Premier ministre du Mali en 2014 et 2015, Moussa Mara participait au XXIIIe Forum de Bamako créé par Abdoullah Coulibaly. L’occasion d’une interview exclusive, où il parle de la nécessité d’une décentralisation et de la lutte contre le terrorisme au Sahel.
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.APP – Vous participez actuellement au Forum de Bamako, consacré au « Développement local comme facteur de paix et de sécurité ». N’est-on pas là au cœur de l’actualité et des soucis du Mali ?
Moussa MARA – Absolument ! Pour l’ancien maire de la Commune IV de Bamako que je suis, c’est une thématique qui me parle sérieusement et parfaitement. Et pour l’avocat de la décentralisation que je suis évidemment puisque depuis 20 ans, aux côtés d’Ousmane Sy et d’autres avocats de la décentralisation, je ne cesse de dire que le Mali sera demain décentralisé ou il ne sera pas. Je ne cesse de dire qu’un pays aussi divers territorialement, culturellement, ethniquement, économiquement que le Mali ne peut pas être géré comme un État central à partir de la capitale. Ce n’est pas possible.
Et une partie de la crise de confiance entre les Maliens, leurs leaders et leur État, c’est parce que les périphéries ne sont pas prises en compte par les politiques publiques, que les périphéries ne bénéficient pas des moyens qu’il faudrait dans nos politiques publiques. Et le meilleur moyen de résoudre cela, c’est la décentralisation, c’est de donner du pouvoir aux collectivités, aux communes, aux régions. Et même pour la sécurité, je suis sûr que l’on sera plus efficace avec des collectivités dotées de moyens et de capacités, plutôt que de tout décider à partir du centre.
APP – Ce thème est donc bienvenu…
Moussa MARA – C’est peut-être le sujet le plus approprié pour traiter la crise malienne sur le fond, et je dirai même la crise sahélienne. C’est pourquoi il est plus que bienvenu que le Forum se décide à traiter de cette thématique. D’autant plus que, derrière cette thématique, il y a des aspects de leadership traditionnel : l’implication des leaders traditionnels dans la gouvernance et dans la gouvernance locale, sujet dont n’a jamais parlé dans notre pays jusqu’à présent. Espérons que les Actes du Forum puissent être portés – comme prévu – à nos plus hautes autorités qui sont en plein dans les réformes et que certaines réformes puissent prendre en compte les résolutions du Forum.
APP – Dans le contexte actuel de crise économique généralisée, tenir cette année la XXIIIe édition de ce Forum, qui n’a pas d’égal en Afrique, n’est-ce pas déjà un bel exploit ?
Moussa MARA – C’est un exploit de le tenir depuis déjà quelques années parce que le Mali est en crise en réalité depuis 2012. Et le Forum de Bamako existe depuis 2000, et il n’a jamais arrêté et la crise s’est encore exacerbée avec une crise institutionnelle depuis trois ans. Il faut ainsi saluer les différentes autorités maliennes… Aussi bien quand le Forum commençait avec le Président Alpha Omar Konaré, avec ATT (Amadou Toumani Touré) avec IBK (Ibrahim Boubacar Keita) et même pendant les transitions : celle de 2012/2013 comme la transition actuelle puisque les autorités sont toujours venues participer aux travaux du Forum fondé par Abdoullah Coulibaly. Aucune autorité malienne n’a jamais empêché le Forum de se tenir. Bien au contraire, elles ont toujours accompagné le Forum. Il faut donc saluer aussi l’extraordinaire résilience de notre ami Abdoullah Coulibaly.
« Au Sahel, la menace terroristeest transnationale ».
APP – En qualité d’ancien Premier ministre, comment jugez-vous la situation socio-économique de votre pays, situé au cœur de ce Sahel qui connaît lui-même tant de problèmes d’insécurité et de terrorisme ?
Moussa MARA – Après les affres du Covid 19 et maintenant la guerre en Ukraine, le monde est entré dans une période un peu trouble. On a vécu l’année dernière une inflation terrible, partout sur la planète et tout le monde se retrouve plus ou moins dans une situation compliquée. Le Sahel est de surcroît la zone du monde qui souffre le plus des changements climatiques et – au cœur du Sahel – le Mali est plongé dans une crise sécuritaire et institutionnelle depuis plus de dix ans.
