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Épouses de migrants : Une vie de privations et de solitude

Privées de leurs époux, partis faire fortune à l’étranger, elles se morfondent dans une attente plus ou moins longue. Beaucoup finissent par craquer et les mariages périclitent

 

Les épouses de migrants, dans la zone de Diéma (Région de Kayes), comme se plaisent à dire certaines femmes, attendent, avec pour seule compagnie, l’absence d’époux qui ont choisi d’aller faire fortune, souvent très loin. Le Cercle est une zone de forte migration. Selon les estimations, 80% des jeunes âgés de 18 à 20 ans, tentent de s’expatrier, la plupart du temps, à leurs risques et périls.

Les infortunées épouses sont priées de comprendre la situation dans laquelle se trouvent leurs maris expatriés et de s’armer de patience. En réalité, les conditions des migrants sont souvent difficiles à gérer dans les pays d’accueil. Chaque pays de destination a ses principes, ses lois en matière de migration. De nombreux «sans-papiers » peinent à se mettre en règle, à obtenir une carte de séjour, sans laquelle ils ne pourraient se déplacer librement encore moins revenir au pays pour rendre visite à la famille, ni occuper des emplois garantis.

Dans de nombreux villages et hameaux, aujourd’hui, le besoin de bras valides se pose avec acuité. Ces «aventuriers» ont dans la tête qu’après avoir amassé beaucoup d’argent, ils pourront remplir les greniers de leurs parents, financer des microprojets au profit de leurs communautés, à travers, notamment, la construction de mosquées, d’écoles, de centres de santé, la réalisation de forages.

TRADITION DE MOBILITÉ- Dans une zone comme Diéma où la campagne agricole est le plus souvent déficitaire à cause de la rareté des pluies, il est difficile de fixer les jeunes dont la plupart ne disposent d’aucun moyen de subsistance. Les jeunes, qui restent aux côtés de leurs parents et auxquels on colle tous les qualificatifs possibles, sont considérés, au mieux comme des vauriens, au pire comme des ratés. Dans ce milieu, celui qui choisit de rester ne pourra pas trouver femme.

Toutes les filles se détourneront de lui. «S’il est pauvre, se délectent les méchantes langues, c’est sa faute, parce qu’il n’a pas osé se rendre sur la terre des ‘Oreilles rouges’ (Touloblénou)». Parce qu’ils ne sont pas partis, dans la pure tradition soninké de mobilité, ils ne sont pas écoutés dans la société, n’ont aucun pouvoir décisionnel au sein de leur famille.

Généralement, avant que le jeune garçon ne parte à l’aventure (on ne croit pas si bien le dire), ses parents lui cherchent une femme à marier. Il existe plusieurs raisons à cette pratique ancestrale, vieille de plusieurs siècles. D’abord, c’est pour que le fils songe surtout à sa femme restée derrière lui, qu’il évite de jeter tout son argent par la fenêtre, qu’il ne scelle jamais de mariage avec une autre femme, dans son exil, qu’il puisse retourner au bercail quand il le désire. C’est pourquoi, il est difficile de voir, ici, un jeune partir étant célibataire. De nombreux jeunes mariés partent à l’exode dès leur sortie de la chambre nuptiale, laissant les épouses dans l’incertitude et l’angoisse.

Mais de nos jours, les mentalités ont changé. De nombreuses jeunes filles refusent le mariage avec des expatriés qui ne constituent plus une assurance tous risques à leurs yeux. Selon Boubacar Kamissoko, gardien à la Caisse malienne de sécurité sociale (CMSS), il fut un moment à Kita (Région de Kayes), si tu n’avais pas la tête d’un «Espagnol», d’un «Italien» ou d’un «Parisien», tu ne pouvais pas avoir une femme. Les migrants avaient le vent en poupe. «Mais actuellement, tel n’est plus le cas. Beaucoup de filles détestent les expatriés, car si elles se marient avec eux, ils partent et les oublient», raconte notre interlocuteur.

«Aujourd’hui, à Lambidou, sur dix filles, huit vous diront clairement qu’elles ont horreur de se marier avec des migrants, qu’elles ont besoin plutôt d’hommes corrects, capables de les nourrir et de pourvoir à leur entretien», estime Fodié Niakaté, producteur agricole à Kobokoto, Commune rurale de Lambidou.

«Généralement, les épouses, qui reçoivent un peu d’argent de leur mari, décident d’attendre. Mais une femme seule, vivant sans son mari, c’est difficile à supporter. C’est pourquoi, certaines se cachent pour faire le planning familial sachant bien que leur époux est absent», constate Alpha Diombana, président du Réseau des communicateurs traditionnels pour le développement (Recotrade).

SE BOUCHER LES OREILLES- À force d’attendre son mari parti en Amérique, depuis une dizaine d’années, Saba Coulibaly a été obligée d’abandonner le domicile conjugal, avant, argumente-t-elle, «que je ne devienne vieille et incapable de faire des enfants». Aussi, se bouche-t-elle les deux oreilles, chaque fois qu’on évoque les questions de migrants. Elle ne veut plus en entendre parler.

