Les responsables de l’Observatoire pour les élections et la bonne gouvernance au Mali (OBSERVATOIRE) ont animé, ce samedi 4 mars 2023, une conférence de presse essentiellement consacrée aux avancées majeures et aux insuffisances constatées dans le Projet de Constitution remis au Président de la Transition, le 27 février dernier. De cette rencontre, il ressort que le document qui sera bientôt soumis à référendum comporte 14 avancées majeures contre six insuffisances. Au cours de cette rencontre avec les hommes de média, les responsables de l’Observatoire ont déploré le fait que « La Cour Constitutionnelle reste le maître du jeu électoral », et cela, en dépit du fait que ces arrêts aient toujours été à l’origine de la contestation des résultats dans le processus électoral.
Cette conférence de presse qui avait pour cadre la Maison de le Presse du Mali était animée par le président de l’Observatoire, le Dr Ibrahima SANGHO, qui avait à ses côtés plusieurs autres membres de l’Observatoire.
D’entrée de jeu, le conférencier a souligné que l’adoption de ce Projet de Constitution qui enregistre 14 avancées majeures, en dépit de certaines insuffisances, peut être une bonne chose pour la démocratie et la stabilité au Mali. Pour ce faire, il a invité les autorités à engager le dialogue avec les acteurs sociopolitiques.
Les avancées majeures
Parmi les avancées majeures enregistrées dans le Projet de Constitution, le Dr Ibrahima SANGHO a cité la consécration des droits humains, notamment ceux de la femme, de l’enfant et de la personne vivant avec un handicap.
Toujours dans le cadre des avancées, l’Observatoire salue la revue de la durée de l’élection présidentielle.
Ainsi, la question de l’entre-deux tours a été réglée dans le projet de Constitution à travers l’article 48 qui dispose : « Le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés. Si celle-ci n’est pas obtenue au premier tour, il est procédé à l’organisation d’un second tour le troisième dimanche qui suit la proclamation des résultats du premier tour par la Cour Constitutionnelle. »
Le renforcement du Serment, l’introduction de la Cour Constitutionnelle et la destitution du Président ; l’introduction des Normes et Conventions internationales ; l’élargissement de la Cour Constitutionnelle, le renforcement du mandat et de ses pouvoirs, sont aussi des avancées saluées par l’Observatoire.
Autres avancées majeures et pas des moindres, la modification du mode de scrutin. Des propos du conférencier, il ressort qu’avant les élections des députés et des sénateurs, plusieurs textes doivent être obligatoirement relus pour se conformer aux dispositions de la nouvelle Constitution.
Par exemple, le nouveau texte précise que les députés sont élus pour cinq ans au suffrage universel direct. Le mode de scrutin peut être majoritaire, proportionnel ou mixte. Les Maliens établis à l’extérieur sont représentés à l’Assemblée nationale selon les modalités définies par la loi.
Pour l’Observatoire, cela renforce la représentation nationale et la pluralité des opinions au sein du Parlement.
Des insuffisances de taille
Malgré ces avancées majeures saluées par la majorité des observateurs, force est de constater que les responsables de l’Observatoire ont aussi déploré plusieurs insuffisances dans ledit Projet de Constitution.
Par exemple, dans le texte qui sera soumis à référendum, et en cas de oui en l’état, la Cour Constitutionnelle restera le maître du jeu électoral.
Avec le projet de Constitution, la Cour constitutionnelle retrouve la plénitude de ses compétences en matière d’élection comme édictées par la Constitution de 1992. Elle reste maîtresse du jeu concernant l’élection du Président de la République, le Référendum et les élections législatives.
Avec l’article 149, la Cour constitutionnelle contrôle la régularité de l’élection du Président de la République et des opérations de référendum. Elle examine les réclamations et proclame les résultats définitifs.
Suivant l’article 151, la Cour constitutionnelle est saisie, en cas de contestation de la validité d’une élection, par tout candidat, tout parti politique ou par l’autorité chargée de l’organisation des élections. Lorsqu’elle fait droit à une requête, la Cour peut, selon le cas, annuler l’élection contestée ou réformer les résultats.