Autrement dit, nous avons des difficultés qui viennent s’ajouter à des difficultés. Et nous sommes tombés dans une nouvelle crise institutionnelle depuis maintenant trois ans, avec la chute du régime d’IBK. Et qui dit crise institutionnelle, dit bien évidemment des problèmes avec nos partenaires car le régime n’est pas constitutionnel.
Il y a donc beaucoup d’initiatives et de projets qui se sont arrêtés. Nous avons aussi des décisions de nos autorités qui n’ont pas facilité les partenariats, non seulement avec nos voisins, mais aussi avec la communauté internationale. Quand vous avez compris tout cela, je pense qu’il faut saluer le peuple malien de tenir encore debout, car nous avons été sanctionnés l’année dernière par la CEDEAO.
APP – Comment sortir de la crise multidimensionnelle que connaît le Mali depuis 2012 ?
Moussa MARA – Le contexte est vraiment très difficile : saluons la résilience du peuple malien et alertons nos autorités pour leur faire comprendre qu’elles ne doivent pas compter sur la résilience indéfinie des Maliens. Si l’on ne fait pas attention, le pays peut connaître des troubles encore plus graves. Il faut donc que nos gouvernants en tiennent compte.
Saluons la résilience et battons-nous pour sortir de cette situation. Sortir de la crise institutionnelle, sortir de la crise sécuritaire, sortir de la crise de confiance avec nos voisins et avec la communauté internationale.
Il faut aller étape par étape. Les questions de sécurité sont plus lourdes et nécessiteront plus de temps parce que la menace terroriste est transnationale, particulière et pas facile à tacler. La question institutionnelle est la plus simple. Il faut que nous sortions du régime d’exception de la transition, que nous organisions des élections les plus transparentes et les plus crédibles possibles pour nous donner un régime civil qui va au moins légaliser le visage du Mali vis-à-vis de ses partenaires.« La particularité du Mali, c’est le non-alignement »
.APP – Et le Mali ne doit-il pas revoir son positionnement sur la scène internationale ?
Moussa MARA – Après, il y a en effet les questions diplomatiques. Il faut sans doute que nous évoluions et que nous revenions au Mali de ces soixante dernières années, car la particularité de la diplomatie malienne a toujours été le non-alignement. On ne s’en souvient plus, mais le Président Modibo (Keita) a été reçu à la Maison Blanche et il n’était donc pas pro-Union soviétique contre l’Occident. Il a participé à toutes les activités du mouvement de « Non alignés » avec Tito, etc. Le Président Moussa Traoré – qui était aussi à l’aise avec les États-Unis qu’avec l’Union soviétique ou la Chine – a poursuivi dans la même direction. Les Présidents Alpha Omar Konaré, ATT et IBK de même. Car la particularité du Mali, c’est le non-alignement. Et aujourd’hui nous avons des efforts à faire sur le plan diplomatique.
APP – Le problème de l’emploi n’est-il pas le défi majeur qui se pose aujourd’hui aux pays du Sahel, et notamment au Mali ?
Moussa MARA – L’emploi, c’est le problème numéro un dans tous nos pays. Même le terrorisme s’explique – pour au moins un tiers – par le problème de l’emploi des jeunes. La lutte contre le chômage, mais aussi contre la pauvreté, l’injustice et la corruption est plus que jamais nécessaire pour empêcher les djihadistes de recruter une jeunesse bien souvent sans emploi et sans avenir.
En 2015, nous avons fait une enquête sur les raisons pour lesquelles les jeunes Maliens s’engagent dans le terrorisme. Ce fut une enquête réalisée auprès de jeunes terroristes capturés et en détention dans nos prisons. Vous serez étonnés d’apprendre que 40 % d’entre eux y vont juste pour prendre un salaire ! Quelque 20 % y vont pour se protéger et protéger leurs familles ; environ 15 % y vont pour avoir une reconnaissance dans leur milieu : avec une kalachnikov par exemple, on trouve les femmes plus facilement… Mais moins de 10 % y vont pour des raisons religieuses.
Tout cela pour dire que si nous ne donnons pas de réponses durables et sérieuses à tous ces jeunes, dans nos campagnes comme dans nos villes, nous n’aurons jamais de stabilité dans nos pays. Que ce soit le terrorisme, le banditisme, le trafic de drogue ou tout autres aventures malheureuses, cela ne fera que continuer…
Pour faire un lien avec le thème du présent Forum de Bamako, nous n’avons jamais apporté de réponses locales à la problématique de l’emploi des jeunes.
