REPORTAGE. Ouvert en 2010, le Centre de recherche et de lutte contre la drépanocytose (CRLD) de Bamako a permis de multiplier par dix le nombre de malades suivis au Mali. À l’occasion de la Journée internationale contre la drépanocytose, zoom sur une affection très répandue en Afrique.
Par Anne-Laure Lebrun
Avec près de 10 000 patients traités par an, le Centre de recherche et de lutte contre la drépanocytose (CRLD) de Bamako est l’un des plus grands centres d’Afrique subsaharienne. Seul problème, et de taille : il est aujourd’hui submergé. Solution envisagée pour prendre en charge tous les patients : ouvrir des antennes à travers tout le pays.
Problème de diagnostic
Assise dans le couloir des consultations, Mariama patiente, la tête dans les mains. Elle est arrivée au centre de Bamako il y a deux heures déjà. Sa respiration sifflante est entrecoupée par une toux violente qui lui fait souffrir le martyre. À chaque inspiration, elle a le sentiment que ses poumons vont être éjectés de sa cage thoracique. Malgré cette douleur insoutenable, la jeune femme d’une vingtaine d’années ne dit rien. Elle attend, apathique. Son père, lui, ne cesse de faire les cent pas devant la dizaine de patients venus consulter ce matin. « Elle souffre comme ça depuis plus d’une semaine. Nous l’avons amenée dans une clinique, mais les traitements que les médecins lui ont donnés ne la soulagent pas », dit-il, inquiet. Non spécialisés dans la prise en charge de la drépanocytose, une maladie génétique du sang, les médecins de la clinique n’ont pas su poser le bon diagnostic.
Problème de place
Il faut à peine deux minutes au Dr Sékou Kené, médecin du CRLD, pour voir ce qui ne va pas. « Elle souffre d’un syndrome thoracique aigu, explique le médecin spécialiste. C’est une complication très grave de la drépanocytose due à une infection pulmonaire mal soignée. Il faut l’hospitaliser en urgence pour qu’elle reçoive une transfusion sanguine et de l’oxygène. » Joignant le geste à la parole, le médecin accompagne la famille dans le service d’hospitalisation. Malheureusement, les 27 lits sont déjà occupés. Mariama doit être transférée dans un hôpital voisin. « Je vais vous faire une ordonnance avec tout le protocole à suivre qu’il faudra donner aux médecins », précise le Dr Sékou Kené au père de Mariama.
Ce jour-là, la jeune femme ne sera pas la seule patiente drépanocytaire à devoir se rendre dans un autre établissement de santé, faute de place au CRLD. « Parfois, nous avons plus de 35 personnes hospitalisées en même temps. Des patients sont obligés de partager leur lit, raconte Jean-Pierre Konaté, un infirmier du CRLD. Ce sont des adultes, mais aussi des enfants qui souffrent de douleurs intenses et ont besoin de morphine pour être soulagés, ou de transfusions. »
Une maladie douloureuse et dangereuse…
Ces crises douloureuses sont les manifestations caractéristiques de la drépanocytose, une maladie qui provoque la déformation des globules rouges. Au lieu d’être en forme de disque, ils prennent la forme d’une faucille. Conséquences : ces globules rouges anormaux ne sont plus en mesure de transporter l’oxygène aux organes et entraînent des anémies. Moins souples, ces hématies falciformes ont aussi tendance à s’accumuler dans les petits vaisseaux sanguins, ce qui provoque des douleurs vives et brutales, notamment au niveau du ventre et des articulations. Appelées crises vaso-occlusives, elles peuvent, à la longue, entraîner la nécrose de certains organes. « Ces crises apparaissent généralement après un effort important, une infection ou lorsque la température ne dépasse pas 20 °C », décrit le Dr Boubakari Ali Touré, médecin du CRLD, qui rappelle que la drépanocytose ne se guérit pas aujourd’hui.
… qu’il faut savoir soigner avec pédagogie…
Néanmoins, les médecins peuvent soulager les malades et prévenir l’apparition de graves complications potentiellement mortelles, comme le syndrome thoracique aigu qui peut causer un arrêt respiratoire, un accident vasculaire cérébral (AVC), ou encore le fonctionnement excessif de la rate appelé séquestration splénique, particulièrement chez les enfants. « Il est important que les parents sachent repérer les signes, car la séquestration splénique est la première cause de mortalité chez les enfants », souligne le spécialiste. En consultation, le Dr Kené prend donc le temps d’apprendre aux parents à détecter toute anomalie au niveau de la cavité abdominale des enfants. « La drépanocytose oblige les familles et les patients à être vigilants au quotidien. Ils doivent connaître les signes d’une aggravation et savoir quand une situation exige de se rendre en urgence ici », insiste le médecin.
… et suivre pour en limiter les séquelles
Les patients drépanocytaires ont aussi besoin d’être suivis régulièrement par des médecins et de réaliser des examens d’échographie et des radiographies pour surveiller les dommages insidieux et silencieux causés par la maladie. Un suivi que le CRLD a de plus en plus de mal à honorer pour tous ces malades. « Nous avons atteint nos capacités d’accueil. Chaque année, 1 200 nouveaux patients viennent au centre. À l’ouverture en 2010, nous pensions en accueillir moitié moins. Au total, près de 10 000 malades sont suivis tous les ans au CRLD », décrit le Pr Aldiouma Guindo, directeur général adjoint du CRLD. Aucun centre de prise en charge de la drépanocytose en Afrique subsaharienne, voire au monde, ne suit autant de malades. En moins de dix ans, le CRLD a permis de multiplier par dix le nombre de malades drépanocytaires suivis au Mali et a permis de diminuer la mortalité liée à cette maladie.