A ce niveau, l’Observatoire déplore la suppression de l’article 157 de l’Avant-projet qui stipulait : « Et lorsqu’elle fait droit à une requête, la Cour peut, selon le cas, annuler l’élection contestée ou réformer les résultats provisoires. Lorsque la réformation a pour conséquence l’inversion des résultats proclamés, la Cour constitutionnelle prononce l’annulation de l’élection (article 157) ». Pour lui, cela montre que peu de leçons ont été tirées de la crise électorale de 2020 par les membres de la Commission de finalisation.
Le président, vrai maître du jeu ?
A ce propos, il a rappelé qu’en 2020, près de 69 députés de l’opposition et de la majorité ont refusé de reconnaître les résultats définitifs proclamés par la Cour constitutionnelle.
« Si on continue à dire que la Cour peut rectifier les résultats et déclarer X élu à la place de Y, la Cour constitutionnelle devient, dans ce cas, un troisième arbitre. », a déploré le Dr SANGHO.
Le maintien du Conseil Économique ; la possibilité non offerte au peuple de faire respecter le Serment ; les pouvoirs excessifs du Président de la République ; l’affaiblissement du pouvoir judiciaire ; les dispositions insuffisantes contre le coup d’État, sont autant de griefs des responsables de l’Observatoire contre le nouveau texte.
Répondant aux questions des journalistes, le Dr Ibrahima SANGHO a indiqué que dans le projet de Constitution, il y a un paradoxe. Car, dit-il, si le parlement est chargé de faire respecter le Serment, au même moment, le texte donne la possibilité au Président, à son tour, de pouvoir dissoudre le parlement.
De son avis, cela constitue une sorte d’épée Damoclès sur la tête des membres du parlement qui ne pourront pas faire respecter le Serment au risque de voir le Président dissoudre l’institution. Pour que le Président reste maître du jeu, le texte ne laisse aucune possibilité de recours aux citoyens, comme le cas des pétitions dans certains pays.
Chronogramme caduc
Alors que le chronogramme des élections rendu public par les autorités en 2022 connaît un retard dans sa mise en œuvre, les observateurs commencent à s’interroger sur la possibilité de la tenue des élections.
Pour le Dr SANGHO, il est évident que le Chronogramme n’est pas applicable.
« Officiellement, l’AIGE a été installé en janvier 2023. Or, selon la loi électorale promulguée en juin 2022, en République du Mali, c’est l’AIGE qui est habilitée à organiser les élections et non le gouvernement. De ce fait, c’est l’AIGE qui doit officiellement donner le chronogramme, et jusqu’à présent, on n’a pas de chronogramme de la part de l’AIGE. Aujourd’hui, on se rend compte que le chronogramme rendu public en juin 2022 n’est pas applicable. Pour preuve, on est au mois de mars et le collège n’a même pas été convoqué », a expliqué le Dr SANGHO.
Ensuite, il y a des complications qui justifient le fait que la loi adoptée en 2022 est déjà en cours de relecture.
A ce niveau, on constate le retour du vote anticipé des militaires dans les garnisons dans la dernière mouture de la loi électorale. A ce propos, le Dr SANGHO se demande quels sont les observateurs ou les journalistes qui vont se prononcer sur la régularité et la transparence d’un scrutin militaire dans les garnisons. C’est pourquoi, l’Observatoire, selon son président, pense que cette disposition de la loi est susceptible d’être un élément de fraude électorale.
A cela s’ajoute la création de 102 nouveaux cercles contre 49, jusque-là. En 2012, feu président ATT avait créé 19 régions et 11 nouveaux cercles au nord du pays qui n’ont pas été opérationnels.
Avant l’adoption des réformes territoriales de 2023, on continuait à évoluer sur la base de 8 régions, 49 cercles et 6 communes. Avec cette réforme, il y a 19 régions et 159 cercles en République du Mali, soit 110 nouveaux cercles à opérationnaliser avant les élections.
Dans combien de temps ces cercles seront opérationnels avant les élections ? S’interroge le Dr SANGHO.
Pour lui, soit on organise les élections sur la base de 49 cercles précédents, soit on attend que les cercles soient opérationnels avant d’organiser les élections.
Par Abdoulaye OUATTARA
Source : Info Matin