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Focus : Que l’ECO soit !

Notre grand ami, le franc Cfa a été condamné à mort. La sentence, ironie de l’histoire, a été prononcée par un ancien gouverneur de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest (Bceao) devenu président de la République la plus prospère des pays du franc Cfa en Afrique de l’ouest.

En temps normal, on aurait éprouvé beaucoup de mal à trouver les mots justes pour parler de la mort de son fils, mais puisque nous vivons dans l’anormal, l’ancien gouverneur de la Bceao n’a donc pas eu de la gêne – ou de la peine – pour annoncer péremptoirement la disparition prochaine de notre chère monnaie, laquelle sera remplacée par une devise appelée ECO.

Faut-il interpréter le rôle de crieur public du président ivoirien en annonçant la prochaine nouvelle monnaie, comme un signe d’espoir que ce changement de monnaie est la meilleure des choses qui puissent nous arriver ? Rien n’est moins sûr !

De toute façon, que l’ECO soit ! Et que cette monnaie se contente d’être, sans plus ! Comme le veut la logique du temps, qu’elle naisse, qu’elle vive et qu’on l’oublie. Qu’elle soit : c’est tout ce qu’on lui demande, et la peine d’être suffira bien à porter nos profondes angoisses et nos lourdes peines de la vie quotidienne pendant trois-cent-soixante-cinq jours, chaque année.

On dit que les peuples heureux n’ont pas peur des lendemains, mais les peuples inquiets comme nous, harassés, épuisés par les problèmes de tous genres, scrutent tout le temps l’horizon avec plein de questionnements sur fond de prudence car “Chat échaudé craint l’eau froide”. Le changement de monnaie ne serait-il pas un détour vers une dévaluation rebaptisée ? Résistera-t-elle à la mauvaise gouvernance qui est la chose la mieux partagée dans les Etats où circule le franc Cfa ? “Le cadavre ne sait pas ce qu’il va trouver, mais ce qu’il a vécu”.

Là, résident les soucis des populations qui ont certainement hâte d’enterrer les reliques de la colonisation dont fait partie le franc Cfa, mais ne peuvent oublier les coups assénés par la dévaluation du franc Cfa décidée par la bande des Michel (Camdessus du Fmi et Roussin de la France). Une décision imposée à nos Etats qui n’ont pu que s’y plier. Qu’en sera-t-il pour l’ECO ?

En effet, peut-on faire confiance à un signe monétaire quand on voit que, d’un trait de plume, un simple ministre peut lui ôter tout une bonne partie de sa valeur ? C’est un bon argument pour les partisans du changement de monnaie qui promettent de se dégager ainsi de l’étau français. Mais que nous réserve alors l’ECO qui est à présent comme le fantôme dont tout le monde parle sans le voir ? Pourquoi le projet d’ECO en cours au niveau de la Cédéao avec beaucoup d’obstacles à sa mise en œuvre, serait-il subitement dévié vers l’Uemoa ? Ceux qui y voient un coup fourré de la France et ses alliés pour uniquement tempérer la montée de la vague anti-Cfa et au-delà, la remise en cause de la mainmise de la France sur notre monnaie, ont bien raison de penser ainsi.

Mais même celui qui ne craint pas la stagnation, l’engourdissement, le temps qui se précipite se chargera donc de le dégourdir. Et puis, celui qui, las de trop longues fatigues, souhaite dormir un peu dans l’ombre, ne fait-il pas confiance au lendemain ? Ce lendemain avec cette incertitude qui nous arrive, notamment l’ECO, les populations des pays de l’Uemoa vont l’accepter avec philosophie, d’abord parce qu’elles n’y puissent rien, ensuite parce que même si elle est accompagnée de dévaluation déguisée causée par une éventuelle fluctuation monétaire, elles croient que la dévaluation, en dehors de ses vertus financières supposées, possède de grands avantages moraux. Oui, comme qui dirait, il y aura un bon usage de la dévaluation, comme un bon usage de la maladie !

C’est pour dire que la liberté monétaire à laquelle nous aspirons tant pour valoir au franc Cfa tous ces procès et bientôt ce requiem, devrait nous enseigner l’estime de l’argent honnêtement gagné. En mettant l’argent au rang des choses périssables, des objets qui s’usent quand on s’en sert trop, des cruches qui tant vont à l’eau qu’à la fin elles se cassent, la fluctuation monétaire va le rapprocher de nous, le rendre familier, quotidien, amical comme une pipe culottée, une paire de souliers éculés ou un vieux pyjama.

Il est bien passé le temps où l’orgueilleux Plutus était le dieu de la richesse. Dioclétien l’a détrôné le jour où il a commencé à rogner sur la valeur des pièces : on ne dévalue pas un dieu ou alors il n’est plus dieu, il est homme. Voici venir les temps où, délaissant le détestable pharisaïsme de la pauvreté, nous pourrons dire sans honte : argent, notre cher ami, tu es lent à venir et prompt à partir, mais nous ne t’en voulons pas car nous te gagnons, mais tu nous fais vivre : comme toi nous sommes éphémères et tu es mortel comme nous. Donc arrête de te prendre pour Dieu, à la place de Dieu !

Amadou Bamba NIANG

Source: Aujourd’hui-Mali

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