La présidente de la Coordination des associations et organisations féminines (CAFO) de la Commune de Diangounté Camara, Mme Banta Camara, dans un élan de sincérité non feinte, affirme que les femmes, qui acceptent de rester dans leur foyers, en l’absence de leurs époux, n’en peuvent plus d’attendre. «On les traite, souvent, de menteuses, de prostituées, etc. Certains migrants restent cinq à dix ans voire plus sans revenir au pays, soit par manque d’argent soit de carte de séjour. Leurs femmes, nos brus, je voulais dire, endurent toutes sortes de souffrances, elles sont parfois laissées pour compte», dit Mme Camara.

«Malgré tout, quand le mari revient, au lieu de féliciter sa femme pour son courage et sa patience, la première vacherie qu’il lui fait, c’est d’épouser une nouvelle femme», s’étouffe notre interlocutrice.
La pauvre se voit alors trahie, abandonnée par celui-là même sur qui elle a fondé son espoir. La situation devient plus compliquée, plus conflictuelle lorsque la femme accouche d’un enfant alors que son mari n’est pas présent. Dans la plupart des cas, l’époux refuse de reconnaître l’enfant illégitime et le divorce s’en suit.

Il y a des femmes d’expatriés qui ne veulent pas divorcer. Elles prennent sur elles d’attendre le retour improbable de leurs conjoints, peu importe le temps que cela prendra. Il arrive, souvent, que certains beaux-parents libèrent leurs belles-filles, mais ces dernières refusent de regagner le domicile paternel. Même si le mari décède, après la période de veuvage, sa femme préfère généralement rester, surtout, pour, dit-elle, s’occuper de ses enfants.

SITUATION INTENABLE – Le chef de service du plan et de la statistique, Aboubacar Diarra, qui a servi à Yélimané durant de nombreuses années, connaît bien le problème. Il soutient que le véritable souci des femmes de migrants, c’est l’absence prolongée de leur époux. «Même si elles prennent la décision de rompre et de rentrer chez leurs parents, il y a la pression sociale qui les retient. La plupart de ces mariages sont issus de liens parentaux, donc c’est difficile de divorcer», explique l’homme.

Mina Semega, matrone au Centre de santé communautaire (CSCOM) de Béma, est plutôt catégorique. «Certaines belles-mères sont mesquines, elles surveillent les moindres mouvements de leurs brus, surtout si elles savent que les maris de celles-ci sont hors du Mali », dit Mme Séméga. Même pour aller faire des achats dans une boutique du coin, la belle-fille dont le mari est absent doit se faire accompagner par un enfant. «En réalité, ce n’est pas un problème d’argent pour ces femmes d’expatriés», lâche la dame. Certaines de ces femmes esseulées n’ont pas le choix, elles se livrent aux hommes.

Boubacar Kamissoko raconte que la femme d’un migrant a contracté une grossesse en l’absence de son mari. Quand la nouvelle est parvenue à son époux, ce dernier a engagé des procédures de divorce. Il a tenu à ce que la pauvre lui rembourse, jusqu’au dernier centime, tout ce qu’il avait dépensé pour elle.

«Dans un village de Yélimané, un travailleur saisonnier était employé dans une maison dont le chef de famille, un vieux, vivait seul avec ses belles-filles. Tous ses fils étaient partis en France. Le travailleur saisonnier était devenu très familier avec les membres de cette famille. En dehors des travaux domestiques, il s’occupait de toutes les petites courses», raconte Boubacar Kamissoko.

C’est lui qui était chargé des opérations bancaires du chef de famille, ainsi que pour les femmes de la maison. Tous les colis portaient son nom. Par crainte d’avoir des comportements inappropriés avec les femmes dont certaines lui reprochaient de ne pas rester plus souvent en leur compagnie, il a préféré abandonner le travail pour ne pas céder à la tentation.

Dans le Cercle de Diéma, de nombreuses femmes de migrants attendent, impatiemment, le retour de leurs maris, disparus depuis près d’une décennie. En 2015, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), en partenariat avec le gouvernement italien, a effectué, à travers des volontaires de la Croix-Rouge malienne de Diéma, une enquête dans le cadre du projet de Rétablissement des liens familiaux (RLF), au niveau des Communes de Lambidou, Fatao, Diangounté Camara, Madiga Sacko et Diéma, afin d’identifier et de répertorier des victimes de naufrages.

Il s’agissait de trouver des solutions appropriées pour faciliter le rapatriement des corps jusque dans les villages et hameaux. Pour ce faire, les parents devraient fournir tous les renseignements nécessaires. Ici, de nombreux parents vivent, toujours, dans l’inquiétude et l’incertitude quant au sort de leurs progénitures dont ils demeurent toujours sans nouvelles.

Ouka BAH
Amap-Diema

Source : L’ESSOR

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