Le sous-dimensionnement du centre…
Mais, aujourd’hui, le CRLD n’est plus dimensionné pour assurer sa mission de lutte contre la première maladie génétique. « Au début, nous donnions rendez-vous à nos patients tous les trois mois. Puis le nombre de malades a augmenté, ce qui nous a obligés à espacer de six mois les rendez-vous. Maintenant, ils doivent attendre neuf mois entre deux consultations », rapporte le Dr Kené. Pour répondre aux besoins de tous les malades, le CRLD a été obligé de faire des travaux d’extension. Avec le soutien financier de la Fondation Pierre-Fabre – partenaire du CRLD depuis sa création –, le centre a notamment construit une nouvelle unité d’hospitalisation. « Mais les ressources humaines sont limitées. Sans médecins ou soignants, on ne peut pas l’ouvrir », regrette le Pr Guindo. Le manque de médecin et la saturation du centre limitent aussi le temps alloué à la recherche sur la drépanocytose, l’autre vocation du CRLD.
… appelle à mettre en œuvre une nouvelle organisation
Un projet de décentralisation a également été mis en place à partir de 2017 pour désengorger le CRLD. Une unité de dépistage et de prise en charge a été créée à l’hôpital de Kayes situé à 600 kilomètres à l’ouest de Bamako, avec le soutien de la Fondation Pierre-Fabre. « Cette unité doit aussi permettre de diminuer les coûts indirects pour les patients et, en premier lieu, le transport, relève le Dr Pierre Guindo, pharmacien au CRLD de Bamako. Entre Bamako et Kayes, il y a plus de 14 heures de route et cela coûte 40 000 CFA aller-retour pour deux personnes. Même si, au CRLD, les patients ne paient que 40 % des frais, ces coûts indirects pèsent lourd. Une famille ne peut pas s’occuper de deux enfants drépanocytaires. » Mais, pour l’heure, cette unité ne permet pas de soulager le CRLD. Les médecins voient encore arriver des patients de cette région fortement touchée par la drépanocytose. « Cette unité est-elle submergée ? La prise en charge est-elle de moins bonne qualité qu’ici ? » s’interroge le Pr Aldiouma Guindo, directeur général adjoint du CRLD, qui souhaite évaluer l’unité de Kayes.
Un autre projet de décentralisation est aussi en cours à Mopti, au centre du Mali. Malgré les tensions et les violences qui se multiplient dans la région, la construction de cette autre unité, soutenue par l’Agence française de développement (AFD) et Expertise France, devrait débuter l’an prochain. Ces extensions du CRLD sont indispensables : chaque année, environ 6 000 enfants atteints de la drépanocytose naissent au Mali. Autrement dit, malgré ses 10 000 patients suivis chaque année, le centre perché sur les hauteurs de la colline du point G ne s’occupe pas encore de tous les drépanocytaires du Mali. Or, la moitié des enfants non dépistés et ne bénéficiant pas de soins spécifiques meurent avant l’âge de 5 ans.
En quoi consiste la drépanocytose ?
Selon l’Inserm, établissement public français à caractère scientifique et technologique, placé sous la double tutelle du ministère de la Santé et du ministère de la Recherche, la drépanocytose affecte l’hémoglobine des globules rouges. Cette maladie génétique très répandue se manifeste notamment par une anémie, des crises douloureuses et un risque accru d’infections. Les traitements actuels ont permis d’augmenter grandement l’espérance de vie des patients affectés, mais ils restent limités. La recherche poursuit donc ses efforts pour les améliorer, voire traiter la maladie à la source, là où naissent les globules rouges. La drépanocytose, aussi appelée anémie falciforme, est une maladie héréditaire touchant l’hémoglobine des globules rouges. Cette protéine est essentielle à la fonction respiratoire : c’est elle qui permet le transport de l’oxygène dans notre organisme. Elle participe aussi à l’élimination du dioxyde de carbone.
Chez les personnes atteintes de drépanocytose, l’hémoglobine est anormale. Quand la concentration en oxygène du sang diminue, elle déforme les globules rouges (ou hématie) qui prennent alors la forme de faucilles, au lieu d’être biconcaves. Il en résulte plusieurs symptômes caractéristiques de la maladie dont les plus courants sont une anémie chronique, des crises douloureuses vaso-occlusives et une sensibilité plus importante aux infections.
Cette maladie génétique est très répandue dans le monde. Apparue indépendamment en Afrique et en Inde, elle touche tout particulièrement les populations de ces régions. Mais les mouvements de populations l’ont rendue en outre très présente en Amérique, tout particulièrement aux Antilles et au Brésil, et en Europe de l’Ouest. En France, 441 enfants drépanocytaires ont vu le jour en 2013, soit une prévalence (nombre d’enfants atteints en un temps T) d’un enfant atteint pour 1 900 naissances. Ce chiffre en fait la maladie génétique la plus fréquente en France. Toutefois cette prévalence est beaucoup plus importante dans les départements d’outre-mer (1/419) et en région parisienne (1/874) où se concentrent les populations à risque.
Source: lepoint.fr