.« J’ai initié un programme de formation
professionnelle pour les jeunes déscolarisés »
.APP – Mais ne l’avez-vous pas fait à l’échelle d’une commune de Bamako ?
Moussa MARA – C’est exact et c’est je crois un bon exemple. Quand je suis devenu maire de la Commune IV de Bamako en 2009, j’ai dit : nous allons engager un programme de formation professionnelle des jeunes déscolarisés pour qu’ils puisent apprendre un métier d’artisanat et avoir des chances de trouver un emploi. Je n’ai rien demandé à l’État, mais j’ai convoqué les artisans, consulté les jeunes de ma commune et nous avons pris 100 jeunes pour leur apprendre la menuiserie, la mécanique, l’électricité ou la maçonnerie. Et la mairie s’engage à prendre en charge les frais de formation et les « per diem » de déplacement de ces jeunes pendant un an, et eux s’engageaient en retour à suivre leurs cours et stages de formation.
Au bout d’un an, ces jeunes avaient tous trouvé un emploi. L’année suivante, on en a pris 200 et les 200 ont trouvé un emploi. Et le ministre de l’Emploi de l’époque est venu me voir pour suivre notre exemple en m’assurant que l’État allait s’y mettre et en décidant de « labelliser » ces formations. Nous avons ainsi créé à peu près 500 emplois en 3 ans au niveau d’une seule commune.
Si tous les maires des 700 ou 800 communes du Mali avaient un projet de ce type, accompagné par l’État, imaginez le nombre d’emplois créés. Voilà une initiative locale et concrète. Car la question de l’emploi des jeunes, on ne doit pas la penser au niveau national avec de grands programmes et des milliards, on doit plutôt faire confiance aux autorités locales, les accompagner et les aider pour trouver des réponses appropriées.
APP – Vous venez de publier un nouveau livre intitulé « Le Mali entre vents et marées (2018 – 2022). Voulez-vous nous en parler ?
Moussa MARA – Ce livre, c’est le tome 2 d’un premier livre publié en 2018. Quand j’ai quitté la Primature, j’ai continué à écrire régulièrement des articles et – au bout de 2 ans – on m’a dit : ce serait bien d’en faire un premier recueil. D’où un premier tome couvrant la période 2015 – 2017, et sûr déjà d’en faire un second.
Celui-ci couvre les cinq années 2018 à 2022, particulièrement chargées en actualité avec la réélection contestée d’IBK en 2018, les troubles et l’insécurité qui s’est vraiment développée en 2019, la chute du Président IBK et l’arrivée du Covid en 2020, le deuxième coup d’État et ses péripéties en 2021, les sanctions de la CDEAO et la guerre en Ukraine en 2022. Cette soixantaine d’articles permet d’avoir une idée précise de tout ce par quoi le pays est passé.
APP – Un dernier mot sur les échéances électorales et le référendum du 18 juin sur la nouvelle Constitution soumise à approbation. Que faut-il en attendre ?
Moussa MARA – C’est une Constitution de type présidentialiste avec beaucoup de pouvoirs donnés au chef de l’État qui en a déjà beaucoup dans la Constitution actuelle. Mais les militaires sont en général des présidentialistes, car ils ont une conception très forte du pouvoir. Il y a des innovations qui sont positives puisque nous avons la création d’une seconde Chambre, ce qui va permettre aux diversités du pays d’être mieux représentées qu’à l’Assemblée nationale.
Nous aurons aussi la possibilité de destituer le Président, la stricte limitation de changement de partis car – c’est une habitude malheureuse dans notre pays – quand on change de parti on perd son mandat parlementaire. Il y a de surcroît la création de la Cour des Comptes et une forte affirmation de la lutte contre la corruption… Ce sont autant de bonnes choses.
Mais il y a aussi des éléments qui malheureusement ne sont pas à la hauteur de la crise à laquelle est confronté notre pays aujourd’hui. Cette Constitution créé aussi des divisions au sein de tous les partis et des organisations entre les pour et les contre, comme vous avez connu en France lors du référendum pour ou contre le Traité de Maastricht. En qualité d’ancien Président du Parti Yelema (Le changement), je dois donner des conseils à la direction actuelle du parti pour que le positionnement du parti ne crée pas de fragilités
Nous espérons cependant sortir de cette séquence le moins désunis possible pour aller vers les prochaines échéances électorales : les législatives prévues en octobre 2023 et les présidentielles en janvier ou février 2024.
Source : africapresse.paris