusé, Marc-Olivier Fogiel jubile sobrement et écrit à Véronique Waché : «Voilà». Laquelle se réjouit de voir le patron de Mediapart «ravaler sa moustache».
Les organisations syndicales de BFMTV «consternées et stupéfaites»
Cette dernière a fait part de son «indignation la plus totale» face aux révélations de Mediapart sur son rôle, sans nier sur le fond, et annoncé vouloir porter plainte pour «faire cesser ces nombreuses atteintes à [sa] vie privée et professionnelle». Moins véhément, Bruno Jeudy s’est positionné sur une même ligne plaidant des échanges «à chaud, forcément maladroits, et non destinés au public». Ruth Elkrief a assuré n’avoir été «à aucun moment au courant d’une manipulation ou d’un délit quelconque». Marc-Olivier Fogiel, lui, s’est défendu en mettant en avant son rôle tampon auprès des forces politiques pour faire «redescendre la pression pour que les équipes puissent travailler en toute indépendance». Dommage que leur direction ne fasse pas de même.
Dans un communiqué intersyndical publié ce mercredi en fin de journée, la CGT et le SNJ de BFMTV se disent «consternées et stupéfaites de la teneur des messages échangés». «Ces échanges démontrent que Marc-Olivier Fogiel s’est servi de l’antenne de BFMTV pour rendre service à ses connaissances, au mépris de nombreuses règles déontologiques», cinglent les organisations syndicales, qui estiment que «sa compromission entache la crédibilité de toute la rédaction». Les deux syndicats demandent «des garanties d’indépendance totale», «des explications très claires de Marc-Olivier Fogiel sur sa connivence affichée avec l’ancien chef de l’Etat» et l’invitent à «prendre ses responsabilités».
Jeudi 11 juillet, la société des journalistes de la chaîne a publié un communiqué faisant état de journalistes «déçus [par] les réponses apportées par la direction». La SDJ a annoncé avoir «demandé à la direction des explications» et exigé «des garanties claires et nettes sur l’indépendance de la rédaction face aux éventuelles pressions extérieures de communicants et de politiques».
Source : Libération